Décidément, nous ne méritions pas un groupe comme Dirge. Qu’un projet aussi important que celui-ci – ce dont je me suis rendu compte bien trop tard – nous donne un « au revoir » comme cette compilation est inespéré. Dirge ne pouvait pas partir comme ça, semble-t-il épuisé de tant de travail donné à chaque œuvre, potentiellement dégoûté d’être aussi respecté et pourtant peu écouté (ce que j’imagine et seulement cela). Car, répétons-le une nouvelle fois tant qu’on a encore des occasions pour le dire, voilà, dans ce fameux paysage du « post », le seul qui apportait quelque chose d’équivalent à Neurosis par une discographie sans faute, évolutive, loin de toute copie ou redite. Ah ! Pourquoi tant s’évertuent encore à chanter les louanges des répétitifs Cult of Luna, à célébrer les gloires passées que sont Breach, Isis et consorts, à encore chercher des saveurs bien difficiles à trouver aujourd’hui – l’autopersuasion demande du travail – chez Pelican, Sumac, Rosetta ou que sais-je… Alors que Dirge a toujours été là, incroyable, unique ?
Assez d’amertume.
Vanishing Point est là, et c’est une chance. Une chance qui ne se destine pas qu’aux fans ayant suivi la carrière de la formation, malgré un point final à vingt-cinq ans de musique industrielle, post-metal, « autre », paraissant s’adresser avant tout à eux. En effet, regroupant sur trois disques des titres rares et / ou inédits ainsi que la captation d’un concert de 2005 à Paris, il déroule une suite chronologique qui parlera en premier lieu à celui ou celle cherchant un résumé sur le long cours de cette discographie gargantuesque – en plus d’avoir sous la main des compositions auparavant impossible à écouter ou uniquement présentes sur des formats confidentiels. Mais ces presque trois heures possèdent une logique si épatante, des débuts fortement marqués par Godflesh à une fin de vie cherchant dans le vide entre les étoiles ses atmosphères, qu’elles donnent envie de les adresser à quiconque peut s’intéresser, de près ou de loin, à Dirge.
Plus qu’une compilation, c’est cette impression d’écouter un tout uniforme bien que varié qui subjugue avec
Vanishing Point, comme un long album évoluant naturellement. Certainement, qui écoutera les deux premiers disques de l’objet ci-présent s’en rendra rapidement compte : plus qu’une mise à niveau de l’ensemble par un dépoussiérage si bien réalisé que même les archéologiques morceaux industriels ouvrant le premier volume sonnent avec une force neuve, c’est l’assemblage qui se révèle époustouflant, au point de passer d’une écoute d’archiviste, lisant les notes de Dirge sur les origines de tel ou tel morceau, à se laisser dériver, l’esprit libre, comme lors d’une découverte d’un longue-durée des Français.
Vanishing Point n’est pas qu’un point final. Il bouge, remue, s’efface puis marque de sa présence, comme une création à part entière de cette entité extra-terrestre, excessive, qu’a été Dirge.
L’amateur notera tout de même que chaque période du groupe est ici bien représentée, que ce soit dans ce démarrage industriel, sentencieux et transcendé à la fois (les musclés « Wounded Chakras » et « S.N.T.D.F. » renvoyant à toute une scène française oubliée, de Proton Burst à Treponem Pal), cet appel désespéré à un autre monde (où le plateau est atteint avec cette reprise de The Cure avec « A Short Term Effect ») ainsi que cette recherche insatiable marquant le deuxième disque, plongeant de plus en plus dans un délitement sensoriel, langoureux et émerveillé, l’inédit « Carrion Shrine » en guise d’apothéose – où s’invite la voix de Marion (ex-Overmars, actuelle Mütterlein) –, les vétérans de Kill The Thrill et la nouvelle garde Treha Sektori se chargeant de boucler la boucle, comme pour signifier un peu plus ce trait d’union entre l’ancien et le nouveau. Seul le dernier volume donnera la sensation d’être face à une compilation, sans pour autant décevoir. N’ayant jamais eu l’occasion de voir Dirge en concert, ce live, jouant deux titres parmi les plus organiques et ambiancés de la formation (issus des albums
And Shall the Sky Descend et
Wings of Lead over Dormant Seas), est un substitut de choix, tant on y ressent la puissance en mouvement, l’expérience inédite, que devait être le projet sur les planches.
Inédit, un mot qui va définitivement bien à Dirge et à cette compilation.
Vanishing Point est clairement exigeant – comme toutes créations des Français et comme toutes les meilleures choses –, son écoute sans tricher se révélant difficile si l’on est peu préparé, en raison d’un style ayant toujours demandé, malgré ses différentes formes, une implication pour faire voir ses attraits. J’ai moi-même quelques instants de décrochage et d’arrimage, le premier disque me perdant de temps à autre là où le second m’enchante de bout en bout, au point de sortir repu et d’oublier de poursuivre l’écoute plus avant. Mais la plongée dans chaque disque, attentivement ou en dilettante, m’a rapidement montré le caractère exceptionnel de cette compilation. Un adieu d’une rare générosité, affirmant de façon grandiose – dans le fond et la forme, par un digipack cossu habillé de peintures de l’habitué Axël Krillof – la vitalité particulière ayant toujours habité la formation.
Partir comme on a vécu, avec personnalité et excellence : voilà bien l’ultime réussite à mettre au crédit de Dirge avec
Vanishing Point.
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