Menace Ruine - Alight in Ashes
Chronique
Menace Ruine Alight in Ashes
Menace Ruine, c'est l'apocalypse. La chute dans le néant. A l'image du nom du duo, l'auditeur vacille, menaçant à chaque instant de perdre pied tant l'art joué par les canadiens est compact, sans aucune aspérité à laquelle se raccrocher pour éviter de tomber dans le vide. Malmenant les étiquettes depuis la sortie de leur première démo, "In Vulva Infernum", en 2008, S. de la Moth et Geneviève poursuivent leurs expérimentations et autres recettes alchimiques en accouplant parties Drone abrutissantes, relents Black Metal et minimalisme à outrance. Menace Ruine est un groupe hautement subjectif, ne laisse personne indifférent. Soit l'auditeur parvient à percer l'épaisseur de la cuirasse du monstre, et se plonge corps et âme dans l'univers médiévalo-gothico-esotérique (à mes souhaits) du combo, explorant des contrées jusqu'alors inconnues. Soit il écoutera cinq minutes par curiosité avant de stopper le disque, prétextant qu'il ne voit pas l'intérêt de se pâmer devant un truc qui sonne comme sa machine à laver en cycle lent ou son siphon d'évier. Mais sous une apparente "facilité", Menace Ruine est bien plus qu'un énième groupe putassier masquant son absence de créativité ou de passion derrière l’appellation "Drone".
Après un "Union of Irreconciliables" sorti en 2010, extrêmement dense et prenant (écoutez simplement le titre "There Will be Blood" pour avoir une idée des profondeurs que le groupe explore), Menace Ruine refrappe deux ans après en sortant, chez Profound Lore, ce "Alight in Ashes", qui sonne comme une sorte d'achèvement, le sommet de leur discographie. Six titres pour plus d'une heure, on peut aisément comprendre les craintes d'une indigestion de la part de l'auditeur frileux. Avaler ce monolithe prend non seulement du temps, mais de l'énergie : pour peu que l'on soit réceptif à ce mélange bâtard et dissonant, on en ressort lessivé, vidé de toute énergie. Éteignez les lumières, fermez les volets, et allumez un cierge, "Alight in Ashes", c'est un pèlerinage vers l'Agartha en une heure et deux minutes.
"Why is it burning so, harsh, not melodious at all
Burning to the core, why all faded in discord ?"
"Alight in Ashes" est un disque pénitence, un disque "punition". Et faire pénitence n'étant, par définition, pas un exercice foncièrement agréable, ne vous attendez pas à ce que Menace Ruine vous brosse dans le sens du poil, en proposant de jolis arpèges et des mélopées entêtantes. La mélodie se mue en cacophonie, un orchestre aussi dépouillé que dément mené par un clavier aux tons changeants, tantôt classique ("Cup of Oblivion") tantôt beaucoup plus abrasif ("Set Water to Flames"), à peine rythmé par quelques discrets coups de boutoir, sur lesquels se greffe le chant sans fioritures de Geneviève, presque sentencieux, sans jamais être pompeux, déclamant d'une voix morne des textes aussi sombres qu'imagés. Prises séparément, les instrumentations ne sont pas des plus recherchées, mais c'est l'ensemble qui fonctionne. "Alight in Ashes" est une masse de mercure à laquelle on se heurte ou l'on se fond. Et, comme toujours avec Menace Ruine, on retrouve cette ambiance médiévale si particulière (comme sur "Salamandra"), en restant toujours aussi funèbre, en témoigne "Cup of Oblivion", une lente marche vers le caveau qui clôt le disque à la perfection. Le temps passe lentement, les secondes se font des heures, et pourtant, l'auditeur en redemande, figé entre deux mondes, entre deux états de conscience.
Il est aussi difficile de décrire précisément ce disque que d'en parler objectivement quand on l'apprécie autant - et surtout lorsqu'il laisse autant d'auditeurs sur le carreau. Impossible d'isoler chacun des titres composant "Alight in Ashes" pour les disséquer, tant l'ensemble est compact et homogène, tant ils se complètent mutuellement. Le minimalisme et la répétition à outrance taperont sur le système des moins patients ("Disease of Fear" peut paraître proprement interminable), de même que la voix de Geneviève, ayant presque gagné en sobriété depuis le précédent opus. "Alight in Ashes" est un cauchemar à chroniquer et à vivre. Le genre de disque qu'on se promet de ranger dans un coin de notre étagère pour ne plus le sortir tant l'expérience a été intense, mais vers lequel on revient inlassablement - ne dit-on pas que le danger est délicieusement attirant ?
Mixant les expérimentations électroniques avec des parties plus classiques et des rythmiques quasi-martiales, Menace Ruine confirme, avec "Alight in Ashes" son statut de "groupe à part" de la scène musicale extrême moderne, rejoignant au panthéon des actes tels que Sunn O))) ou le plus jeune Murmuüre. Impossible de noter un acte responsable d'autant de transes sur ma personne quand il aura réussi à ennuyer bon nombre d'aussi téméraires que moi. Entre la perfection et la purge, en somme. Ce qui reste certain, c'est qu' "Alight in Ashes" n'est pas un disque qui s'entend ou s'écoute, c'est un disque qui se vit. A doses homéopathiques pour ne pas définitivement perdre pied.
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