Combo assez légendaire dans le domaine du Grindcore, marquant tous les amateurs de violence décomplexée par ses titres aussi courts qu'intenses (
"Altered States of America", 100 titres pour 20 minutes, jugez du peu), Agoraphobic Nosebleed, au même titre qu'un Insect Warfare, fait partie de ces parrains, ces patrons du Grindcore international qui se soucient peu des effets de mode et des variations. Depuis la naissance du combo en 1994, le duo Hull/Randall a marqué son chemin de déflagrations tantôt dignes d'une tête nucléaire (
"Agorapocalypse"), tantôt du pétard mouillé (
"A Joyful Noise"), mais en prenant soin de faire ce qu'ils savaient faire de mieux : un Grindcore épileptique aux cadences impossibles, des riffs simples mais percutants, de l'hystérie à outrance, point à la ligne.
Après un
"Agorapocalypse" proprement démentiel (pour moi, le sommet de ce que pouvait proposer AxNxB), quelques splits et formats courts, le groupe, enrichi d'une nouvelle chanteuse (Katz de chez Salomé), annonçait la sortie prochaine chez Relapse d'une série de quatre EPs. Liesse générale chez les amateurs de violence débridée, encore sous le choc des précédents méfaits du maintenant quatuor. Liesse partagée par votre serviteur... Jusqu'à la surprise de l'artwork.
Stupéfaction. Ou sont donc passés le mauvais goût poussé à son paroxysme (
"Altered States of America"), le fourmillement de détails propre à donner mal au crâne (
"Agorapocalypse"), ou tout simplement l'absurdité foirde ("
Frozen Corpses...") ? Aux oubliettes. Pour "Arc" et son propos, Agoraphobic Nosebleed a fait appel aux talents d'
Eric Lacombe, délivrant une pochette énigmatique, sombre, à milles lieues de ce à quoi nous avait habitué la formation jusqu'à présent. Déstabilisés, mais séduits, car en plus d'être superbe, l’œuvre de Lacombe nous aura ouvert l'appétit. "Arc" s'annonçait être un EP moins dans le
"fun", moins dans la gratuité, beaucoup plus dans l'exutoire et la catharsis.
Si Randall et Hull semblent être de joyeux lurons, plus soucieux d'envoyer le bois que d'écrire de longues et alambiquées compositions, ils ont malgré tout décidé de laisser un espace d'expression à Kat, qui s'est emparée de l'EP. Choisissant de raconter sa jeunesse entre le cancer et la schizophrénie d'une mère, elle donne à "Arc" une teinte autrement plus sombre que le reste des albums de la discographie d'AxNxB. "Arc", c'est un peu le pote fraîchement célibataire en soirée qui, passablement éméché, se mettrait d'un seul coup à pleurer en repensant à son ex - plombant par la même toute l'ambiance et instaurant un silence pesant dans l'assemblée. Nous qui étions tellement habitués à nous fendre la gueule et à nous briser la nuque sur
"Honky Reduction" ou
"Frozen Corpses...", sommes presque gênés qu'une parfaite inconnue se confie à nous de façon aussi personnelle (le titre "Deathbed" en forme de confession :
"I cried your name/Forgive me/For not being there/Too late"). On ne sait pas quoi répondre, alors on écoute. Et ce que l'on entend est certes à milles lieues de là ou l'on attendait Agoraphobic Nosebleed, mais reste diablement efficace.
Le propos très lourd de "Arc" aurait pu donner naissance à un EP funèbre et malsain, mais il n'en est rien. Plus que de la tristesse, c'est de la fureur qui transpire de chacune des trois compositions de la galette. La fureur d'une femme qui espère voir sa mère mourir pour la soulager de ses peines et pouvoir recommencer à vivre ("Not a Daughter"). Celle d'une fille qui s'en veut de ne pas avoir été là pour elle lors de ses derniers instants ("Deathbed"); Qui, malgré tout, lui en veut pour lui avoir volé sa jeunesse ("Gnaw"). Le Grindcore et les blast-beats exécutés bave aux lèvres s'effacent au profit d'un Doom pesant, tirant parfois franchement vers le Stoner ("Not a Daughter"), plus apte à retranscrire les émotions et à nous les faire ressentir. Kat y hurle ses versets avec une hargne et une conviction impressionnantes, exorcisant la douleur et l'incompréhension. "Deathbed" et sa lenteur insupportable, sa crasse et sa poisse que n'aurait pas renié Eyehategod, "Gnaw" et ses samples perturbants (psychiatres et personnels de soin), de l'ouverture martelée par les toms d'une boîte à rythme chef-d'orchestre jusqu'à sa clôture, tout en roulements et en lignes de basse vrombissantes venant mourir sur un mur de bruit pur, sont des titres que l'on ne pensait pas voir sortir sous le nom d'AxNxB.
Si la transition vers des titres plus lents se sentait déjà sur les précédents albums du groupe ("Question of Integrity" ou "Timelord Two" sur
"Agorapocalypse"), je n'imaginais cependant pas Agoraphobic Nosebleed faire passer complètement à la trappe ses accélérations folles et ses tournures rythmiques complètement saccadées. Et c'est pour cette raison que je ne saurai pas réellement me positionner vis-à-vis de "Arc". D'un côté, je trouve dommage que cet EP ne ressemble
pas du tout à l'univers foutraque et débridé d'Agoraphobic Nosebleed, jusqu'à ne trouver de similitude entre lui et
"Agorapocalypse" qu'en sa production et le son de sa boîte à rythmes. D'un autre, Agoraphobic Nosebleed s'aventure dans des sphères très sombres, autant d'univers qu'on ne lui connaissait pas. Entre les deux ? Musicalement, "Arc" est une réussite indéniable, une confession aussi brève que violente - car si les titres sont parmi les plus longs jamais enregistrés par le groupe, l'EP fait au final quasiment la même durée que le reste des longs formats du combo. Si, à titre personnel, je regrette beaucoup l'absence de tout ce que j'adore chez Agoraphobic Nosebleed, je ne peux que saluer la prise de risque et l'envie de proposer une création plus sérieuse, plus chargée en vécu. Surtout lorsqu'elle est aussi bien faite.
Et puis, ce n'est jamais que le premier EP d'une série de quatre. Gageons qu'Agoraphobic Nosebleed nous réserve la folie qu'on lui connaît pour ses prochains méfaits.
3 COMMENTAIRE(S)
24/01/2016 12:33
La note est bonne car je préfère prendre "Arc" comme un "exercice de style", une envie de la part du groupe de faire quelque chose de plus sérieux; plutôt que comme un EP somme toute assez générique (ce qu'il est, hormis les incursions bruitistes discrètes de "Gnaw").
24/01/2016 12:29
24/01/2016 11:36
A la fois c'est pas grave, et à la fois je suis tout de même un peu déçu, j'espérais une bonne surprise.