Jex Thoth - Blood Moon Rise
Chronique
Jex Thoth Blood Moon Rise
Mesdames et Messieurs, vous venez d'écouter la dernière œuvre de Jex Thoth. Oui, la dernière : même si le groupe ne semble pas avoir disparu, apparaissant ici où là lors de concerts, pardonnez-moi, mais je ne crois pas une seconde à sa réalité ! Apparitions à la rigueur, d'une formation qui ne peut qu'avoir quitté la Terre pour rejoindre son paradis après Blood Moon Rise.
Mais je me perds. Je vous vois, public, silencieux, estomaqué par ce que vous venez d'entendre, les hommes hypnotisés par un charme inconnu, les femmes faisant une mine hautaine, piquées qu'elles sont par leur jalousie (voire plus – croyez-vous que je ne vois pas cette rougeur que vos joues ont attrapée ?). Allons ! Je l'avoue, j'ai été comme vous sujet à l'incompréhension devant ce disque, pris à brûle-pourpoint par cette musique à la fois semblable et autre que le déjà-dominateur album sans-titre qui, malgré ses désirs interdits par mon éducation catholique, m'a fait virer ma cuti, dé-serrer mon col romain, pris que j'étais dans sa chaleur. Mais Blood Moon Rise... Ah !
Pardon, je me perds encore. Comment trouver un fil conducteur, utiliser des mots, trop réels signes pour pareille musique ? « Beau », « pur », « absolu » même, sonnent maladroits en comparaison de ces mélodies. Raison pour laquelle j'ai eu quelque difficulté à vous en parler jusqu'à présent : tel objet ne peut que donner le sentiment de régresser jusqu'au balbutiement. Las ! Il va bien falloir vous parler de cet album concrètement, lui qui rappelle que le rock psychédélique se voyait à ses belles heures comme une passerelle entre notre monde, illusoire, et un autre, véritable.
À ceci près que Jex Thoth paraît ici nous larguer sans carte dans son univers blanc, où tout est caresse, bonheur tranquille, brume colorée, mystère enivrant. L'orchestre d'abord : les fanatiques auront souvenir qu'il était, quelques années plus tôt, à leur échelle, certes doué, mais encore assez constitué de chair et de sang pour faire preuve d'imperfections, d'une maladresse charmante. Vous l'avez ressenti comme moi il y a quelques instants : il n'est plus question de tout cela avec cette nouvelle assemblée, Blood Moon Rise coulant de riffs où ressortir fondu et morfondu, fatigué et aveuglé par cette nonchalance calculée, cette délicatesse qu’exsudent des guitares laissant peu paraître leur fabrication en bois et fer. Une soie impalpable et cependant nous étranglant au fur et à mesure sous ses embrassades : voilà ce que semble être chaque chose suggérant sa présence ici. La douceur des délices, qu'une production chaude habille parfaitement.... Et cette basse ronflant du plus serein des sommeils ! Cette batterie vibrante, si calme et si vitale ! Mes frères humains-trop-humains, que...
Comment ? Oui oui, je vous ai compris. Je vois vos mains crispées pliant vos pantalons, vos fronts luisants et vos mâchoires serrées par l'attente. Oui, il va bien falloir parler d'elle. Elle qui n'est plus « tour à tour guerrière, prêtresse, aguicheuse » comme j'ai pu l'écrire autrefois. Elle qui est la gérante de ces lieux autrement saints. Je vous le dis : l'écouter est une torture pour le cœur, tant elle alpague pour nous emmener dans sa demeure de lumière. L'EP Witness nous avait fait témoigner de sa transformation de belle adolescente à terrible femme, Blood Moon Rise la montre pleine et entière, loin de toute folâtrerie, d'amour consenti entre entités d'égale mesure. Bienvenue dans sa Lune, mes invités forcés, à la rencontre d'une nature que nous avions oubliée, cruelle par sa suréminence, tremblotante d'émoi, plaçant le repos des sens à un extrême où l'on croit les entendre hurler de plaisir, jusqu'à l'enterrement. « To bury ».
« La même chose en mieux » ne suffit pas à exprimer ce que contient Blood Moon Rise par rapport à son aîné. Il est l'accomplissement de tout ce qui ne faisait que germer chez son prédécesseur. Je ne vais pas m'inventer poète auprès de vous plus longtemps, vous avez assisté comme moi aux événements et vous en tirerez vos images, souvenirs, leçons. Et peut-être trouverez-vous comme seul reproche celui qu'il m'arrive d'avoir à son encontre, quand je joue les rabat-joies : en effet, cette félicité-ci est si fantomatique qu'elle passe parfois au-dessus de mon esprit, prise dans son monde, me laissant à sa porte sans exprimer un remord. D'où une note qui ne fait que flirter avec la maximale. Mais ne l'oubliez pas ! La beauté est une histoire de perception, et celle-ci se mérite par des moments choisis, lorsque le Temps s'oublie assez pour pouvoir entrer en elle, cet îlot où il est aboli.
Je dois vous laisser. Voilà les minutes qui filent et l'envie me prend de réécouter ce disque. Désolé de partir si vite. C'est que, déjà, je sens mon corps s'évaporer...
| lkea 24 Mai 2016 - 1553 lectures |
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