Okkultokrati - Raspberry Dawn
Chronique
Okkultokrati Raspberry Dawn
Cela fait combien de temps que vous avez écouté une nouvelle sortie qui vous a chamboulé ? Pour peu que vous suiviez l'actualité et soyez ouvert d'esprit, sans doute pas si longtemps que ça : cette année a offert de nombreux albums fantastiques, une preuve de plus que, au milieu d’événements pas forcément réjouissants, la musique a atteint un pic qualitatif ne semblant pas prêt de baisser.
Seulement, je ne parle pas de ce type de chamboulement. Je fais référence à cette sensation de rencontrer un disque qui va vous suivre longtemps, s'attacher à vous comme une référence personnelle. Ce genre de créations, cela fait un moment que je le traque, sans forcément le trouver. Il faut dire qu'à force de défricher, d'étendre ses recherches, on devient moins impressionnable, moins facile à avoir. Pour être honnête, un peu blasé aussi. Mais, pas de doute : Raspberry Dawn m'a retourné de cette manière.
Et pourtant, ce ne sera peut-être pas le cas pour tout le monde. Partis d'un crust / hardcore qui n'oubliait pas ses racines punk sur No Light for Mass et Snakereigns, les Norvégiens ont ouvert plusieurs portes sur Night Jerks, album qui marquait une entrée en terres electro et coldwave. Un changement de style pas si incongru de nos jours – sans faire une liste des groupes affiliés au hardcore et au metal qui affichent ouvertement leur cœur de corbeau, les exemples ne manquent pas – mais qui ne laissait présager que partiellement la surprise qu'est Raspberry Dawn : à la fois garage, hard rock, punk, cold, psychédélique et hardcore, il est un véritable intrus dans le paysage musical actuel. Une mixture si chargée qu'elle laissera bon nombre sur le carreau.
Il faut imaginer le Fenriz des années pouilleuses (Dark Thrones and Black Flags pour être précis) s'associant au Robert Smith des années froides (Pornography et Faith) dans un tribute band hésitant entre reprendre Iggy Pop, les Ramones et Motörhead pour toucher du doigt ce que contient ce quatrième longue-durée. Et encore, ce serait décrire grossièrement ce que joue ici Okkultokrati ! Entre ces guitares transcendées de hard rock, bourrées de réverbérations crevant l'espace, cette batterie calée en mode D-Beat, cette production insalubre, raw, ce clavier pris dans sa propre bulle d'oxygène shoegaze ou encore ce chant hargneux, alcoolisé, impossible de donner un parent spécifique à ce que déroulent les huit compositions de l'ensemble sans tomber dans la généalogie la plus absconse. Simplement, c'est un pan des musiques des années soixante-dix à de nos jours que paraît lier ici la bande, donnant par sa seule personnalité un fil d’Ariane à suivre pour trouver ce que tout cela a de commun.
C'est en effet de ces différentes bûches que Okkultokrati fait son feu sur Raspberry Dawn. Un feu que j'ai envie d'appeler simplement « rock » tant il est magnétique et exaltant à voir ainsi crépiter. Quarante-six minutes d'une accroche rare, les Norvégiens ayant effectué jusqu'au bout un hold-up, complexe dans sa préparation mais gardant l'objectif de casser la baraque et rafler la mise. Impossible de résister ! Dès « World Peace » et sa mélodie Lemmy-esque sur laquelle se place la voix crue de Henning, me voilà pris d'une envie folle de sortir la nuit pour démonter ce que la ville comporte de bars. Une fièvre incroyable, maîtresse de chaque chose présente sur ce disque, et qui guide jusqu'à cette merveille qu'est « Magic People ». Le reste n'est que subtile déclinaison, allant de l'ivresse triste de « Hard to Please, Easy to Kill » à la nébuleuse « Ocular Violence ». Le tube, celui qui détruit les mâchoires et s'inscrit dans les mémoires, est ce que vise Raspberry Dawn. Okkultokrati lui rend ses lettres de noblesse, survolant les styles avec une désinvolture punk, la menace dans sa poche et le sourire aux lèvres.
Cette raideur qui manquait cruellement à Night Jerks, Raspberry Dawn l'a de bout en bout – un bémol concernant « Leave and Be Gone » cependant, dont la langueur essouffle un peu les braises à mi-parcours (la baffe de ce qui la suit n'en devient que plus cinglante !). Mais il possède également une étrangeté propre à lui-même. Loin des caractères trop normés et « à la mode » définissant les pires sorties Southern Lord – qui a eu le nez fin en signant les Norvégiens –, il envoûte sur le long terme par une beauté qu'il cache au fond de ses vindictes parfumées à la bière. Crasse, classe, grâce... Je vous laisse monter vous-même votre phrase de poète en herbe, toujours est-il que Okkultokrati, avec ses airs de jeune insolent piquant ce qu'il préfère dans sa liste Spotify, se transforme ici en éblouissant trait d'union, sans allure bancale autre que celle qu'il aime se donner (salaud de punk !), tout en transmettant à tout cela une commune soif de percer le voile nocturne de ses bottes coquées. La plus belle des brillantines.
Encore une fois, il sera facile de passer à côté de Raspberry Dawn. Il pourra donner l'impression d'être un mélange de choses bien connues à qui se baladera vers lui sans trop y prêter d'attention, un mélange certes osé et agréable, mais pas plus que cela. À l'inverse, pour un amateur des différentes niches dont il fait ici sa maison, il deviendra rapidement un indispensable. Car Okkultokrati s'est approprié ici ses classiques pour en faire une œuvre toute sauf classique. Et pourtant, Raspberry Dawn a tout pour devenir un classique. CQFD ?
| lkea 4 Décembre 2016 - 2094 lectures |
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