Pour titrer leur nouvel album, les alsaciens de SMASH HIT COMBO utilisent un terme hermétique pour le commun des mortels.
L33T signifie élite en
Leet speak, de l'anglais
elite speak (littéralement,
langage de l'élite), un système d'écriture utilisant les caractères alphanumériques ASCII inventé par les hackers. Clin d’oeil à l’univers geek que le combo ratisse de long en large depuis dix ans, ce titre à double sens annonce la couleur. En effet, ce quatrième album studio est un exercice de style. Après un
Playmore (2015) qu’on peut considérer comme leur album de la maturité, les alsaciens avaient décidé de faire un disque en anglais. Un choix notamment motivé par une renommée internationale que le gang souhaite encore accroître en se faisant connaître auprès du public anglophone. Conscients de l’immense défi que représente l’élaboration d’un disque chanté en anglais par un gang dont la langue de Shakespeare n’est pas l’idiome maternel, nos amis ont fait appel à un régional de l’étape pour écrire et interpréter les lyrics anglais. C’est le rappeur américain
NLJ (None Like Joshua), déjà co-interprète d’un featuring sur
Playmore (“48H”) qui prend en charge le volet anglophone du projet. Oui, car plutôt que d’écrire un disque uniquement en anglais, le groupe, peut-être pour ne pas avoir à mettre au chômage technique son chanteur - MC principal et historique,
Paul “HP”, décide de livrer un double album de deux fois douze titres avec un disque en anglais et l’autre en français.
Nous avons donc un fonds de tarte identique sur les deux disques constitué des compos créées pour l’occasion par les quatre musiciens du groupe :
Brice Hincker à la batterie,
Matthieu Willer à la basse,
Baptiste Ory et
Anthony Chognard aux guitares. Continuant l’exploration du sillon
Djent, les quat’zamis livrent une partition assez proche de celle de
Playmore, mais plus fouillée, créative et audacieuse. A la longue, ce fameux son Djent des guitares à sept cordes mis en exergue par une production bien (trop) synthétique devient un peu irritant : il donne l’impression que la trame de tout l’album repose sur les mêmes effets de manche (à corde). Sur cette base, le chant Rap est confié à Paul HP pour le volet français, NLJ pour le volet anglais, tandis que les chants clairs et screaming sont assurés par Maxime Keller sur les deux disques. Vous le savez certainement, en chanson il n’est pas possible de faire une traduction littérale d’une langue à l’autre sans déséquilibrer les compos associées. Aussi, le groupe a choisi de laisser carte blanche aux deux MC pour écrire chacun leurs lyrics et les “poser” sur les compos, tout en respectant le “cahier des charges” définissant l’univers de SMASH HIT COMBO depuis dix ans : univers geek, refus de grandir, syndrome Peter Pan. Le résultat est techniquement bluffant. Nous avons treize compos agrémentées de deux séries de lyrics et disposées dans un ordre différent sur deux disques jumeaux. Le double album offre donc à l’auditeur un peu curieux l’opportunité d’écouter deux versions jumelles de chaque chanson. Hélas, le résultat est très déséquilibré et pas dans le sens qu’on aurait pu craindre.
Il y avait en effet un gros risque pour que le disque anglais soit raté, mais c’est pourtant le plus réussi des deux. Le volet français du projet marque en effet un retour arrière par rapport à
Playmore : reprenant les mêmes thématiques que dans les précédents projets, avec les mêmes références pesantes à l’univers du retrogaming, Paul retombe aussi dans la rime de mirliton et les punchline faciles caractéristiques des débuts du groupe. Tel une Chantal Goya du Rapcore, il semblerait que le MC alsacien soit empêtré dans son personnage de gamer attardé qui refuse de grandir et constate sur un ton de plus en plus aigri qu’il ne comprend pas le monde et que ce dernier le lui rend bien. Ce décalage est bien sûr le fil conducteur de l’oeuvre de SMASH HIT COMBO, mais après la crise de la trentaine abordée dans
Playmore, on aurait pu penser que les paroles continueraient à évoluer avec la prise de maturité contrainte de leur interprète. Or, c’est tout le contraire qui se produit : une régression. Les lyrics de cette nouvelle mouture rassemblent des thèmes qui commencent à sentir la naphtaline et une interprétation poussive, feignante et bavarde. Dans cette nouvelle itération, les interventions de Maxime Keller se font bien plus rares que sur
Playmore, le chanteur / hurleur étant tristement sous employé pour des backvoices anecdotiques ou des bouclages de rimes. On s’ennuie donc bien vite sur ce volet français dont les similitudes avec le précédent opus sont comme soulignées par la dernière piste, “Plan B”, le single hors album enregistré à l’époque de
Playmore qui sonne paradoxalement comme le morceau le plus intéressant de l’album en français.
Le disque anglais sauve la mise en évitant de tomber dans les mêmes travers que la VF. NJL reprend les bases de SMASH HIT COMBO mais les adapte à son propre univers et livre des lyrics plus matures, débarrassés de ces pesantes références à l’univers des gamers. En outre, le rappeur américain laisse plus de champ à son binôme Maxime Keller avec lequel il réalise de vrais duos, finalement beaucoup plus dans l’esprit Rapcore du SMASH HIT COMBO des débuts que l’interprétation de Paul. Paradoxalement, la musique elle-même est plus audible et donc plus intéressante sur ce volet anglais.
En synthèse, L33T est un album mi-figue, mi raisin. En point positif, je salue l’énorme travail d’écriture et de composition, une prod adaptée à leur musique (quoi de plus normal puisqu’elle est réalisée par le guitariste du groupe, Anthony Chognard) et la prise de risque de l’album interprété en anglais. En point négatif, je déplore le choix de doubler un très bon disque en anglais avec un disque en français médiocre et non essentiel qui ressemble presque à un caprice de MC Paul "HP", privé de chant sur l'opus anglais. Ces dix années écoulées ont vu un groupe de potes prétexte à beuveries devenir une formation professionnelle et reconnue, à la force du poignet et sans aide extérieure. La musique s'est complexifiée (notamment depuis le passage au Djent en 2013), Anthony Chognard est devenu un producteur professionnel (il en a d'ailleurs fait son métier au sein de la structure
CHS Production) tandis que son comparse, complice, pivot et porte parole du gang, le batteur Brice Hincker devenait réalisateur des vidéo clip du groupe, puis d'autres groupes (il en a également fait son métier, toujours au sein de CHS Production). Paradoxalement, ou peut-être en réaction, on dirait que Paul "HP" a stagné, ou qu'il a du mal à passer à autre chose que les rimailleries des débuts du groupe, prisonnier d'un personnage et de ce fameux syndrome de Peter Pan qu'il serait peut-être temps de dépasser.
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