Sleep - The Sciences
Chronique
Sleep The Sciences
Aujourd’hui lorsque l’on est un groupe ou un label et que l’on souhaite "vivre avec son temps", il semble nécessaire de se plier aux règles de communications de notre époque :
- Annoncer la sortie de son nouvel album plusieurs mois à l’avance.
- Diffuser un teaser qui ne dévoile strictement rien ou si peu.
- Dévoiler dans les semaines suivantes un trailer un peu plus généreux.
- Publier via quelques webzines/magazines ayant pignon sur rue, trois/quatre extraits bien choisis.
- Proposer enfin à quelques jours de la sortie (parfois le jour J) un streaming complet du dit album.
Il existe bien entendu quelques variantes (campagne participative, mise en place de précommandes avec téléchargement des extraits en sus, choix de plusieurs coloris exclusifs...) mais dans l’ensemble voilà comment se passent les choses de nos jours. Un bon matraquage qui doit ainsi permettre aux groupes d’être vus et écoutés parmi, il est vrai, un nombre toujours plus grand de sorties quotidiennes.
Du coup, lorsque Sleep annonce la sortie de son nouvel album chez Third Man Records, label de Jack White (poooooo po-po-po-po poo poooo) pour le jour même, autant vous dire que la surprise a été totale pour à peu près tout le monde. Alors oui, c’est toujours plus facile pour un groupe de cette trempe qui a marqué la scène Doom à tout jamais et dont le dernier album en date remonte à 2003. Il n’empêche que l’on ne peut qu’apprécier la beauté du geste. D’autant que le groupe n’a pas choisi la date du 20 avril au hasard puisque le "four-twenty" est considéré par tous les amateurs de weed comme la journée mondiale du cannabis. Frinch’min, c’t’bin joué.
Actif entre 1990 et 1998, Sleep reprendra finalement du service en 2009 non sans que ses membres aient trouvé à s’occuper ailleurs entre temps. Al Cisneros et Chris Hakius en profiteront pour lancer l’aventure Om (2003) et Shrinebuilder (2008) alors que Matt Pike s’en ira fonder High On Fire dès 1998. Des groupes encore en activité aujourd’hui et dont le nombre d’amateurs ne dégrossit pas. Malgré ce retour, Chris Hakius décidera finalement de jeter l’éponge juste après leur concert de reformation obligeant ainsi Sleep à trouver un remplaçant en la personne de Jason Roeder de Neurosis. Outre sa présence sur un live intitulé Denver Colorado 09.05.10, son premier véritable enregistrement avec le groupe se fera à l’occasion d’un single de tout juste dix minutes intitulé "The Clarity" sorti en 2014. Quatre années supplémentaires seront nécessaires pour que les Californiens passent enfin à l’étape suivante…
Passé la surprise de l’annonce particulièrement réussi et dont l’effet persiste encore un peu aujourd’hui, la première façon d’aborder cet album est à travers son artwork sans équivoque. Un majiruanaut en apesanteur et à la douille rougissante, baignant dans une épaisse fumée, entouré de quelques boulettes de weed flottantes... Bon, pour dire vrai, ce n’est pas l’artwork le plus réussi que l’on ait pu voir sur un album de Sleep (on lui préférera de loin celui utilisé pour la réédition de Dopesmoker) mais il a au moins le mérite de planter le décor. Car pour ne pas changer à ses habitudes, le groupe va nous parler de fumette (dans l’espace) avec "Marijuanaut’s Theme", de fantasy ("Antarticans Thawed", "Giza Butler"), de spiritualité rastafarienne ("Sonic Titan", vieux morceau présenté ici dans une version studio et non pas live comme sur Dopesmoker) et de Black Sabbath ("Giza Butler" dont vous aurez je l'espère reconnu l'hommage). Rien de bien nouveau. Et il en est évidement de même en ce qui concerne la musique qui en quinze ans n’a pas changé d’un iota.
Du coup, comment aborder ce nouvel album sans tomber dans la redite ni même sans user des adjectifs et autres superlatifs qu’imposent la musique de Sleep ? Tout cela me semble perdu d’avance car vous pouvez être certain d’une chose, c’est que The Sciences ne diffère en rien de ses prédécesseurs. Produit par Noah Landis de Neurosis, ce dernier bénéficie bien entendu d’un son à la hauteur de la puissance et de la lourdeur des riffs de Matt Pike. Car à défaut de littéralement planer comme le marijuanaut de l’artwork, vous risquez plus probablement de vous retrouver écrasé au fond de votre fauteuil. Oui, je sais, l’image est d’une facilité navrante et empreinte d’une certaine vacuité tant elle a déjà été utilisée maintes fois pour tenter de décrire la musique de Sleep mais pourquoi s’en priver tant il n’y a rien de plus vrai que cette sensation de lourdeur venue s’abattre sur notre petite personne à l’écoute des riffs impériaux de monsieur Pike. La formule dispensée par le bonhomme se révèle d’un naturel et d’une simplicité déconcertante (de gros riffs rugueux et bien chauds plaqués à une allure de sénateur entrecoupés de temps à autre par quelques solos hallucinés du meilleur effet - "Marijuanaut’s Theme" à 4:30, la fin de "Sonic Titan", "Antarticans Thawed" à 9:56, la conclusion de "Giza Butler" - où la section en rythmique alors en retrait ne se prive pas pour jammer, "The Botanist" à 2:59) mais il n’empêche que tout est là pour que cela fonctionne, de l’efficacité au feeling en passant par un sens du groove insolent et un son absolument titanesque. Même lorsqu’il se lance dans une introduction un brin plus bruitiste ("The Sciences"), la sauce finit très vite par prendre.
Alors c’est vrai que l’on a très vite tendance à réduire Sleep aux seuls riffs sabbathiens de Matt Pike. Mais il serait pourtant bien mal avisé de ne pas considérer comme tout aussi majeur le rôle de la basse ou bien encore la voix d’Al Cisneros dans le succès du groupe. Si les riffs chaloupent dans un mouvement de va et vient perpétuel, la basse nourrit elle aussi ce côté hypnotique par des lignes aux rondeurs envoûtantes sachant très bien trouver sa place et faire parler d’elle ("Marijuanaut’s Theme" à 3:13, "Sonic Titan" à 5:01, le début tout en subtilité de "Giza Butler"). Et puis il y a cette voix traînante si particulière, tel un prophète du désert, qui va se charger d’embarquer dans son sillage une ribambelle de disciples dévoués à la cause de Sainte Marijuanga.
Ceux qui décideront de sauter le pas avec ce nouvel album sauront alors à quoi s’attendre, quant aux autres et bien je ne leur apprends rien ici tant Sleep continue de faire ce pour quoi une majorité des amateurs de Doom l’idolâtre et sont prêt à payer 30€ pour un t-shirt. J’aurai pu vous parler brièvement du jeu implacable de Jason Roeder mais bon, ce dernier a depuis longtemps fait ses preuves et surtout, en dépit de toutes ses qualités, c’est bien le duo Cisneros/Pike qui tient ici la baraque. Certes, The Sciences est un album sans surprise, extrêmement facile à apprivoiser avec des compositions dont la durée n’excède pas le quart d’heure mais il n’en reste pas moins un retour tout à fait inattendu et surtout très réussi pour quiconque attendait de Sleep qu’il fasse tout simplement du Sleep. Écouté à plusieurs reprises, parfois en boucle, depuis sa sortie, The Sciences ne semble pas vouloir faiblir et s’impose finalement assez facilement comme un très grand disque du trio. Assurément l’une des sorties de l’année.
| AxGxB 29 Mai 2018 - 2286 lectures |
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