Dirt Woman - The Glass Cliff
Chronique
Dirt Woman The Glass Cliff
Les groupes de Stoner / Doom menés de mains maître par des femmes, on en compte aujourd’hui un sacré paquet. Plus qu’à une certaine époque diront les mauvaises langues qui y voit là un effet de mode plus qu’autre chose. Pourtant, de Acid King à Alunah en passant par Bathsheba, Lowen, Lucifer, High Priest Of Saturn ou les regrettés Occultation et The Wounded Kings (lors de leur période avec Sharie Neyland), on ne peut pas dire que ces dames derrière leurs micros aient fait acte de figuration, bien au contraire. Originaire de la petite ville de Salisbury dans l’état du Maryland, Dirt Woman vient s’ajouter à cette longue liste de formations qui, croyez-moi, n’ont pas à rougir de quoi que se soit et encore moins à s’excuser d’apporter avec elles un brin de féminité dans un milieu où on le sait, les femmes n’ont jamais eu beaucoup de place.
Mené par la chanteuse et guitariste Zoe Koch, Dirt Woman tire son nom d’un célèbre travesti qui aura marqué par ses frasques et son engagement la vie politique, sociale et artistique de Richmond en Virginie. Formé en 2017 sous la forme d’un duo, le groupe choisira pourtant d’embaucher dès l’année suivante les frères Kearney (basse) et Avery Mallon (batterie) pour leur prêter main forte. Une arrivée qui poussera Gabe Solomon, jusque-là batteur de son état, à s’emparer de la seconde guitare. C’est dans cette nouvelle configuration que Dirt Woman sortira à l’automne 2018 un premier EP avant de poursuivre avec la sortie il y a un tout petit peu d’un an de son premier album intitulé The Glass Cliff.
Attiré par cet artwork dont les couleurs bleue et ocre et leur agencement horizontal rappellent étrangement celles des "récentes" rééditions de l’emblématique Dopesmoker de Sleep, je n‘ai pas eu à tergiverser bien longtemps avant de me lancer à la découverte de ce premier album qui d’un seul coup d’oeil à su me mettre l’eau à la bouche. Une curiosité largement récompensée dès la première écoute de ces cinq titres particulièrement bien ficelés en dépit d’un manque d’originalité des plus flagrants. En effet, l’influence de Matt Pikes, Al Cisneros et Chris Hakius semble pour le moins évidente tout au long de ces cinquante-six minutes puisque, outre cette même prédisposition pour les titres à rallonge (deux morceaux seulement sous la barre des treize minutes), on va notamment retrouver chez Dirt Woman cet amour des riffs rampants et sournois exprimés à travers de longues séquences marquées par une cadence digne d’une procession funéraire interminable. Des riffs particulièrement pesants et entêtants (les premières notes de "Lady Of The Dunes" devraient d’ailleurs suffire à convaincre la plus grande majorité des amateurs de Stoner / Doom) que Zoe et Gabe vont naturellement aligner à un train de sénateur, sans jamais se presser, un petit peu comme s’ils étaient suspendus dans l’air et dans le temps. De ces riffs Stoner / Doom particulièrement chargés et impeccables vont s’échapper toutes sortent d’images (probablement un brin clichesques mais que serait le genre sans eux) qu’évoquent généralement ce genre de musique. Celles de déserts qui s’étendent à perte de vue, de paysages lunaires improbables et bien souvent hostiles, de femmes dénudées aux formes toujours particulièrement généreuses et de visions colorées, enfumées et complètement hallucinées. Bref, rien de neuf sous le soleil du Maryland.
Alors oui, c’est vrai, Dirt Woman fait preuve d’un très grand classicisme et ne semble pas particulièrement enclin à vouloir sortir des sentiers battus. Pour autant, difficile de ne pas tomber sous le charme de ces compositions particulièrement bien composées, de ces riffs lourdingues sur lesquels ont passe notre temps à dodeliner de la caboche emporté à chaque fois par la force et le caractère entêtant et plein de groove qui s’en dégagent, du chant de Zoe, véritable sirène à la voix lointaine et envoutante, de ces longues plages instrumentales faites pour laisser l’esprit vagabonder dans ces paysages évoqués un petit peu plus haut, de ces séquences psychédéliques et hallucinées (notamment sur l’excellent "Demagogue") capables d’apporter une couleur un brin différente à l’ensemble, de cette basse saturée aux rondeurs si délicieuses (Al Cisneros serait probablement fier en entendant l’introduction de "Demagogue") et bien entendu de cette production particulièrement massive qui va prendre un malin plaisir à venir écraser l’auditeur sous une chape de plomb dès les premiers instants de "Lady Of The Dunes" et cela jusqu’à la dernière seconde de "Starhawk". Non, vraiment, difficile de ne pas se laisser transporter par ces quelques compositions vraiment très réussies.
Fidèle à tout ce que l’on est donc en droit d’attendre d’un disque de Stoner / Doom, The Glass Cliff n’est pas le genre d’album à bousculer les codes ni à franchir les barrières imposés tacitement par un genre peu enclin au changement et à la nouveauté. Cependant, derrière cette approche qui n’offre que très peu de surprise, on trouve un groupe déjà particulièrement en place, dont le talent transpire de chacune de ces cinq compositions et dont il ne fait aucun doute qu’il a tout pour convaincre l’amateur éclairé de sonorités empruntant évidemment autant à Black Sabbath qu’à Sleep, Electric Wizard, Yob ou Windhand. Passé probablement sous les radars de la plupart à cause d’une sortie sur un label pour le moins confidentiel (Grimoire Records), The Glass Cliff mérite pourtant que l’on s’y intéresse avec soin. Laissez-vous comme moi attrapez par ce superbe artwork et plongez corps et âme dans cette musique lancinante et hypnotique. Pour le meilleur, rien que le meilleur...
| AxGxB 19 Avril 2021 - 760 lectures |
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