Manticora - To Kill to Live to Kill
Chronique
Manticora To Kill to Live to Kill
Manticora est un groupe qui a toujours su se détacher de la moindre de ses influences pour nous proposer un power metal teinté de notions progressives qu'il est rare de trouver ailleurs. En outre, la formation danoise compte parmi les grands noms de la scène power agressive en Europe, aux côtés de Persuader, Wuthering Heights ou Pyramaze (notez que ces deux derniers sont également danois) et dont l'intemporel fer de lance est Blind Guardian, avec entre autres ses premiers albums mi-heavy speed mi-power, à une époque où toutes ces notions étaient encore floues. De ce fait, sans réel adversaire, il n'a jamais été compliqué pour Manticora de se trouver une identité propre et de la faire perdurer. Le groupe en profita même pour se densifier et se complexifier: notions mélodiques avec "Darkness with Tales to Tell", apogée de la mélodie et de l'épique avec l'icônique "Hyperion", dont les paroles narrent l'histoire du space-opera du même nom écrit par Dan Simmons en 1989, jusqu'à récemment avec "Safe", sorti 2010. Et bien que les albums commencèrent à s'accumuler, les danois surent toujours proposer quelque chose de différent et d'unique de par leurs riffs, leur énergie, les ambiances posées dans cette tempête furieuse de mélodies, menée par la voix inimitable de Lars Larsen. D'aucuns vous diront qu'elle est pauvre, à la tessiture hideuse et aux mélodies répétitives; pour moi, il s'agit de la pierre angulaire du groupe. Belle, plaintive, humble mais puissante et déterminée, elle apporte cette touche mélancolique, émotive, cette notion d'humanité au milieu d'un torrent de sonorités lourdes, presques monolithiques, dont les passages instrumentaux durent plusieurs minutes sans un quelconque break. Vous l'aurez compris: Manticora n'est rien sans Lars Larsen ni sans son frère Karl, aux guitares, et son importance se confirme plus que jamais avec ce huitième disque.
D'habitude, il faut un, deux ou trois ans à Manticora pour produire un album. Alors, jusqu'à la date du 3 Août dernier, l'attente commençait à se faire longue: voilà huit ans que le groupe n'avait rien produit. Et pour cause, si tout un tas de paramètres divers et récurrents chez les musiciens creusent l'écart entre deux disques, ici l'un d'entre eux n'était pas des plus habituels: notre grand gaillard Lars écrivait un roman. Un roman, oui! Un véritable thriller, nommé "To Kill To Live To Kill", autoproduit et financé au travers d'une campagne Kickstarter. Voilà ce à quoi le chanteur passait la majeure partie de son temps. Ses camarades ne chômèrent pas pour autant: durant tout ce temps, ils produisirent un double-album centré exclusivement autour dudit roman - quel meilleur moyen pour promouvoir ses écrits! La première partie, titrée d'après le thriller, est ce fameux album, aujourd'hui à l'honneur. Il faudra attendre un an pour pouvoir écouter la deuxième partie - mais n'ayez crainte, vous aurez suffisamment de matière pour patienter pendant bien plus longtemps.
En effet, "To Kill To Live To Kill" fait partie de cette mince catégorie d'albums qu'il n'est pas aisé d'écouter d'une traite et encore moins la première fois tant il est dense. Tout d'abord, il est très long pour du power metal et même pour du Manticora: il dure une heure et neuf minutes, soit près d'un quart d'heure de plus que les trois dernières sorties. Une telle durée représente une véritable épine dans le pied pour un genre pareil (coucou Helion Prime, prend ton mal en patience, ton tour viendra) car le power metal se veut essentiellement rapide et concis. Et ces deux notions ne prennent jamais autant leur sens que chez Manticora, où chaque seconde est préservée, est consacrée à une mélodie en tremolo picking à près de 200BPM, soutenue par une batterie au rythme très martial. De quoi en décourager plus d'un! Car on est bien à l'opposé de genres qui peuvent prétendre tenir la route avec une telle durée. Et pourtant, au milieu de ces groupes qui s'efforcent de garder notre intérêt avec des albums de plus de cinquante minutes, Manticora sort du lot pour nous offrir ce qu'il a toujours fait et ce qu'il sait faire de mieux: du riff lourd, des mélodies, du chant épique, des épopées musicales
Et pourtant, cet album pourrait dérouter plus d'un fan de power car le ton est donné dès le deuxième morceau, qui suit l'opening "Piano Concerto No. 1: B Flat Minor" (autorisez-moi à abréger le nom des morceaux car ils sont tous de cette trempe), nommé "Echoes of a Silent Scream": un riff très grave, très lourd et surtout à l'ambiance macabre. Fini les beaux duos de guitare, fini les mélodies épiques et entraînantes comme avec "Cantos" sur l'album Hyperion ou "The Chance of Dying in a Dream" sur Darkness. Manticora ne s'amuse plus. Il ne nous délivre pas, cette fois, une histoire heureuse, une épopée héroïque mais bien un roman d'horreur, dans notre monde à nous, bien plus froid que n'importe quelle planète gelée dans Star Wars. De ce fait, la musique s'en fait ressentir. Le deuxième riff confirme ce changement brutal de cap tant il est agressif. On n'est plus dans du power metal mais bien dans du death. Eh oui, pour ce premier morceau, vous aurez le droit à du death metal. Les guitares sont extrêmement graves, les riffs peuvent rappeler certains de la scène floridienne, les blast beats font même leur apparition... jusqu'à ce que ne survienne la voix inchangée de Lars Larsen, claire comme à son habitude, pour nous rappeler quel groupe nous sommes en train d'écouter - sans lui, on aurait presque un doute. Et ce morceau sombre n'est nullement une exception: au contraire, il décrit plutôt bien l'album.
C'est donc un véritable changement de cap qui s'opère avec ce huitième disque: si le groupe conserve sa formule qui marche tant, il l'utilise différemment, il l'adapte aux émotions qu'il souhaite transmettre. Ainsi, il reste fidèle à lui-même et ne lasse pas totalement son public. Sans patienter, toujours dans cette vision meurtrière, le disque se poursuit avec la première partie de "Through the Eyes of a Killer" au riffs toujours aussi mauvais (dans le sens "avoir de mauvaises intentions", en soi ils sont appréciables bien que peu exceptionnels) et "Katana" en fait de même encore. Au fil que l'histoire avance, la donne change et les atmosphères font de même: une nouvelle transition s'opère à partir de l'une des nombreuses instrumentales de l'album, "Humiliation Supreme", bien plus courte que la moyenne mais bien plus dense et aux intentions toutes autres: contrairement à tout ce qui a été entendu jusqu'alors, "Humiliation Supreme" est un condensé extrêmement dense et rapide de mélodies épiques, remplies de leads et de soli terriblement techniques où, pour le moindre des guitaristes comme moi, le titre prend tout son sens. Cette instrumentale se rapproche en effet de ce à quoi Manticora nous avait habitué depuis ses débuts. Et depuis elle, on constate que l'album n'a pas totalement changé: on retrouve d'excellents main riffs, qui restent d'emblée dans la tête tant ils marquent et qui sont bien plus chargées en émotions et en mélodies que ceux des premiers titres - avons-nous changé d'album entre-temps? On citera alors la deuxième partie de "Through the Eyes of a Killer", dont le main riff est clairement le meilleur du disque, la première partie de "The Farmer's Tale", plus posée, le main riff de la première partie de "Through the Eyes..." qui rappelle vaguement celui de "The Chance of Dying in a Dream" mais en plus agressif, la présence de blast beats n'arrangeant rien... Bref, vous le constatez comme moi: si cet album se veut plus sombre et plus agressif que ses prédécesseurs, on trouvera toujours un petit filon de mélodies ou de passages plus doux à exploiter, donnant ainsi plus de relief au résultat global. Dans la première partie de "The Farmer's Tale", chaque refrain est précédé d'un break au piano et au violon, pour un total de trois ruptures en tout. "Nothing Lasts Forever", elle, est la power-ballad de l'album: jouée au piano (cet instrument est récurrent au fil de l'album, cf l'opener), elle s'ensuit de power chords lents... qui dureraient presque trop longtemps. Est-ce parce que le groupe veut nous mettre la pression en dépit d'un calme relatif - on ressentirait presque du malaise - ou est-ce parce que le morceau contraste trop avec les précédents? Difficile à dire mais les deux choix sont remarquables car ils collent tous deux à la tonalité globale du disque. Enfin, au milieu de tout cela, deux morceaux se détachent pour nous apporter la touche suprême qui démarque cet album des autres: la folie - ce dont il faut pour être tueur en série. Ces deux morceaux fous, déments, apparaissent l'un après l'autre au milieu du disque: "The Devil in Lisbon" et "Growth". La première est une instrumentale qui n'a ni queue ni tête dans le sens où on ne sait pas exactement où elle nous emmène. Les ambiances changent souvent, les notions progressives prennent leur place, on y laisse la place pour un solo de basse, des passages plus rapides, d'autres plus lent... difficile d'en ressortir avec une seule impression en tête tant tout est confus. De son côté, "Growth" reste dans la tête car il est prononcé plusieurs fois par des voix macabres, suivi de plusieurs chants étranges qui donnent une impression de cirque morbide, glauque, où la folie domine clairement. On aimerait s'échapper de cet enfer: mais le morceau dure, dure, dure... de par ses neuf minutes, ce qui en fait le titre le plus long de l'album. Neuf minutes qui, une fois passées, nous laisse penser que nous avons réchappé au plus dur: s'ensuit alors de la fameuse "Humiliation Supreme"...
Difficile donc de voir autre chose qu'un album-concept avec ce "To Kill To Live To Kill" tant tout est fait pour nous le rappeler. Plus spécifiquement, il est là pour nous rappeler à quoi il sert: être le support musical d'une oeuvre d'horreur, qui regroupe en son sein la folie, la noirceur et l'agressivité de l'homme qui n'a que pour unique but de tuer. Et Manticora réussit alors à nous servir une huitième fois sa formule inimitable, qui a fait sa renommée, et qu'il plie à sa guise pour toujours nous apporter quelque chose de nouveau. Agressivité, noirceur, lourdeur, mélodies, épique, folie: cet album est terriblement dense et c'est également pour cela que l'écouter d'une traite et en saisir tout le contenu relèverait presque de l'exploit: alors, en attendant la suite, prenez le temps de tout décortiquer.
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