Cryptic Shift - Visitations From Enceladus
Chronique
Cryptic Shift Visitations From Enceladus
Parmi toutes les promos qui passent sous mon radar, le premier album des Anglais de Cryptic Shift m'a interpellé par bien des manières. Tout d'abord, un name dropping d'influences plutôt alléchant : Morbid Angel, Timeghoul, Voivod, Vektor... une pochette et un nom d'album plutôt stylé... bref, le bel emballage - qui peut certes s'avérer empoisonné quelques fois mais je suis de nature à donner une chance bien facilement. Ni une ni deux, après quelques petites recherches, j'apprends que ce groupe est plutôt récent : fondé en 2012, officiant dans un technical death/thrash plutôt barré se rapprochant du courant sci-fi. Bref, un objet parfait pour satisfaire mon petit côté geek. Avant de me plonger dans cet album, je m'attaque aux deux autres sorties précédentes afin de pouvoir contextualiser la musique que je m'apprêtais à écouter, avec un EP Beyond the Celestial Realms sorti en 2016 et un single "Cosmic Dreams" sorti en 2017. L'EP nous offre un thrash metal effectivement très barré, comme si Vektor avait pris du speed avant de saisir les guitares. Le single montre une évolution en lorgnant vers un deathcore épileptique - ou "moderne", façon Rings of Saturn - tout en gardant des parties plus modérées. Plutôt intéressant donc mais rien d'extraordinaire. Vient alors Visitations from Enceladus.
Ces trois années d'écart entre "Cosmic Dreams" et ce premier album serviront à affiner et à maturer nettement le style de Cryptic Shift car ce sont trois années durant lesquelles le groupe s'est pleinement investi à retravailler sans cesse son style et à peaufiner toujours plus ses compositions. Et on dit que le travail finit toujours par payer : preuve, s'il en est, de la qualité exceptionnelle de ce premier album. Le groupe ne délaisse pas ses bases, au contraire, il les conforte en les revisitant du mieux qu'il peut. On a donc affaire à un mélange assez réussi de thrash et de death metal extrêmement technique, que l'on pourrait également rapprocher du courant progressif. Exit la fureur à outrance de "Cosmic Dreams" et de Beyond the Celestial Realms, place maintenant à une atmosphère plus progressive, au tempo parfois plus modéré, produite à la seule force des power-chords dissonants. Et malgré une tracklist constituée de seulement quatre morceaux, l'écoute se fera éprouvante, non pas parce que le disque est ennuyant ou mauvais, mais parce que le voyage qu'il nous fait faire nous entraîne loin de nos terres.
L'album commence par "Moonbelt Immolator", un opener culminant à presque vingt-six minutes et je dois avouer que c'est une première surprise que de voir un titre aussi long placé ainsi, en première position - généralement, dans les œuvres progressives, la "pièce-maîtresse" est servie à la fin, comme pour servir d'apothéose à l'album. Ici, c'est l'inverse : le groupe veut nous faire comprendre immédiatement sa nouvelle ambition et sa volonté de repousser toujours plus loin les limites du genre qu'il pratique. Soit ! Un titre aussi long pourrait rebuter, sur le papier, mais l'écoute se fait toute seule, débutant par une montée plutôt longue et lente avant d'enchaîner sur un premier couplet qui ne rompt pas totalement avec l'introduction. Ainsi ficelé, ce début de morceau nous entraîne progressivement de plus en plus loin, avec toutes sortes d'atmosphères extra-terrestres provoquées par les power-chords dissonants renvoyant à un Voivod assagi, avant de nous infliger un premier riff thrash façon Vektor, bien plus acéré, à partir de la cinquième minute. La machine maintenant lancée, le morceau alterne adroitement les ambiances et les mélodies pendant les vingt minutes suivantes sans jamais provoquer le moindre sentiment de lassitude. On ne dégage aucune structure claire de ce morceau, les patterns n'étant que rarement répétés - ce "méca-morceau" se compose en réalité de six titres plus petits mis bout à bout - mais malgré cela, on reste entraîné par le voyage proposé sans jamais râler car on repère néanmoins une certaine cohérence et un certain effort porté à la construction entre les différentes parties du morceau.
Avec un titre aussi mégalocéphale, je me devais de parler au moins en surface de cet opener dans un paragraphe dédié. Pourtant, après ce mastodonte, la qualité ne baisse aucunement. Après ce titre globalement mid-tempo, l'album enchaîne avec "(Petrified in the) Hypogean Gaol", à la durée autrement plus raisonnable (presque huit minutes...), morceau nettement plus rentre-dedans, démarrant sur les chapeaux de roues avec un excellent main riff thrashy qui renvoie une fois de plus à un Vektor sous champignons, histoire de réveiller l'auditeur après la balade auditive précédente. On rentrouve dans cette même optique le dernier titre "Planetary Hypnosis", lui aussi à la construction chaotique et au rythme énervé, qui diffère cependant de la structure aux relents deathcore de "Cosmic Dreams", preuve supplémentaire que le groupe a su porter à maturation son style durant ces trois années de hiatus.
Et pourtant, hormis une ou deux exceptions notables, vous ne me verrez jamais parler de riffing marqué dans ce disque. Visitations From Enceladus n'est pas un album qui se construit autour de riffs efficaces mais autour de constructions alambiquées, savamment maîtrisées, et d'atmosphères imposées à la seule force de power chords exotiques. Les guitares ne font pas tout le travail non plus : la basse occupe une place prépondérante dans l’œuvre, bien mise en avant par le mix, et qui se permet nombre de fantaisies, par exemple vers 22:48 dans "Moonbelt Immolator". La batterie joue également un rôle important, en cela qu'elle décide à sa guise si le morceau aura une structure carrée et une tonalité thrash (au travers du fameux rythme binaire ou "touka touka" qu'on peut trouver dans "Hypogean Gaol") ou au contraire jouera un pattern beaucoup plus libre et déroutant, accentuant le côté expérimental de l’œuvre. Quel que soit le style de jeu, on ne peut que saluer le talent de Ryan Sheperson à imposer une structure rythmique au morceau. Je n'en ai que brièvement parlé, mais les autres musiciens sont des monstres : magnifiques interludes aux guitares cleans ("Moonbelt Immolator" à 8:00, "Hypogean Gaol" au milieu et à la fin, "Arctic Chasm" vers 4:50 et "Planetary Hypnosis" vers 3:00), parties plus lourdes et bourrines, soli techniques sans verser dans le pompeux bref, il y a à boire et à manger dans cet album concernant les guitares - sans oublier la basse, comme je l'ai déjà évoqué.
Ce premier album est donc un franc succès pour le groupe. Il faudra un certain temps à l'auditeur avant de décanter cet audacieux mélange de death/thrash terriblement technique et un brin progressif tant Visitations of Enceladus est dense. Nul doute qu'il l'apprécie ensuite à sa juste valeur, lui qui, jamais sans verser dans l'excès, réalise un tour de force musical au travers de compositions adroitement ficelées et voyageuses.
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