Il est toujours difficile d'en vouloir à un groupe cherchant à s'extirper des carcans qui lui sont généralement imposés par le style dans lequel il évolue. Death Metal, Thrash, Hardcore, Grindcore... l'auditeur aime pouvoir se raccrocher à certaines habitudes, comme une routine familière et rassurante, surtout lorsqu'il s'agit d'un groupe ayant déjà fait ses preuves à l'occasion de démos, EPs ou albums. Si ce genre de remise en question est souvent auréolé d'un certain succès, elle n'est pourtant pas sans risques. Dans un milieu qui se veut plutôt rétrograde, le changement de cap d'un groupe comme Tribulation n'a pas été sans heurt, laissant certains auditeurs totalement circonspects et hermétiques à ce qui semblait être un groupe totalement réinventé, donc déstabilisant, donc décevant. Et bien le cas de Tribulation n'est pas isolé puisque leurs compatriotes de Morbus Chron suivent aujourd'hui le même chemin.
Après la sortie de l'excellent
Sleepers In The Rift, premier album déjà surprenant dans sa capacité à s'approprier certains codes (mélange d'influences suédoises et nord-américaines du début des années 90), les choses se sont très vite accélérées pour Morbus Chron qui s'est alors vu proposé un deal avec Century Media. Signe d'un certain goût pour l'ancien, sa première sortie sur le label allemand fut un EP 10" intitulé
A Saunter Through The Shroud. Un EP trois titres tout à fait intéressant, montrant quelques signes d’évolution mais néanmoins dans la droite lignée du premier album. Ainsi, rien ne nous avait préparé à ce revirement de situation presque suicidaire qu'amorce aujourd'hui Morbus Chron avec le plus grand flegme.
Avec
Sweven, Morbus Chron risque fort de laisser du monde sur le bord de la route. Outre cet artwork des plus oniriques que l’on doit une fois de plus à l’Espagnol Raul Gonzalez, l’album démarre tout de même sur une longue introduction de plus de trois minutes intitulée "Berceuse". De quoi inquiéter les plus sceptiques. Passé cette entrée en matière qui n’a rien de la berceuse enfantine à laquelle on pouvait s’attendre (Morbus Chron plonge en effet l’auditeur dans un registre vaporeux et plutôt inquiétant), le groupe Suédois revient à des sonorités plus familières grâce à "Chains", un premier titre qui renoue quelque peu avec ce petit côté Autopsy ayant accompagné jusque là Morbus Chron. Mais l’auditeur n’est pas dupe et sent déjà comme une envie de calmer le jeu, comme une envie de prendre à revers le fan confortablement installé dans l’écoute d’un disque qu’il pense balisé dès les premiers instants. Aussi, Morbus Chron ralenti la cadence en continuant à faire se succéder ce même maelström d’idées et de riffs, allonge ses séquences en laissant de côté le chant (il n’est pas rare que la voix de Robert Andersson soit totalement absente pendant plusieurs minutes), sème le trouble en faisant par exemple déborder quelques uns de ses titres sur les suivants (on a ainsi l’impression que "Berceuse", "Chains" et "Towards A Dark Sky" ne sont qu’un seul et même morceau), reprend un thème déjà évoqué (celui de « Berceuse ») pour conclure un autre titre ("It Stretches In The Hollow") à la façon d’un chapitre que l’on vient terminer. Bref, Morbus Chron sort des sentiers battus et se place là où on ne l’attendait pas, dans un registre à la fois progressif (ces guitares qui s’étirent en se faisant plus mélodiques et donc plus accessibles) et psychédélique (ces ambiances hallucinées et oniriques). La production, très neutre et beaucoup plus rock qu’auparavant (les guitares n’ont rien d’agressif), va justement dans le sens de cette évolution musicale, contribuant ainsi à la mise en place de ce genre d'atmosphères vaporeuses et tourmentées ("Berceuse", "Towards A Dark Sky" à 4:04, l’instrumental "Solace"). A la différence des précédentes sorties de Morbus Chron, la production ne vient pas donner cette couleur old school étouffante et poussiéreuse mais se veut le plus naturel possible, chaude et rock’n’roll à la fois.
Alors qu’après deux ou trois écoutes je ne croyais pas vraiment à ce nouvel album, force est de constater que celui-ci fait pourtant son chemin. Là où je ne voyais rien de bien captivant, je vois désormais une quantité de riffs malins et finalement beaucoup plus inspirés qu’il n’y paraît, là où l’ennuie pointait le bout de son nez assez vite, je vois désormais un disque tordu et alambiqué aux atmosphères tout à fait intéressantes (j’insiste sur le côté rêve/cauchemar qui me semble évident). Finalement, Morbus Chron prouve qu’il est possible de transcender les codes du Death Metal pour se les réapproprier d’une manière totalement nouvelle. Bien entendu, il faudra à l’auditeur la capacité de se projeter et surtout être capable de se débarrasser de ses sempiternelles attentes pour apprécier
Sweven à sa juste valeur. En fait, ce nouvel album à probablement plus de chance de séduire ceux qui ne sont pas familier à l’univers du Death Metal alors qu’il en véhicule pourtant certains éléments tout à fait évidents. Car les Suédois n’ont pas complètement décroché de ce qui les qualifiait jusque là. Un titre comme "Aurora In The Offing" suffit à démontrer que Morbus Chron sait encore y faire quand il s’agit de se la jouer old school (tchouka-tchouka particulièrement catchy, riffs abrasifs et nerveux façon Autopsy, solo cristallin et rock’n’roll, chant possédé et arraché…).
Une fois l’effet de surprise dissipé, il devient alors plus facile de s’apercevoir que derrière
Sweven se cache tout de même un niveau de composition plutôt hallucinant surtout lorsque l’on sait que les deux guitaristes qui composent Morbus Chron sont tous les deux nés en 1992. Loin d’être aussi immédiat que
Sleepers In The Rift, ce deuxième album nécessitera évidement un nombre d’écoutes conséquent avant que chacun ne puisse se débarrasser petit à petit de ses oeillères souvent trop réductrices. Je ne dis pas qu’il est facile d’embrasser la nouvelle direction choisie par Morbus Chron car effectivement l’album se destine à mon avis à un public beaucoup plus large et par nature beaucoup plus curieux. Cependant, plus je l’écoute et plus je me rends compte qu’il n’est pas aussi éloigné que je voulais le penser lors de mes toutes premières écoutes. Les Suédois font preuve d’une très grande maturité et d’une audace incroyable, surtout à cette étape de leur carrière. Sortir un tel album après avoir signé sur Century Media en sachant pertinemment être attendu au tournant par ses fans et son label relève d’une certaine assurance qui confère à
Sweven un côté encore plus convaincant. Si le non prévalait au début, c’est aujourd’hui un oui franc et sincère.
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