Je pensais en avoir fini avec 2018, d'autant que j'avais tout bouclé : les vœux, le bilan, bientôt le sapin à défaire... Eh bien non, on m'apprend qu'un album est sorti le 21 décembre, et cette personne recommande chaudement d'écouter ce qui se trame au-delà de cette jaquette simplement moche – et je pense que le groupe s'est fait une spécialité des jaquettes moches, vu que leur premier album, « Immense Intense Suspense », est un modèle dans le style !
Mais, attends, c'est qui PHLEBOTOMIZED ?
C'est un groupe dans la grande lignée du Death Metal ambitieux qui veut jouer avec les codes, issu de la scène européenne qui fait suite à la première vague des classiques du Death. Cette scène, elle compte des groupes comme
EDGE OF SANITY,
DEMILICH ou
PAN.THY.MONIUM, vous savez, ce Death qu'on appellera « avant-garde » parce que ça joue sur une quête d'un son différent, que ce soit dans l'enregistrement, les arrangements ou le fait de jouer sur des rythmiques plus progressives, beaucoup moins Death.
Autrement dit, un Death Metal qui voit plus loin que le bout de son blast beat.
Phlebotomized a cela de particulier qu'il a eu une carrière très discrète. Deux albums, un en 94, l'autre en 97 puis... Plus rien, avant des compil en 2013 et 2014, car ils avaient split en 1997. Jusque-là, Phlebotomized était pour moi un groupe que j'avais entendu vite fait, au détour d'errances, et j'étais pas resté. La faute à un son trop ambitieux pour son époque, trahi par une technique simplement aux fraises. Il suffit d'écouter
Skycontact pour se rendre compte que les idées de composition, aussi brillantes furent-elles, sont ruinées par un arrangement sans profondeur ni relief. Hélas, le son semble compressé, alors que l'on devine que le groupe rêvait d'espaces vastes, de grandeur.
Et alors, voici que vingt-et-un ans plus tard, ils nous proposent ce
Deformation of Humanity. Le temps ayant apporté son lot de groupes et de projets, 2018 est une bien meilleure époque pour produire un album de Prog Death, c'est à dire avec une rythmique qui ose varier et des claviers qui sont là pour apposer une patte, un réel plus qui définira toute l'identité et toute la personnalité d'un groupe qui, jusque là, semblait paralysé par un mastering impitoyable.
Parce que c'est ça la spécificité de ce groupe : le synthé a une place forte, sert tour à tour de colonne vertébrale ou d'élément de jonction, et déploie des trésors de créativité pour créer des ambiances, comme sur "Proclamation of a Terrified Breed", où des notes ajoutent un réel relief, où "Chambre Ardente", qui ouvre l'album sur des ambiances flottantes de songe enfiévré.
Je dis souvent qu'en matière de Death orchestral, il faut que le Death Metal soit suffisamment carré pour se suffire à lui-même, et ne pas se cacher derrière les claviers. Par ailleurs, il faut que les instruments en plus apportent une réelle valeur émotionnelle. Là, c'est le cas. Jamais l'orchestral semble en trop, ni faire cache-misère. Chaque élément a été mesuré pour crée un tout cohérent. On ne se dit jamais que l'orchestral sert à dissimuler une faiblesse d'écriture d'un Death Metal en automatique. Et jamais on pense que l'orchestral n'a pas sa place, et nuit à la solidité du Death proposé.
Équilibré est le mot, et écouter l'intro de "Until The End" permet de s'en rendre compte : tout se fait par étape et, comme il peut être fait en Electro et notamment en Minimal, la progression se fait touche par touche, et se dévoile au fur et à mesure. C'est une manière de faire qu'utilise souvent Phlebotomized dans son album. Ainsi, le synthé dans "Descend to Deviance" servira dans les transitions très Metroid-esque ou en fond, pour accompagner un riffing agressif, et apporter quelque chose de plus délicat, mais toujours pour conduire la musique vers un point d'orgue. Les solos auront ainsi fort à faire pour créer ce sentiment de grandeur. Chacun, très réussi, parachèvera un ensemble qui prend son temps pour monter, mais jamais sans lasser. On a parlé de "Descend to Deviance", mais "Deformation of Humanity" fait également montre d'une variété et d'une progression qui forcent le respect.
On citera aussi "Desideratum". C'est un parfait morceau de transition, émouvant et captivant, qui ramènera l'auditeur au propos d'un album grandiloquent, et permettra de dévoiler des inspirations que je trouve évidentes, et qui semblent puiser dans l'OST de jeux vidéo : Super Metroid ou Axiom Verge dans les nappes qui semblent venir d'ailleurs, Castlevania - Symphony of the Night pour la touche orgue qui m'évoque tout de suite les vieux châteaux d'Europe de l'Est, la Transylvanie, tout ça.
Ah, oui, et après ça part dans un gros synthé Electro, mais cette montée jusqu'à un blast qui joue avec la guitare, pour arriver à un point d'orgue... Bien fichu, ce Prog, bien fichu ! Et pas seulement morceau par morceau, mais aussi dans l'ensemble. Les transitions d'un morceau à l'autre, la séparation en grands épisodes ayant eux-mêmes leurs articulations internes... Le disque a du corps, et évoquera forcément le
Crimson de Edge of Sanity dans la structure en actes et en reprises.
Alors j'en vois certains qui diront : « Mais ce Death Metal, est-ce que parfois, il bute ? » Ah ben oui, prends "Eyes on the Prize". C'est un bon gros Death qui tâche, à renfort de blast beat, de gros growl, de riff massif, puis d'ambiance solennelle avec le synthé, qui sera là aussi pour parfaire le pied dans le black - tant qu'à faire, autant être extrême d'un bout à l'autre. Mais cette touche Black, tu la sens dans des tremolo pickings, comme dans "Chambre Ardente".
Tu auras aussi, dans chaque titre, ton moment d'intensité au cœur de l'ambiance posée. Si tu prends "Proclamation of a Terrified Breed", crois-moi qu'à plusieurs reprises, tu te sentiras bien réveillé, notamment lorsque vient cette phase tout en blasts, pour retomber sur une couche musicale au synthé, un petit solo au passage aux accents Heavy, on reprend la phase au synthé, et c'est parti, un petit blast, le synthé revient... Tout est affaire de jeux de va-et-vient, de phases qui s'entremêlent, qui échangent entre elles. C'est ça qu'on peut chercher dans le Prog : une richesse de composition, et des arrangements de qualité. On est servi là-dedans !
Cependant, la tableau ne sera pas sans défaut. Comme dit, ceux qui voudraient du Prog Death abrasif avec un mastering des plus sombres, vous n'aurez pas ça. Même les poutrages en règle le sont avec un son globalement clair – qui n'est pas pour me déplaire, mais tenez-le vous pour dit ! On est sur une musique de la grandeur, j'y trouve énormément d'éléments qui conduisent vers des cercles célestes, comme la merveilleuse montée de "Until The End".
Par ailleurs, si j'ai évoqué le fait que, globalement, l'album fait preuve d'une grosse inspiration dans l'écriture, il n'en reste pas moins que "My Dear" me semble un peu en dessous, avec des mélodies plus passe partout, et une écriture plus convenue. Un morceau qui, lui, ne surprendra pas tant il semble avoir une identité moins marquée.
Mais ce ne sont pas ces quelques éléments qui me feront bouder mon plaisir d'entendre enfin Phlebotomized dans un son qui leur permet de s'exprimer correctement ! Jusque-là, le mastering avait beaucoup trop comprimé la richesse instrumentale et musicale des néerlandais. Sur
Deformation of Humanity, j'ai le sentiment que leur musique respire enfin, et prend pleine possession de l'immensité dont ils avaient besoin pour une musique grandiose, à base de synthés qui montent jusqu'aux sommets les plus lointains.
Un album qui fait voyager et prendre de la hauteur, mais peut-être préféreriez-vous une plongée dans les abysses les plus profonds ? À vous de voir si vous êtes prêts à aller au-delà de cette cover !
Les + :
- un album solide dans sa globalité
- des morceaux individuellement impeccables (sauf un...)
- ces arrangements et ce synthé qui apportent une identité sonore à un Prog solide
- la variété dans la composition qui passe aussi bien de l'atmo, au Death, en passant par le Black tout en restant cohérent car solide sur ses appuis
- la richesse d'écriture, créant un espace sonore imaginatif très satisfaisant à l'écoute
- un aspect technique qui semble enfin rendre grâce à la musique du groupe
Les - :
- un manque de punch sur les poutrages à base de blast beats, à cause d'un mix globalement clair et d'un son qui va tout en grandeur et en côté solennel
- "My Dear", le seul morceau duquel je ne retiens rien
- disque qui peut paraître mièvre, voire cheezy, aux amateurs de sons abrasifs et d'ambiances suffocantes
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