Biesy - Transsatanizm
Chronique
Biesy Transsatanizm
Plutôt que de nous envoyer le CD promo du nouvel album de Biesy, le label avait joint à son mail une invitation pour une première à Cracovie. Ce n’était pas la porte à côté bien sûr, mais ayant fini de boucler plusieurs gros dossiers au boulot, je souhaitai me détendre et suppliai alors les autres membres de la Team de me laisser y aller. Après plusieurs semaines à les travailler au corps, je pus enfin réserver mes billets d’avions, mon hôtel, et m’envolai pour la Pologne en plein mois glacial de février. A vrai dire, je ne connaissais pas grand-chose du groupe, à part son lien avec la scène polonaise de Cracovie ; l’unique membre de Biesy, « Faustyna IHS Moreau », faisait aussi partie des dingos de Gruzja (sous le pseudonyme PR), et un premier album fut réalisé en 2017. C’était ce premier élément qui m’avait tout de suite décidé à aller à cette première, plus la perspective de passer quelques jours loin de la France.
Durant la journée, j’avais visité rapidement et avec plaisir Cracovie, et à 23h30, je sortis de l’hôtel et me dirigeai alors vers le point de rendez-vous. Personne à l’horizon, une sorte de brume promenait ses membres tentaculaires dans chaque ruelle. Très Black Metal urbain tout ça, même l’environnement se prenait au jeu, pensai-je. Arrivé devant une porte close au milieu d’une ruelle, je m’assis sur le perron et attendis. En voyant cette porte blindée, je me mis à me poser des questions : c’était typiquement le genre d’entrée pour une soirée indus/techno que l’on voit dans les films à la Blade ou Matrix. D’autres personnes arrivèrent, des journalistes, webzineurs/chroniqueurs Suédois, Anglais, Espagnols… ainsi que gens proches du groupe. Nos souffles glacés formaient des petits volutes de fumées ; chacun avait les mains dans son manteau et la tête rentrée.
Le brouhaha s’amplifia subitement et tout le monde se mit à regarder dans la même direction. Une apparition quasi-fantomatique venait de se matérialiser au bout de la ruelle. Une jeune femme aux cheveux bleus glacés, robe rouge, maquillage très voyant, tenue de latex rouge, se tenait droite face à nous. Une ceinture à balles lui barrait le torse et elle tenait à la main une sorte d’épée en fer forgé, qu’elle agitait lentement. Avec un visage imperturbable, elle s’avança lentement, sans se soucier du froid environnant, sans vraiment nous regarder, jusqu’à une porte plus loin ; trois coups et elle entra. Tout le monde se regarda, puis nous la suivîmes en file indienne.
Le silence. Le froid. L’obscurité. Puis un faible spot éclaira une scène. Et soudain, d’énormes sons de basses électros emplirent l’espace. Finalement, je ne m’étais peut-être pas trompé sur le style de cet endroit. Étant assez loin de la scène, je vis tout de même la personne de tout à l’heure monter sur scène, rejointe par d’autres membres du groupe, tous habillés dans le même style. Paillettes, maquillages bien marqués, vêtements colorés. Côté instruments, une guitare, 2 personnes aux claviers et autres machines (sûrement une qui s’occupait de la BAR). Pas de chanteur pour le moment, tout le monde attendait son apparition. Les basses se stoppèrent dans un decrescendo électronique, la guitare se retrouva seule, on sentait la tension monter, comme si quelque chose allait se produire. Et là, la surprise : nul besoin d’un membre de plus, puisque que ce fut Miss latex rouge qui assura les vocaux. Faustyna, assurément, aka PR en Drag Queen.
D’autres personnes habillées de la même façon que le groupe débarquèrent sur scène, puis descendirent dans la fosse se mélanger au reste des invités ; un mélange de couleurs pétantes s’opéra au sein de cette marée noire. La voix de Faustyna, froide, imposante et implacable planait au-dessus de l’instrumental ; alternant une voix Black Metal, une voix plus posée parlée et grave, et des cris haut perchés, elle était la maîtresse de la soirée, dictant ses ordres à la foule. Comme pour orchestrer cette fête dantesque, comme pour guider ses ouailles, elle pointait son épée vers le public et levait les bras, marchant aux rythmes sec de la batterie, tapait des talons sur le sol et continuait de hurler avec sa voix martiale, toxique et pleine de folie maîtrisée, à s’en faire péter les cordes vocales.
Au début du concert (et donc de l’album), les guitares et la batterie restaient en retrait ; peu de variations, ces deux instruments formaient une base solide sur un mid-tempo ensorcelant. Les claviers menaient la danse, similaire à certains moments à des notes de saxophones et d’orgue, déroulant leur pouvoir narcotique afin d’entraîner l’esprit de l’auditeur dans une sorte de rêverie festive mais violente tout de même. Passé le premier titre, je me rendis compte que j’avais eu tort puisque le Black Metal était tout de même de la partie. Un Black Metal urbain, désabusé mais qui ne se laisse pas aller à la tristesse et aux pleurnicheries ; un Black Metal haut en couleur, où les blast-beats et les riffs et arpèges de guitares se marient à merveille avec des beats et mélodies électros. En plus du Black, impossible de ne pas penser aussi au Metal Indus, tant dans la voix que dans l’utilisation de certaines rythmiques lourdes et dans le travail du son.
Le groupe enchaîna les titres de manière fluide, sans temps morts. Il enchaîna aussi les styles et ambiances, comme par exemple avec cette interlude purement électro industrielle, sombre et angoissante. Faustyna continua de nous gratifier de ses vocaux belliqueux et malades, et réussit même à certains moments à produire des hurlements plus hasardeux, presque attirants et sensuels. A chaque seconde, je ne savais pas à quoi m’attendre. Le groupe plaçait sur certains de ses morceaux des petites parenthèses électroniques, qui arrivaient sans crier gare, et qui d’un coup étaient remplacées par des guitares complètement pyschées, ou par des arpèges hallucinés et tapissés de doubles qui résonnaient dans le club, telles des rafales de balles. Niveau ambiance, j’ai vu des gens qui dansaient, d’autres secouer la tête, d’autres complètement subjugués par le groupe ou encore d’autres qui faisaient la tronche devant cette représentation. Dur de décrire parfaitement son ressenti face à cette chimère musicale, où le côté plus festif des tenues de scène détonnait face à la noirceur apparente de certains morceaux et leurs caractères enjoliveurs, toxiques et accrocheurs, où l’ambiance du club électro jouait aussi un rôle. Le concert se termina sur de l’électro pure, toujours aussi agressive, comme pour rappeler que Biesy ne veut vraiment pas faire comme tout le monde. Quel spectacle…
Plus tard, j'ai reçu mon exemplaire, avec cette pochette complètement barrée. A l'intérieur, je retrouvai dans le livret des photos de Faustyna et d’un autre membre du groupe, qui côtoient des paroles très crues et imaginées, faisant entres autres références à notre époque à coup de #hekatomb, Instagram et Tinder, au sexe, la religion ou encore à la drogue, paroles que je trouve finalement en complète adéquation avec le cadre de la soirée et à l'esthétique du groupe. Je prends toujours autant de plaisir à écouter cet album et à me remémorer cette soirée complètement dingue. Finir dans un club de Cracovie, entouré de Drag Queens, et à me faire exploser les oreilles par du Black Metal et des beats techno, je n’aurais jamais cru que cela m’arriverait un jour. A coup sûr, cet album ne va pas passer inaperçu, tant par sa musique qui sort complètement des carcans traditionnels du Black Metal, que par l’aspect visuel du groupe. Je repense encore à ce que m’avait dit un des invités lors de cette soirée : « Ne serait-ce pas ça, le Black Metal ? Emmerder les codes, les dépasser et déranger les esprits ? »
| Anken 24 Novembre 2020 - 1472 lectures |
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