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Bodychoke - Cold River Songs

Chronique

Bodychoke Cold River Songs
Nous autres metalleux, nous aimons écouter de la musique forte qui crie fort des histoires gores et grandiloquentes. On fait difficilement plus jouissif il faut dire, toutes ces images de guerre, de sacrifices, de dernière bataille avant la fin, ça nous régale ! On prend ça comme un plaisir d’adulte, un Disneyland pour les grands, avec la distance qui s’applique comme quand on va au spectacle.

Mais aujourd’hui, je propose que nous fassions un pas de côté au niveau stylistique, et un pas en avant vers cette imagerie marquée par le meurtre. Je propose que l’on se prenne à imaginer cela de façon un peu plus réelle, que l’on se mette vraiment dans l’esprit, urbain, moderne, actuel, de quelqu’un qui se décide à tuer, qui prend son plaisir dans le fait de tuer. Je propose qu’on s’arrête sur Bodychoke.

Le groupe fondé par Paul Taylor et Kevin Tomkins (ayant notamment œuvré dans les projets noise, death industrial et power electronics Whitehouse et Sutcliffe Jügend) n’est pourtant clairement pas le plus connu de cette scène entre post punk et noise rock. Ses albums sont d’ailleurs difficilement trouvables aujourd’hui pour qui se décidera à les acquérir : si Cold River Songs a profité d’une réédition par le label Relapse en 2009 (avec des titres bonus datant de la période d’enregistrement de l’album en 1997), Mindshaft et Five Prostitutes n’ont toujours pas connu cette chance. Certainement, celui conquis par ce mélange entre rythmique minimaliste et guitares vaporeuses et dissonantes, cette voix grave et névrosée, peut remercier le label américain qui aura donné un bel écrin à cette ultime création de la formation, tant il permet d’éviter à Bodychoke de tomber dans l’oubli tout en donnant, par le travail de mise en forme d’Orion Landau, quelques pistes supplémentaires sur ce qui mue la bande.

Et ce qui bout à l’intérieur de cette musique, ce marasme où Swans et Joy Division s’entremêlent, la grisaille anglaise envahissant des banlieues pavillonnaires bétonnées jusqu’aux jardins de leurs résidents, est ce qui ressemble à un drame aussi intime que sordide. Les paroles n’y vont pas par quatre chemins, de même que ces instruments tortueux et tortureurs où des images de gants noirs, de sang sur une chemise blanche, de cheveux décoiffés par l’effort, de sueur teintée d’éclats de rouge sur un visage rasé frais, de sourires comme des spasmes, de pulsions s’habillant de contrôle, viennent à l’esprit durant l’écoute. On ne se laisse rapidement plus avoir par la voix enjôleuse, sensuelle et virile, de Kevin Tomkins : il ne s’agit pas de séduction sur Cold River Songs mais bien d’exprimer une dérive, un passage à l’acte où, derrière les rideaux sereins et anonymes des villes endormies, mille faits divers tragiques se déroulent.

Exemples parmi d’autres de crimes méthodiques qui ne donneront qu’un encart choqué dans le journal du matin : « Control » et ses cordes magnifiques, sa basse mimant le battement d’un cœur régulier et intense ; « Your Submission » et « Ideal Home », leur spleen d’apparence anglais avant de se durcir et montrer ce qui se cache sous cette mélancolie d’apparat ; l’étrange saveur de napalm de « Victim » loin de toute idée de guerre globale, un bombardement de coups de couteau sur un lit de violons ; l’ajout « Woman Unkind » et son caractère bien trop explicite sur qui meurt et pourquoi, comme un cartel attaché à la galerie des atrocités ; dans l’ensemble, travail d’harmonie et de disjonction, le désir de chair qui se pervertit, la grâce qui se déforme et s’étiole dans une brume de l’esprit, un paradis d’horreurs.

Ces sensations, rehaussées par une mise à jour de l’édition Relapse donnant un son encore plus dur et froid qu’à l’époque (au point que quelques flashs de Neurosis s’invitent, un Neurosis qui n’aurait pas connu la libération de la nature pour éviter l’irrémédiable, cf. le titre éponyme), font de Cold River Songs le disque de Bodychoke le plus accessible et le plus jusqu’au-boutiste à la fois. Moins trouble qu’un Mindshaft, son brouillard mental se désépaissit suffisamment pour voir les monstres qu’il cache. Monstres personnels, parfaitement décrits par des compositions homogènes marchant de concert à leur rencontre, si ce n’est que les morceaux bonus sonnent un peu trop comme tels, sortent de la scène et font office de rapports d’autopsie contés par le coupable même. Moins immersifs sans être hors-sujets, ils enfoncent le clou pour qui n’aura pas succombé aux quarante-quatre minutes les précédant. Ceux s’y essayant trouveront en Cold River Songs une peinture complète d’une folie bien trop ordinaire, d’un groupe injustement oublié aujourd’hui.


Artwork de la réédition par Relapse Records


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Bodychoke
Industrial Noise Rock / Post Punk
1998 - Purity
2009 - Relapse Records
notes
Chroniqueur : 8.5/10
Lecteurs : (3)  9.33/10
Webzines : (2)  8.92/10

plus d'infos sur
Bodychoke
Bodychoke
Industrial Noise Rock / Post Punk - 1993 † 1999 - Royaume-Uni
  

formats
  • CD / 1998 - Purity
  • CD / 2009 - Relapse Records

tracklist
01.   Control  (5:46)
02.   Cold River Song  (10:07)
03.   Your Submission  (6:28)
04.   Victim  (6:02)
05.   Ideal Home  (4:02)
06.   Aftermath  (11:40)
07.   White Light Killer*  (3:26)
08.   Woman Unkind*  (4:27)
09.   Trial*  (3:06)

* Titres bonus de l’édition par Relapse Records

Durée : 55 minutes 4 secondes

line up
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