Chat Pile - Cool World
Chronique
Chat Pile Cool World
Ça y est : la retenue que je pouvais avoir concernant Chat Pile sur God’s Country n’a plus lieu d’être. Comment rester de marbre, faire la fine bouche, quand on a dans ses oreilles telle œuvre qui lâche constamment la bride, éclate les murs stylistiques, présente la substantifique moelle de notre époque ?
On se calme. On n’est pas chez Télérama ici. Oui, l’envie de porter aux nues Cool World (vous pensez à un film d’animation bizarre avec Brad Pitt ? C’est voulu) est là, d’en faire un dithyrambe sur plusieurs lignes, de citer les nombreux groupes dont on retrouve ici les traces, comme un rêve mouillé de fan de musiques bruitistes de longue date (allez, pour le plaisir : Korn, Godflesh, Daughters, Will Haven, Bodychoke, Jesus Lizard, Hangman’s Chair, 16, Pop. 1280… et tant d’autres). D’applaudir cette atmosphère crue, présente tout le long malgré une richesse de chaque instant, montrant qu’il n’y a pas ici qu’une recherche de plaisir immédiat de geek coincé dans les nineties. Qu’il y a un discours, une intention de se faire planche d’anatomie de névroses modernes, bien actuelles.
Mais on se calme. On est sur Thrashocore ici. Donc on va pointer du doigt ce qui surnage sur Cool World, ces instants où le néo metal se pare de toute sa puissance glauque (« I Am Dog Now » ; « Camcorder »), où l’industriel déroule une grisaille mentale, ciment frais dans les synapses (« Frownland »), où les refrains s’habillent d’une élégance gothique, apôtres de la décadence (« Shame » ; « Masc » ; « Milk of Human Kindness »). On notifie et on se rend compte qu’on pourrait citer chaque passage ou presque, tant on ressort ébahi par tant de fluidité, d’évidence, dans ce melting-pot d’éléments hétérogènes sur le papier magiquement réunis (« Funny Man » et « Tape » en preuves cinglantes).
On ne se calme plus. Franchement, on n’en a pas le désir, quand cela fait aussi longtemps depuis la dernière fois qu’on a croisé un album dont on pense qu’il fera date. Un coup de pute comme on les aime, Chat Pile abandonnant un peu l’école noise rock dont il était un élève assidu pour se faire un groupe-total, bourré de références (hasard du calendrier, l’album sort jour pour jour trente ans après le premier album de Korn, comme une filiation involontaire) mais désormais plus que simplement « doué ». On n’en a pas le désir, quand cela fait des semaines que les paroles scandées par Raygun Busch tournent dans notre crâne (« Must’ve been a dream I was having / Must’ve been all inside my head » sur « The New World » ; « They made tapes / It was the worst I ever saw » sur « Tape »).
On s’emporte, donc. On l’avoue, on trouve dans ses hallucinations de meurtres, ses images de creepypastas, ce palais mental de Ricains écrasés par le capitalisme qui meurt et la fin du monde qui naît, un lien qui dépasse la musique. Du genre qui n’améliore pas les choses mais qui fait un bien fou. Merci à cette immédiateté – deux écoutes suffisent pour être obsédé – qui n’oublie pas la profondeur, à cette porte directement ouverte qui fait entrer dans une maison des feuilles où l’on ne cesse de découvrir de nouvelles pièces, là une rythmique particulièrement entêtante, ici un riff qui fait le pont entre groove et concassage, sur l’ensemble une production idoine, sèche, puissante, aérienne, un organisme à part entière qui bouge, respire et gaine quand il le faut.
On arrête. Il y a assez de factuels dans ce tour de passe-passe pour dire que l’on tient là un disque important : ce syncrétisme nineties qui sonne furieusement contemporain ; ces compositions à tiroirs qui n’oublient jamais d’accrocher ; ces alternances de chant, hurlé, susurré, crooné même ; cette attention à balancer toujours un riff qui éteint toute critique… Bien sûr, la subjectivité sera toujours ce qu’elle est, trouvant que cela va trop loin par exemple, cherche à contenter tout le monde mais ne va jamais à fond quelque part. Pour ma part, je vais assumer la mienne : Cool World est là pour me marquer durablement comme un album-repère des années 2020.
Des fois, on ne peut que s’emporter.
| lkea 10 Novembre 2024 - 860 lectures |
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