Avec
Cool World de Chat Pile, l’autre disque qui dépiaute l’Amérique cette année. À croire qu’ils ont devancé l’actualité, finalement face visible d’un mal enraciné depuis un moment…
Que l’on n’en doute pas :
American Standard n’est pas un disque fier de son pays, ni même fier tout court. Quiconque connait Uniform sait que l’on a là un titre caustique et une musique qui mérite également l’adjectif. Pourtant, on pouvait craindre le rendu, notamment après cet exercice raté qu’était
Shame, ses expérimentations tape-à-l’œil mais surtout tapant à côté.
Heureusement, il n’en est rien ici. Uniform, malgré le concept entourant
American Standard, son écriture des paroles à six mains (dont deux auteurs s’il vous plaît), son objectif affiché d’introspection, maladie mentale, guérison, rechute, grand cycle de la complaisance dans la déchéance et combat contre soi, malgré tout cela donc, Uniform décide de nouveau de hurler. Et surtout hurler fort.
Ouf ! Voilà qui rassure après la vision d’une tracklist bizarrement gaulée (un titre éponyme de plus de vingt minutes, les autres se partageant la face B du vinyle). Uniform appuie, crisse, ricane, gaine et surtout hurle, comme j’adorais l’entendre hurler sur l’ultra-punk
The Long Walk. Cela commence dès les premières paroles (« A Part of Me » / « But It Can’t Be Me ») et se poursuit dans une course aux décibels usant de toutes les armes que les Ricains ont sous leurs mains. Ainsi,
American Standard est un disque marqué par son pays, comme
Shame avant lui, mais désormais pour le meilleur : tirant à tout va, explosant à la moindre occasion, il surligne chaque sentiment dans une course au déballage émotionnel qui laisse estomaqué. Bien sûr, il y a cette voix, éructée à s’en faire mal, un dégoût sale qui paraît chercher pourtant une forme de lumière dans ses appels incessants (la deuxième partie du morceau principal). Au-delà, il y a une force de la simplicité, la répétition du riff qui tue jusqu’à la nausée, montrant ici que le groupe a retenu la leçon de son prédécesseur trop chargé.
Mais il n’y a pas que sur ces vingt-et-une minutes que
American Standard épate. L’immolation nécessaire – j’en viendrais presque à dégainer un lien avec
Enemy of the Sun de Neurosis tant on retrouve ici la même radicalité à se purger – se poursuit sur « This Is Not A Prayer », « Clemency » et « Permanent Embace ». Jusqu’à une forme de beauté qui naît de cette crudité presque grossière – et qui l’est même totalement, si on considère grossier une totale absence de pudeur et une extrême affirmation de soi… Une beauté qui est celle de l’abandon physique à soi-même, « Permanent Embrace » répondant comme une libération à la lourdeur de « Clemency » et sa guitare qui écrase tout organisme (impossible de ne pas plier la tête quand elle arrive, même déjà prévenu).
Un bel exercice de mise à nu – voilà comment l’on pourrait résumer
American Standard. Clairement, Michael Berdan mène la danse dans ce disque écorché et émancipateur. La réussite tient au fait que ce qu’il traverse devient un peu nôtre durant ces quarante minutes grâce à une cohérence d’ensemble – bien qu’un déséquilibre entre le premier titre et ce qui le succède se fait un peu sentir –, une somme de bonnes idées (la présence de deux batteurs qui accentue cette sensation de rite par le feu, moderne et tribal) et, « simplement » (le maître-mot ici), une palanquée de riffs destructeurs. Uniform revient de loin, aussi bien musicalement que concernant ce que vivent ses membres. Sur les deux plans,
American Standard est bien une œuvre salvatrice.
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