Avertissement préalable. Là où le death technique décérébré de Archspire ou Ophidian I était à prendre en “facial” sans trop de réflexion dès la première écoute (parfait en fond pour sa séance crossfit), la découverte de
Gloire Éternelle nécessitera toute votre attention et un nombre de fois plus que conséquent. Outre une durée passant de 56 minutes à 1h11, le niveau de technicité monte de plusieurs gros crans.
Dasein exigeait déjà un tube de codéine pour des compositions datant parfois de leurs années collège/lycée (!?). Avec
Gloire Eternelle, presque six années se sont écoulées, First Fragment passe la puberté et ce coup-ci il va falloir transformer son cerveau en “cluster big data” pour absorber tout ce déluge de notes. Je vous mets en garde car cela pourrait en rebuter pas mal à sa découverte, moi même je passe souvent mes playlists Spotify en faisant une activité à côté. N’imaginez même pas écouter le morceau “In’el” (on y reviendra) de cette manière. Vous voilà prévenu. Toujours chez Unique Leader (véritable ovni du label) et désormais aidé du crayon classieux d’Adam Burke pour l’artwork, les Québécois verront l’arrivée du virtuose Dominic "Forest" Lapointe (Augury, ex-Beyond Creation) à la basse, le méconnu Nicholas Wells à la batterie et le guitariste Nick Miller pour remplacer le compositeur et membre fondateur Gabriel Brault-Pilon (grand frère du frontman).
Une grande inspiration, on se lance dans la chronique de ce pavé (aucunement péjoratif ici) ultra dense et technique certes mais avant tout particulièrement “mélodique”. Un fort penchant heavy des années 80 (Phil citant comme références Joey Tafolla, Paul Gilbert ou Yngwie Malmsteen) pour une quantité inhumaine de leads et soli (bien trouvé le clip du hit “Pantheum”) chaque minute, impossible à énumérer. Et quels soli ! Sans aucun déchet (un des principaux défauts à mon sens de
Desolate d’Ophidian I) et possédant “une âme” en vous titillant les sens (“Ataraxie” (3:11) ou “Soif brûlante” (5:12)). Attendez là je ne vous parle que de la guitare à sept cordes. L’arrivée de Dominic "Forest" Lapointe à la six cordes fretless va tout chambouler, répondant aux attaques injouables et incessantes de Phil Tougas par des déferlantes de slap et de tapping. Aucun morceau n’est épargné, un groove des plus jouissifs (ah cette introduction de “La Veuve et Le Martyr”) rarement atteint pour le genre. Un plaisir décuplé par un mixage généreux du duo guitare/basse et une production “organique” assez éloignée des standards death technique moderne au “son 16 bits compressé”.
La comparaison avec leurs voisins Beneath The Massacre pouvait se faire jusqu’en 2016, ce n’est plus le cas. Les aspects “brutaux” sont mis en second plan par le chef d’orchestre Philippe Tougas, oubliez donc un retour à leur EP frontal. Lui-même le dit quant au style actuel de First Fragment, je cite “du power metal technique avec des blast beats et des vocaux gutturaux”. Effectivement le chant toujours incompréhensible (oui c’est bien en français) persiste et fera pâle figure face au “shotgun” Oliver Rae Aleron, peinant en puissance et au mixage relativement obscur. Côté fûts, le batteur Nicholas Wells reprend les techniques “extrêmes” de la brute Troy Fullerton (Severed Savior), gravity blasts et vélocité déconcertante mais “jouera” de la batterie aussi. Beaucoup ont oublié, mais vous savez un jeu d’instrument difficilement programmable, enfin un “groove” (l’introduction de “Soif brûlante”) et des plans (une “quantité” déconcertante) de caisse/cymbales désormais en parfaite symbiose avec la basse ainsi que les délires shred néo classiques et flamenco de Phil. Rappelez vous de ce morceau instrumental jouissif “L’Entité” sur
Dasein, comme une excuse pour ressortir sa guitare sèche du placard. Un aspect exotique certes encore ornemental ici mais qui rajoute une énième couche de fraîcheur à la chose (dès l’ouverture éponyme, plus dansante tu meurs).
Une démonstration ahurissante de l’extraterrestre et stakhanoviste Phil seul à la barre, ce dernier reprendra d’ailleurs les compositions de son ex-compagnon Gabriel Brault-Pilon (“Sonata en mi mineur”, “Ataraxie” et “Soif brûlante”) et maillon faible (malgré tout le talent du gaillard) sur
Dasein. Le tir est désormais corrigé, un remodelage opéré (plaçant ses plus beaux soli) même si l’on sent un léger décalage avec le reste (compositions datant de 2006 et 2007 !). De ma modeste expérience de chroniqueur (les vingt années approchent, la vache…), j’ai rarement mis autant d’écoute dans un album avant d’écrire dessus. Malgré tout, certains passages auront un arrière-goût de “too much”. Surenchère paroxysmique sur les 18 minutes de “In’el” pour conclure la galette, il fallait oser. Morceau découpé en six mouvements poussant le niveau de composition en orbite, comme un défi à relever pour tous les camarades “tech” de First Fragment. A vrai dire après Ophidian I, Archspire (et Obscura qui suivra), un peu de choses “plus directes” et/ou “catchy” disséminées n’auraient pas été de refus et aurait pu décupler le plaisir d’écoute déjà immense.
Reprenez la première phrase de la conclusion de ma chronique de
Dasein. First Fragment délivre certainement l’un des albums extrêmes les plus techniques et qualitatifs de la décennie (à corriger au prochain opus), guitare mais aussi basse (ce bestiau) et batterie incluses. “Extrême” oui, cela pourra déplaire aux adeptes de leurs débuts mais l'appellation death metal semble dorénavant biaisée. Après un mois d’écoute quasi quotidienne et une semaine de cure pour reposer la chose, rien n’y fait,
Gloire Éternelle demeure un pur bonheur musical. Chaque nouvelle écoute vous fera encore plus apprécier la galette, vous commencerez à décoder et à comprendre l’algorithme fou de composition. Gloire à eux.
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