On n’y croyait plus. Un enregistrement prévu initialement en 2013, le départ du batteur Philippe Boucher (Beyond Creation, Chthe'ilist, Décombres, Incandescence), les moult « side-projects » du guitariste prodige extraterrestre Philippe Tougas (Chthe'ilist, Zealotry, Serocs, D.D.T.) et pourtant... Six ans après leur démentiel et unanimement adoubé EP
The Afterthought Ecstasy, les Québécois dévoilent enfin leur premier album
Dasein » (« existence » en allemand, reprenant le concept du philosophe Martin Heidegger… Ne comptez pas sur moi pour vous l'expliquer) désormais sous l’étendard Unique Leader et épaulé du bassiste Vincent Savary. Amputé de son frappeur, First Fragment ne renouvelle pas la B.A.R et fera appel aux services de la brute Troy Fullerton (Severed Savior) pour enregistrer le matraquage de peaux. Préparez la citrate de bétaïne et l’aspirine, il va falloir digérer le bestiau.
Comme l’a si bien développé notre mal-aimé mais regretté Yaourt dans sa chronique fleuve de
The Afterthought Ecstasy, First Fragment ne réinventait pas le style mais le rendu final était ahurissant d’efficacité et de richesse pour une puissance de frappe mélodique paroxysmique, éclipsant d’une traite toute une concurrence de plus en plus uniforme. A l’instar de ces groupes il puisait ainsi dans le death technique actuel (Spawn Of Possession, Necrophagist, Gorod, Obscura), les aspects progressifs des classiques 90’s (Atheist, Cynic, Theory In Practice) et la brutalité moderne écrasante d’un Beneath The Massacre. Une brutalité pleinement affichée ici, le rapprochement avec les géniteurs de
Incongruous est inévitable : un chant testostéroné encore plus guttural mais quasi-impossible à décrypter (oui il hurle bien en français) et des passages brutal death technique denses aux frasques sweeping/tapping « 8 bits » épileptiques. Constat fait dès l’ouverture « bulldozer » imparable « Le serment de Tsion » (avec un joli crachat de fin) qui aurait pu aisément figurer (« straight in your face » et méchamment accrocheur) sur leur précédent méfait. Aucune réel bouleversement donc puisque tous les titres (exceptés « Prélude en sol dièse mineur » et «Archétype ») ont été composés entre 2004 et 2010 (leurs années collège/lycée…). First Fragment garde donc la recette de son death technique mais pousse le niveau de composition et de technicité plusieurs (gros) crans au-dessus. Très peu facile d’accès voire même parfois rebutant, impossible pour votre cortex cérébral de ne pas commencer à vaciller en milieu de parcours. Ne pensez-pas écouter l’album en fond sonore de manière désintéressée, il vous faudra un nombre d’écoutes minutieuses plus que conséquent afin de commencer à apprivoiser ce déluges de notes et breaks ô combien alambiqués.
Une écoute aidée malgré tout d’une production exemplaire (puissante, claire et sans artifice) du Humanoise Studios au côté de Mathieu Marcotte (Augury, Humanoid) ainsi que d’un mixage parfaitement équilibré de Hugues Deslauriers (Augury, Defilementory, Vengeful). Vous vous délecterez (enfin) des notes vrombissantes de la savoureuse basse fretless du nouveau venu Vincent Savary et des incalculables subtilités de jeu des guitaristes allant jusqu’au flamenco de l’instrumental « L'entité » (un des titres majeurs de la galette). Des expérimentations et passages progressifs qui feront ici néanmoins offices d’ornement (intro/outro et quelques breaks), laissant la part belle aux salves violentes et aux envolées technico-mélodiques de Phil, colonne vertébrale de First Fragment. De vagues de soli aux teintes néoclassiques redoutables et interminables que l’on retrouve évidemment sur chaque morceau (sans exception) avec même parfois des virées heavy/power digne d’un Malmsteem. Je pense que l’on pourrait développer son jeu sur plusieurs pages, les adeptes seront comblés, quel guitariste… Cela sans compter les invités de prestige tels que Christian Muenzner (Spawn Of Possession, Alkaloid, ex-Necrophagist, ex-Obscura) sur « Mordêtre et Dénaissance », Mathieu Marcotte (Augury, Humanoid) sur « Archétype », Malcolm Pugh (Inferi, A Loathing Requiem, Diskreet) sur « Evhron » et Collin Mcgee (Elderoth) sur le monstrueux « Gula ».
Rayon baguettes, on connaît la vélocité et la force de frappe chirurgicale du bébé de Severed Savior, un jeu froid et martial (frisé primaire en double croche) qui sied parfaitement lors des passages brutaux up tempo (le gaillard monte à 280 BPM sans broncher sur « Psychan » et balance même quelques gravity blasts). Mandale tu prendras. Mais l’oreille plus attentive malgré quelques syncopes, cela paraît très limité (caisse et cymbales) et contraste nettement avec les innombrables subtilités des guitaristes et du bassiste. Que ce soient sur les teintes progressives ou les variations de riffs impromptus, l’inspiration n’est clairement pas au rendez-vous (les introductions du morceau éponyme ou « Evhron » comme meilleurs exemples). Appelé à la rescousse, je serai tout de même indulgent, le gaillard fait amplement le job mais j’ai hâte d’entendre la nouvelle recrue Samuel Santiago (ex-Gorod).
Alors nouvelle pierre angulaire du genre ? Malheureusement non. Le sans faute (6 titres, 6 hits) et sans temps mort
The Afterthought Ecstasy frôlait la perfection et forcément la comparaison se fera. Sur
Dasein First Fragment semblera légèrement moins efficace, la faute à quelques passages peu inspirés disséminés sur « Dasein », « Émergence », «Archétype » (gros point noir du disque à mon sens) ou « Voracité (Apothéose, partie 1) ». Il en ira de même pour le joli interlude acoustique un peu maigre de « Prélude en sol dièse mineur ». Manque de bol ce sont donc les compositions du deuxième guitariste Gabriel Brault-Pilon qui pèchent… De très courts passages rattrapés par un solo démentiel de Phil ou une accélération furieuse, les aspects où le groupe excelle en somme. Une déception, minime soit elle après six ans d’attente.
First Fragment confirme sa stature et balaye littéralement la concurrence death technique (a fortiori ses camarades d’Unique Leader), faisant passer leurs compositions pour des comptines au ukulélé. La transition de 27 à 56 minutes ne se fera malgré tout non sans mal. Outre une digestion lente et minutieuse nécessaire afin d’assimiler le pavé sonore, l’écoute subira quelques moments de flottement de suite rattrapés par un break annihilateur et/ou accrocheur porté par l’inhumain Phil. L’uppercut
The Afterthought Ecstasy n’est pas égalé mais la richesse ahurissante des morceaux (je découvre encore des arrangements) de
Dasein, sa brutalité et mélodie parfaitement associées en font un des albums majeurs du genre.
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