Je me faisais la réflexion hier soir en prenant un bain moussant tout en écoutant la dernière œuvre d'un pianiste minimaliste russe, qu'en fait, je déteste les œuvres minimalistes au piano. Et aussi, sans doute, que je commençais à vieillir plus que je ne le pensais, puisque je prends des bains le soir en écoutant du classique, merde. Je vieillis à tel point que j'aurai bientôt l'âge des musiciens que j'écoute depuis des années. Enfin l'âge qu'ils avaient à l'époque, hein, je ne vais pas soudainement les rattraper, je n'ai pas encore trouvé la DeLorean adéquate. Cela dit, je me rends compte que ma génération va également commencer à arriver au pouvoir, et c'est exactement ce qui se passe sous mes yeux ébahis : enfin un groupe de jeunes qui ne fait pas du deathcore. Et quand je dis jeunes ce n'est pas un euphémisme, les guitaristes sont nés en 1984 (Philippe Tougas, également membre de
Chthe'ilist) et 1991, le batteur en 1989, le bassiste en 1992 (les deux derniers n'ayant pas joué sur cet EP), ce qui fait que pour la première fois dans mon illustre carrière je chronique un groupe dont les trois quarts des membres sont plus jeunes que moi. C'est mon estimable (entendez par là vénérable – entendez par là vieux) collègue Niktareum, qui avait fait la promotion des Canadiens de First Fragment sur notre forum. C'est à peu près la seule chose intéressante qu'il ait faite, mais je lui pardonnerai bien volontiers, car il aura du mal à nous dévoiler de meilleurs groupes dans le futur, même en cherchant longtemps, ce qui risque de le conduire à un âge canonique. C'est bien la nouvelle formation de brutal death technique la plus intéressante de sa (jeune) génération que je m'apprête à encenser, et pourtant la concurrence est pléthorique.
First Fragment malgré ses origines québécoises ne pratique un brutal death technique que peu influencé par ses compatriotes, on est ainsi très loin du bouillonnement bordélique de Cryptopsy ou de Gorguts, le groupe possédant une approche bien plus moderne, empruntan à Beneath The Massacre (et l'on s'arrêtera là pour le Canada) pour la brutalité, l'aspect deathcore en moins, à Odious Mortem pour les mélodies coup-de-poing, à Spawn Of Possession pour les interludes précédant la tempête, et à Severed Savoir pour quelques moments d'accalmie qui parsèment des titres extrêmement variés. Un superbe programme plus riche encore que cette description ne laisse présager, puisque malgré l'inexpérience (relative) de ses musiciens, First Fragment propose des titres d'une maturité qui subjugue. Si les influences sont là, elles ne transparaissent même pas forcément dans un riffing très personnel, qui a d'ores et déjà trouvé sa propre voie, virtuose sans complexifier jusqu'à l'overdose, efficace sans jamais manquer de subtilité. Nombre de formations bien plus anciennes peinent à atteindre cet équilibre délicat, et si l'on ne manquera pas de noter que le premier riff de « Fake Repentance » ressemble à du Beneath The Massacre, ce sera pour mieux s'émerveiller devant l'accélération de « Paradoxal Subjugation » qui souffle encore plus que les meilleurs moments d'un
Incongruous pourtant plus récent que ce
The Afterthought Ecstasy. First Fragment évite avec brio le piège de l'unidimensionnalité et alterne les tempos, les densités et l'intensité en une partition magistrale, qui conjugue l'efficace, le brutal et l'incisif avec la beauté de l'acoustique ou de superbes envolées mélodiques. Grande oubliée du metal moderne, la dynamique joue un rôle prépondérant dans les compositions des Canadiens, et c'est un bonheur que d'entendre ces six titres s'étoffer, se complexifier et exploser dans un déluge de blasts parfois digne des grandes heures de Origin.
Tout comme les bourrins du Kansas, les musiciens de First Fragment épatent par leur aisance technique, distillant sans retenue sauts de corde, tappings et sweeps sur des tempos dans la moyenne du style (230 en moyenne, le propos n'étant pas une course à la vitesse, malgré des pointes vers 250), qui leur permettent de proposer un riffing très original, comme celui de « Paradoxal Subjugation », sublime apothéose qui résume à elle seule tout ce qui fait l'intérêt du brutal death technique. Autre preuve de l'intelligence et de la maîtrise du groupe, le tracklisting de
The Afterthought Ecstasy va du plus facile à appréhender, avec un « Ordnance » déjà très bon, au plus complexe avec donc un « Paradoxal Subjugation » qui devrait rester dans les mémoires, permettant d'assimiler en douceur un EP qui ne se laissera pas si facilement apprivoiser. Si les musiciens n'hésitent pas à faire en sorte que les riffs brutaux le soient vraiment (« tout le monde calé en double-croche et roule Marcel »), c'est surtout dans le travail mélodique que réside le plus grand intérêt de First Fragment, grâce à un souci du détail digne des influences pré-citées. Si « Ordnance » paraît très classique au premier abord, il dévoilera toute la richesse de sa progression dès son pont en tapping que précède une nuée de solos mémorables ; tout comme, là un groupe lambda se serait contenté de la rythmique finale de « Paradoxal Subjugation » (désolé de toujours en revenir à ce petit chef d’œuvre), les Canadiens ajoutent une guitare lead qui lui apporte du relief et de la profondeur à ce fade out. Le groupe a bien compris que la qualité réside dans le détail, et ces six compositions font montre d'une minutie qui tutoie souvent des sommets, comme sur l'intro du titre éponyme, digne des meilleurs groupes de death technique. Si demain ils arrivaient à faire évoluer subtilement leurs riffs au sein d'un même titre, nos cousins de la Belle Province auraient tout pour s'imposer comme l'un des groupes les plus aventureux du style.
The Afterthought Ecstasy est une pièce d'orfèvrerie qui ne laissera aucun amateur de brutal death technique indifférent, ne comportant aucun défaut visible, aucun élément repoussoir puisque le chant est des plus efficaces et classiques, et que la production est plutôt bonne, surtout pour un groupe autoproduit.
Pouvait-on espérer mieux de la part d'un groupe si jeune ? Honnêtement non, et même si les mélodies ne sont pas toutes aussi mémorables et percutantes que peuvent l'être celles de Spawn Of Possession, Decrepit Birth ou Odious Mortem, ce
The Afterthought Ecstasy place d'ores et déjà First Fragment parmi les meilleures formations de (brutal) death technique en activité en offrant un songwriting infiniment plus convaincant que ceux de Ophidian I ou de Beyond Creation, pour rester dans les nouveaux venus d'un style qui a le vent en poupe. Certes, un mix plus équilibré pourrait laisser plus de place à la basse, qui au passage pourrait également avoir des envolées plus mélodiques (ce qu'on excusera par l'absence d'un véritable bassiste), et les titres pourraient être un peu plus longs, en proposant une légère modulation autour des thèmes principaux comme Spawn Of Possession sait le faire, au lieu de se contenter de répéter les mêmes riffs– mais ce n'est certainement pas un reproche que l'on peut faire à un groupe qui n'en est qu'au stade de son premier EP, surtout vu la qualité des riffs en question. Voilà plus d'un an que mon exemplaire tourne régulièrement, et jamais ces vingt-sept minutes n'ont commencé à me lasser.
Et c'est là que First Fragment subjugue : si les points à améliorer portent sur des détails, c'est que leurs compositions sont de la qualité de leurs influences, proches de l'aboutissement dans l'un des genres les plus exigeants et compliqués du metal extrême : de très loin le meilleur premier jet de l'histoire du style. Un exploit incroyable de la part de musiciens aussi jeunes qui nous fera suivre d'un œil très attentif la carrière des Canadiens, dont le premier album devrait sortir à la fin de l'année si tout se passe bien. Ils entrent en studio sous peu et ont besoin d'un peu d'argent pour financer cette prochaine sortie, j'encourage donc la nombreuse population amatrice de brutal death technique ici présente à acheter
The Afterthought Ecstasy directement auprès du groupe, si vous voulez que le plus gros espoir de la scène puisse cette fois-ci enregistrer son premier album dans de bonnes conditions, avec un line-up complet de surcroît. D'ailleurs, si comme Exivious ils passaient par une plateforme comme Kickstarter pour récupérer des fonds, je serais le premier à détourner le trésor de guerre de Thrashocore pour le leur reverser, et sans beaucoup de protestations j'imagine puisqu'une bonne partie de la rédaction (celle qui a du goût) est déjà tombée sous le charme. Et, promis, cette fois-ci, on ne mettra pas trois ans à en parler, même si à mon âge, on a tendance à laisser les choses traîner en longueur.
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