A voir aujourd’hui une scène metal mainstream qui se vautre honteusement dans le registre festif et potache frôlant l’amateurisme, il deviendrait presque difficile de croire qu’il existe des groupes qui apprennent à jouer avant de sortir des albums. Heureusement dans cet article, le doute ne sera pas permis, et cela en toute objectivité, car l’adjectif qualificatif « technique » de l’album du jour est entièrement mérité. C’est dans le contexte d’une scène death metal mélodique suédoise qui entame son déclin que Spawn of Possession fait ses premiers pas. Signe des temps, un trio formé autour de Jonas Bryssling et Jonas Karlsson aux guitares, et de Denis Röndum à la batterie et au chant, préfère se tourner sans hésitation vers l’école américaine du death. Après deux démos prometteuses et le recrutement de Niklas Dewerud à la basse (déjà vu chez Visceral Bleeding au passage), le groupe enregistre son premier full-length, nommé
Cabinet, pour une sortie en janvier 2003.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que les Suédois n’ont pas souhaité faire de concessions. Reprenant la grande majorité des morceaux déjà présents sur ses deux démos, Spawn of Possession s’inscrit sans conteste dans la lignée la plus brutalement technique du death metal de l’époque, l’influence des pères Suffocation étant assez évidente dans cette manière de faire son death très tassé mais adroit. Pour le brutal, un growl très profond, une très grande rapidité d’exécution, un panel de riffs rouleaux compresseurs, et pour la tech, la finesse mélodique et des cassures rythmiques multiples. Affublé d’une pochette assez générique mais pas à côté de son sujet pour autant, avec cette ambiance horrifique, anticléricale sous-jacente (audible dès la petite introduction plus confirmée par les textes de Röndum) et ses riffs vicieux, le groupe arrive à donner un ton bien particulier à son album (comme il le fera sur ses deux opus suivants). Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si Bryssling citera l’influence de l’album
Vile des bouchers de Cannibal Corpse sur le son de guitare et la composition. La production est à ce titre puissante et entière, surtout avec le croustillant des guitares qui confère un charme très légèrement old-school, mais assez délicieux. Une fois le disque lancé pour une première écoute, on est immédiatement étourdi par la force de frappe et le niveau technique sidérant du groupe, qui se permet de livrer malgré tout des compositions efficaces présentant rapidement de nombreux points d’accroches. Le très concis « Swarm the Formless », avec ses riffs très directs et agressifs, ouvre ce bal brutal de la meilleure des façons, et au fil des morceaux les qualités les plus évidentes de Spawn of Possession ne mettent pas longtemps à éclater à nos oreilles.
Röndum s’impose vite comme un batteur-pieuvre assez hallucinant, la démonstration en étant faite avec les trente premières secondes impressionnantes de « Hidden in Flesh » (vérifiez si votre mandibule inférieure n’est pas tombée par terre entre-temps), entre blast-beats ébouriffants, ses fill et breaks à n’en plus finir. Si la basse est assez bien mise en valeur quand ses lignes s’éloignent des guitaristes, ce sont sans aucun doute ces derniers qui sont au cœur de la musique de la bande. Si les harmoniques sifflées font parties de leur vocabulaire courant au milieu de leur tricotage continu, c’est sans aucun doute au rayon des soli qu’ils convainquent sans attendre. C’est bien simple, le feeling des plus grands est présent du début à la fin, dans des échappées toujours très mélodiques, parfois épiques, comme sur le titre éponyme ou celle, dantesque, de « The Forbidden ». Sur « A Presence Inexplicable », on n’aurait pas trop de mal à croire que c’est Schuldiner lui-même qui est sorti de sa tombe pour rejouer. Dans le registre de la vitesse pure, les accélérations peuvent être fulgurantes au point de vous coller à votre siège (sur « Dirty Priest » ou l’intégralité du classique « Church of Deviance »), et les growls suivent un rythme infernal, même si leur apport n’a rien de spécial, hormis quelques effets utilisés à bon escient pour donner un peu plus de relief. On préfèrera s’arrêter sur un groove parfois tout simplement irrésistible, comme lors de l’entame de « Inner Circle » et ses harmoniques sifflées encore une fois totalement jouissives, ou sur l’imposant « The Forbidden ».
Evidemment les premières écoutes pourront être éprouvantes face à un death metal aussi brutal et riche, mais une fois que l’on commence à disposer de la carte heuristique de l’album, cela devient un véritable régal de naviguer dans cette mine de mélodies et de riffs assassins. Plus encore, c’est là qu’apparait le metal de Spawn of Possession dans ce qu’il a de plus brillant : il est en vérité digeste et aérien comme rarement le death a pu l’être, devenant alors une véritable leçon de composition. La finesse et l’esthétique mélodique visée ici est assez inédite, influencée par un certain Eucharist dans sa manière de transcrire le raffinement de la musique classique dans le death metal, et également par des compositeurs comme Mendelssohn, Bach ou Chostakovitch, dont l’écriture était déjà virevoltante pour leur époque. Cela abouti à des développements mélodiques bien présents, comme sur les ponts de « Hidden in Flesh » ou du terrible « Spawn of Possession ». L’album conclut avec panache sur l’excellent « Uncle Damfee » qui ouvre timidement la porte vers les futures sorties du groupe, avec des passages parmi les plus enlevés du disque, et un riff final évoquant presque la cadence comme pour conclure une œuvre classique. Bien sur cette musique peut paraitre particulièrement difficile à aborder dans son intégralité, mais elle est extrêmement gratifiante des efforts que l’on consent à lui accorder. Si tout cela est rendu possible par le génie de Bryssling (en charge de la quasi-totalité des compositions) et le niveau technique hallucinant de l’ensemble des musiciens,
Cabinet ne souffre que du défaut majeur de ne jamais vraiment varier son propos, et ainsi parait vite très linéaire, malgré l’excellence individuelle de chaque piste. La formule, ne contenant pas encore les délicates touches jazz de ses successeurs, reste quelque peu aride.
Cabinet vise une certaine efficacité, même comparé à la suite du parcours des Suédois, mais dès ce premier essai, Spawn of Possession était déjà un monstre de virtuosité évitant toute démonstration stérile, et s’extraira aisément de la masse. Les Suédois ce sont rapidement affirmés comme précurseurs d’un nouveau courant du death technique de leur décennie, grâce à leur musicalité si particulière. Si l’éclat de
Cabinet n’est modéré que par son côté unidimensionnel évoqué plus haut, le groupe fera preuve d’une grande intelligence en corrigeant successivement le tir sur
Noctambulant et
Incurso, avec une pertinence qui donnerait presque des doutes sur l’utilisation de la roue de Deming. Malheureusement, au moment où votre serviteur écrit ces lignes, Spawn of Possession a déclaré sa mort sans achever un quatrième album que beaucoup attendaient. Mais sait-on jamais, Bryssling est un renard qui aime prendre son temps et nous l’a déjà prouvé par le passé. Nous pouvons encore raisonnablement brûler des cierges…
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