En presque cinq années de bons et loyaux services à ce qui est devenu depuis que je l'ai rejoint le meilleur webzine metal de France et de Navarre, jamais je n'avais autant fait tourner un cd promo dans ma platine avant de le chroniquer, puisqu'à l'heure où j'écris ces lignes je ne suis pas loin d'avoir écouté
Incurso pour la quarantième fois. Bien sûr, je me doutais qu'il allait falloir quelques essais pour être en mesure de me faire un avis définitif sur le nouvel album de Spawn Of Possession, les six années séparant ce nouvel album de l'excellent
Noctambulant ayant laissé à Bryssling, tête pensante du groupe Suédois, le temps de composer une cinquantaine de minutes d'un brutal death toujours aussi technique, retors et virevoltant qu'il est dense – en notes par seconde comme en changements de rythme. Alors je l'ai écouté, écouté encore pour apprendre au bout de longues heures à anticiper la survenance de ces mélodies subtiles, ces accélérations fulgurantes et ces vocaux supersoniques, afin de me laisser savourer l'album dans son intégralité sans même y penser. J'ai même attendu de recevoir la semaine dernière le pressage définitif de l'album, Relapse étant l'un des derniers labels au monde avec lequel il est agréable de collaborer, là où les autres nous laissent du mp3 bas de gamme si l'on veut participer à cette course idiote à la primauté de la chronique à laquelle semblent se livrer quelques webzines étrangers. Grand bien m'en a pris d'ailleurs puisque le promo d'origine était amputé de « Deus Avertat », ce qui en dit long sur le sérieux de ceux qui s'amusent à parler d'albums qu'ils n'ont même pas écoutés en entier. C'est pourquoi sur Thrashocore on prend notre temps pour vous parler sérieusement de notre passion commune, chers lecteurs, car on est comme ça : on vous doit plus que la musique. Et si avec des slogans pompeux comme ça vous n'êtes pas convaincus de la rigueur de la démarche, je ne peux plus rien pour vous.
Malgré six années de silence, le style de Spawn Of Possession, ce brutal death technique très sombre, mais aux influences d'un classique noble prononcées – notamment par les périodes romantique et moderne, que tout amateur de musique mort depuis suffisamment longtemps se devrait de connaître – est reconnaissable dès les premières notes de « Abodement », intro dans la droite lignée de ce que le groupe a pu proposer sur
Noctambulant. Il y a pourtant eu les changements de line-up, les allers et retours de vocalistes pour qu'au final ce soit Dennis Röndum qui reprenne le micro au plus grand bonheur des fans qui redoutaient les possibles errements de Chalky, l'arrivée à la batterie de Henrik Schönström que l'on n'avait plus entendu depuis 2006 et le
Warnaments de Torchbearer , et la pige que l'on espère longue du bassiste mercenaire Erlend Caspersen (encore meilleur ici que sur
Of What's To Come et
Anatomize) ; bref malgré de profonds remaniements,
Incurso pourrait être identifié comme du Spawn Of Possession même par un sourd, voire un fan de néo metal, qui par nature conjugue la première tare à une déficience mentale sévère. Que tous les fans de Spawn Of Possession se rassurent, s'il y a bien du changement chez les Suédois, la philosophie de Jonas Bryssling, qui a une fois de plus tout composé, n'a pas changé d'un iota et le groupe évolue toujours à la marge du brutal death technique grâce à des riffs virevoltants qui s'enchaînent plus rapidement qu'un masochiste au radiateur du club cuir & moustache. La musique du groupe est donc toujours aussi complexe, tant au niveau des rythmes si changeants que des phrases mélodiques, atypiques même au sein du brutal death technique ; et pourtant le rendu est très efficace, le refrain de « Spiritual Deception » en devenant même catchy – un adjectif que l'on n'utilisera pas souvent pour qualifier les compositions de Spawn Of Possession.
Si la recette demeure globalement la même que sur les deux premiers albums,
Incurso apporte pourtant son lot de plaisantes nouveautés : le nouveau batteur a un jeu encore plus impressionnant, plus étoffé et varié que celui de Röndum tout en étant moins porté sur le matraquage de la caisse claire que lui, faisant de la batterie, qui était clairement un des points légèrement faibles des Suédois, une nouvelle force. C'est exactement la même chose pour la basse, qui a enfin l'occasion de s'exprimer pleinement en s'écartant nettement des lignes de guitare et grâce à un mixage qui lui rend enfin grâce, et l'on peut désormais se délecter de l'énorme travail de Erlend Caspersen, notamment sur « Deus Avertat », tout en louant son audace sur le court solo de basse au milieu de « Apparition ». Du côté des compositions, ce sont tous les passages un peu faciles (c'est un grand mot) comme le début de « Eve Of Contempt » ou les mid-tempos à la « Sour Flow » qui passent à la trappe, ce que certains ne manqueront pas de regretter, car ce nouvel album se veut plus véloce, plus dense et plus hermétique encore que
Cabinet, ce qui rompt avec la dynamique un peu plus directe imprimée par un
Noctambulant plutôt grand public. Mais c'est là une évolution salvatrice et osée, car Spawn Of Possession n'emprunte pas le chemin de la facilité en proposant à ses fans des titres comme « The Evangelist » ou « Where Angels Go Demons Follow » où la profusion de détails risque de rebuter ceux qui préféraient le style plus intimiste de
Noctambulant.
Pourtant je dois le dire, jamais un album de brutal death technique ne m'aura mis une aussi grosse baffe ! Là où Decrepit Birth a sorti une merveille de richesse mélodique avec
Diminishing Between Worlds, là où Origin a conçu le rouleau compresseur ultime avec
Antithesis, Spawn Of Possession livre avec
Incurso une œuvre qui allie avec un talent inégalé la brutalité du death metal le plus sombre et tortueux aux mélodies subtiles et réfléchies du death technique. Redisons-le, Jonas Bryssling est un compositeur hors-pair qui a réussi à parfaitement assimiler les influences les plus diverses pour composer des titres uniques, en faisant montre du génie instinctif propre à Schuldiner comme de la minutie érudite de Jarzombek, pour un résultat que je ne pouvais honnêtement pas imaginer meilleur. Jouant aussi facilement des dissonances de « Bodiless Sleeper » que des harmonisations et des contrepoints, ce nouvel album est une merveille absolue qui renferme des trésors d'inventivité, comme la progression harmonique à 3:40 sur « No Light Spared » ou le refrain de « The Evangelist », dont les presque dix minutes paraissent quelques secondes tant ce titre est phénoménal. Chaque riff fourmille d'idées nouvelles, tous les musiciens apportent perpétuellement leur touche personnelle et tous les titres suivent une courbe de progression impressionnante, rajoutant du détail à un riff déjà dense comme sur « Deus Avertat » ou en amenant de nouvelles harmonisations à des phrases proposées quelques secondes auparavant. Et quand on croit avoir fait le tour de la question, ce sont de superbes solos qui viennent nous ravir, surtout que les quelques apparitions de Muenzner sur « Spiritual Deception » et « Apparition » sont au moins aussi intéressantes que son travail sur
Cosmogenesis, ce dont on ne peut que se réjouir après ses quelques errements récents.
Certes,
Incurso est un album complexe et particulièrement difficile à interpréter, mais ce n'est pas tant le niveau technique ni la vitesse d'exécution qui impressionnent, le tempo étant soutenu sans être impressionnant avec un 220/230 de moyenne : c'est surtout la finesse d'écriture qui laisse béat d'admiration. Si jamais vous trouvez un équivalent à la quatrième minute de « Spiritual Deception » ou à « No Light Spared » faites-moi signe, car je n'avais jamais rien entendu de pareil, Spawn Of Possession parvenant à rendre une musique si ostensiblement démonstrative parfaitement efficace, et au final encore plus délectable grâce à ses multiples dimensions et la richesse du registre où elle évolue. Et juste avant de lasser le groupe parvient à faire un dernier pied de nez à la concurrence en proposant un visage différent, l'omniprésence du clavier sur le très rapide et plus simple « Apparition » donnant une nouvelle couleur à la musique du groupe, qui semble envoyer un message à toute la clique du brutal death grandiloquent à la Fleshgod Apocalypse en leur disant : « regardez les gars, c'est comme ça qu'on doit faire ».
Le seul moment un peu décevant car trop rythmico-rythmique se trouve à 3:07 sur « Deus Avertat », mais le riff évolue intelligemment en l'espace de quelques secondes et se transforme en rampe de lancement pour un magnifique solo dont Bryssling a le secret. Oui, vous lisez bien, sur cinquante-deux minutes je n'arrive à trouver qu'une poignée de secondes vaguement inférieures à la perfection absolue du reste de cet album, ce qui me fait dire sans l'ombre d'une hésitation que
Incurso est le meilleur album de brutal death technique qu'il m'ait été donné d'entendre, devant même les deux chefs d'œuvre américains cités plus haut. Le seul véritable défaut de cet album, ce qui fait que je ne peux pas décemment lui accorder la note maximale même si j'en ai furieusement envie, c'est bien évidemment sa production. Globalement claire et jouissant d'un bon équilibre entre chaque instrument – quoique la basse aurait pu être mise légèrement plus en avant – elle pèche pourtant dans la spatialisation, et l'impression de se retrouver face à un mur sonore compact ne quittera jamais l'auditeur déjà malmené par la densité des compositions. Pourquoi diantre mettre toutes les pistes de guitare au centre ? Sans devenir pour autant brouillon, le son en perd en clarté et, à moins d'écouter l'album avec un bon casque et quelques réglages inhabituels, le rendu laisse invariablement à désirer, surtout quand on a connu l'excellence de
Diminishing Between Worlds. Et pour continuer dans la comparaison avec Decrepit Birth, les aigus des guitares sur
Incurso sont bien trop crus et agressifs : là où la rondeur du son de Matt Sotelo paraissait être un nuage délicat d'harmoniques, celui de Bryssling se fait trop « harsh », comme disent ces étranges êtres aux cheveux sales que sont les guitaristes, et il vrille le tympan délicat des mélomanes que nous sommes. Bien évidemment c'est un choix volontaire de la part de l'homme à tout faire de Spawn Of Possession, ce son très cru étant déjà présent sur
Noctambulant et surtout sur
Cabinet, mais cette fois-ci l'ensemble est moins harmonieux et gâche un peu l'écoute d'un album pourtant jusque là on ne peut plus proche de la perfection.
En presque cinq ans je n'avais jamais écrit quelque chose d'aussi dithyrambique à propos d'un promo ou d'un album d'actualité que j'avais acheté avant de le chroniquer. Certes j'ai mis une note équivalente à
Antithesis et
Diminishing Between Worlds, mais contrairement à
Incurso ces deux albums souffraient de défauts mineurs respectivement dans les compositions ou l'interprétation, là où la seule production et le choix du matériel coûtent à
Incurso un 10/10 que j'avais longtemps hésité à lui mettre pour marquer sa supériorité musicale. D'une richesse inégalée, le nouvel album des Suédois parvient à conjuguer le meilleur de tous les aspects du brutal death technique et allie une efficacité dantesque à des mélodies mémorables. Je plains sincèrement ceux qui, par manque de volonté, de temps ou simplement parce qu'ils n'arrivent pas à concevoir que l'on ne puisse créer une musique pareille que par le prisme de la complexité, passeront à côté de ce joyaux si méticuleusement taillé. Les autres se laisseront emporter avec joie dans ce tourbillon furieux, en profitant aussi bien des performances d'un vocaliste toujours aussi impressionnant et des virtuoses dont on se demande comment ils ont pu mémoriser leurs partitions que de la musique de Spawn Of Possession pour ce qu'elle a de plus immédiat et efficace. En attendant on peut aller les voir pour une de leurs rares tournées en France du 27 mars 1er avril, et une bonne partie de la rédaction sera là pour applaudir le groupe qui finira sans doute tout en haut de notre classement annuel.
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