Malgré l’impact du premier album de Carnivore sur la scène new-yorkaise et son apport évident au développement d’un nouveau genre particulièrement florissant dès la seconde moitié des années 80, tous les voyants ne sont pas nécessairement au vert du côté de Brooklyn après la sortie de ce premier longue-durée. En effet, le guitariste Keith Alexander n’est vraisemblablement pas très emballé par l’orientation que souhaite donner Carnivore à sa musique et décide donc de quitter le navire pour aller rejoindre le groupe de Thrash Primal Scream NYC. Loin de se laisser abattre par cette défection soudaine, Peter Steele et Louie Beateaux embauchent dans la foulée un certain Marc Piovanetti afin de le remplacer. Le trio quelque peu revu et corrigé va alors reprendre du service et sortir en 1986 une démo trois titres intitulée
U.S.A. For U.S.A. à laquelle succèdera la même année sur Roadrunner Records un EP baptisé
Carnivore Pre-Release (EP qui finalement n’est autre qu’une version vinyle de cette dite-démo). Il faudra ensuite attendre près d’une année supplémentaire pour voir Carnivore revenir par la grande porte avec sous le coude un deuxième album très attendu.
C’est en effet en septembre 1987, soit un tout petit peu moins de deux ans après un excellent premier album éponyme, que les New-Yorkais reprennent d’assaut les scènes Thrash et Hardcore avec la sortie toujours sur Roadrunner Records de
Retaliation. Un disque une fois de plus illustré par Sean Taggart qui pour l’occasion est tout de même aller acheter quelques crayons de couleurs histoire de nous offrir enfin un artwork digne de ce nom. Ce dernier signe pour le coup une illustration particulièrement emblématique qui trouvera rapidement son pendant européen avec la sortie de
Persecution Mania de Sodom seulement un mois plus tard. Du côté de la technique, Carnivore a une fois encore sollicité l’expertise de Mike Marciano ainsi que celle d’Alex Perialas (Anthrax, Metallica, M.O.D., Nuclear Assault, Overkill, Testament, Vio-Lence...) avec qui il avait déjà collaboré par le passé lors de l’enregistrement des trois titres de sa démo
U.S.A. For U.S.A.. Enfin, pour ce qui est du mastering, celui-ci a été confié à monsieur Tom Coyne qui lui aussi connait son sujet pour avoir déjà travaillé avec des groupes tels qu’Agent Steel, Artillerie, Deicide, Infernäl Mäjesty, Mercyful Fate...
Auréolé ainsi d’une production bien moins sujette aux affres du temps que celle de
Carnivore,
Retaliation démarre au son d’un "Jack Daniel's And Pizza" qui rappellera probablement de bons souvenirs à nombre d’entre vous… Une introduction où Peter Steele (enfin j’ose espérer que c’est bien lui) donne tout ce qu’il a, du plus profond de ses tripes. Bref, Peter Steel dégueule dans les chiottes de son appartement et s’enregistre pour nous en faire profiter à chaque nouvelle lecture. Mais ces cinquante-six secondes, aussi fun et douloureuses pour l’estomac soient-elles ne servent néanmoins que de mise en bouche si je puis dire puisque là n’est évidemment pas le point d’orgue de ce deuxième album. Un deuxième album à l’exécution plus assurée et à la technique bien plus solide qui voit un groupe délaisser ses habits de lumière (je parle de ses costumes empruntés aux accessoiristes de Mad Max The Road Warrior) et s’orienter vers une musique embrassant pleinement la fibre Punk / Hardcore qui l’animait jusque-là en partie seulement. Bien entendu, on trouve encore un petit peu de ces éléments Doom (le break de "S.M.D." (pour Suck My Dick) à 0:53 ou celui de "Inner Conflict" à 2:14, les premières et dernières minutes de "Ground Zero Brooklyn", "Jesus Hitler" et ses très forts relents sabbathiens...), Thrash (l’entame en fanfare de "Angry Neurotic Catholics", "S.M.D." à 1:20, "Technophobia" et son riffing nerveux et affûté) et Hard Rock / Heavy Metal (le solo de "Jesus Hitler" à 3:12, cette reprise de Jimmy Hendrix "Manic Depression", l’instrumental "Five Billion Dead" et sa mélodie particulièrement entêtante...) mais c’est bien sur ce
Retaliation que Carnivore embrasse pleinement la définition de ce qu’est le Crossover. D’ailleurs, de ses deux albums c’est également celui où les bribes du Type O Negative à venir sont certainement les moins perceptibles.
Bref, si ce deuxième album reste effectivement marqué par une certaine variété de propos, c’est tout de même bien du côté de la scène Punk / Hardcore (new-yorkaise) qu’il verse essentiellement avec tout un tas de séquences menées pied au plancher à grand coups de tchouka-tchouka (les premiers instants de "Angry Neurotic Catholics" et "S.M.D.", "Race War" à 4:07, le début de "Inner Conflict", "Sex And Violence"...) et autres passages pour le moins soutenus et parfois un brin foutraques ("Ground Zéro Brooklyn" à 1:16, le très Thrash "Technophobia" qui dans ses paroles signe le retour des "Enfants de la Technologie"...). Ces nombreuses accélérations sont accompagnées de riffs à trois notes particulièrement simples et dépouillés qui se concentrent ainsi sur l’essentiel à savoir une efficacité immédiate. Certes, ces derniers ne sont pas parmi les plus mémorables que le genre ait porté mais ils contribuent à cette énergie et à cette intensité qui émanent de ces quarante-quatre minutes particulièrement abrasives et directes. Dans le même ordre d’idée, la basse ultra-saturée de Peter Steele dont on se régale tout au long de l’album n’est pas sans faire son petit effet, notamment lorsque celle-ci, dans une tradition purement Punk / Hardcore, prend momentanément la direction des opérations comme par exemple sur "S.M.D." à 1:58, "Ground Zero Brooklyn" à 1:48, "Inner Conflict" à 1:19 ou bien "Sex And Violence" à 0:14. Carnivore ayant mis l’accent sur l’urgence avec ce deuxième album, Peter Steele se devait de poser des lignes de chant plus assurées. Si la chose ne posait aucun souci sur les parties les moins intenses, ce n’était pas forcément le cas lors des moments les plus dynamiques et rapides avec, on s’en souvient, des placements effectivement un tantinet hasardeux et même certains mots complètement bouffés. Deux ans plus tard, le Green Man semble beaucoup plus à l’aise dans cet exercice qui consiste à débiter le plus de mot possible en l’espace de seulement quelques secondes. Bon, on a toujours le sentiment qu’il y a trop à dire et pas suffisamment de temps pour le faire mais dans l’ensemble, Peter Steele s’en tire beaucoup mieux sans pour autant sacrifier à ce sentiment d’urgence qui prédomine ici. Enfin, et même si
Retaliation s’impose dans les grandes lignes comme un album particulièrement direct (encore une fois, les liens qui unissent monsieur Steele à Agnostic Front et à la scène Punk / Hardcore new-yorkaise n’ont jamais été aussi évidents qu’ici surtout lorsqu’on l’entend scander un
"United We Stand, Devided We Fall"), on appréciera que Carnivore ait su y apporter une petite touche de groove particulièrement plaisante à travers notamment quelques breaks bien sentis qui ne manqueront probablement pas d’en faire chalouper quelques-uns ("Angry Neurotic Catholics" à 1:42, "S.M.D." à 0:54, "Inner Conflict" à 2:15, "Technophobia" à 0:51 et 2:24, « U.S.A. For U.S.A. » à 1:50…).
Ainsi, sans pour autant changer son fusil d’épaule,
Retaliation offre à l’auditeur une formule Crossover affinée et définitivement orientée Punk / Hardcore. On y retrouve bien évidemment quelques traces du passé mais de manière plus épurée et discrète. De même, le groupe s’affirme ici dans l’écriture de ses compositions ainsi que dans leur exécution définitivement mieux maitrisée et cela sans impacter cette urgence et cette intensité qui faisaient déjà le sel de son prédécesseur. Malheureusement, ce deuxième album signera la fin de l’aventure Carnivore (du moins en studio puisque le groupe ne sera pas sans se réunir à nouveau en 1996 puis entre 2006 et 2010 à l’occasion de quelques concerts seulement). La suite, on l’a connaît, puisque Peter Steele ira fonder Repulsion (qui quelques mois plus tard deviendra Type O Negative) et dont le premier album intitulé
Slow, Deep And Hard sera d’ailleurs constitué de nombreuses idées à la base destinées au troisième album de Carnivore... Bref, en deux albums le groupe de Brooklyn aura quelque peu bouleversé certains standards et permis en effet de développer (avec d’autres) ce genre qu’est le Crossover. Certes, ces deux albums puent parfois un peu trop la provocation gratuite, l’immaturité et l’urgence mal maitrisée mais c’est bien cela qui fait leur charme. Quoi qu’il en soit, ce
Retaliation est un incontournable pour tous les amateurs de Crossover et un monument du genre pour tous ceux qui s’intéressent de près à la scène Punk / Hardcore new-yorkaise à qui Carnivore à beaucoup apporté. En somme, il s’agit là d’un classique, ni plus ni moins.
1 COMMENTAIRE(S)
21/10/2022 20:43
Bon, il ne reste plus que Fall Out maintenant.