Ah, c'est fou le nombre de choses qui pourraient être bien « sans » quelque chose. Tenez : Paris pourrait être une ville agréable sans personne dedans, le parti socialiste pourrait être crédible sans Ségolène Royal, et la pochette du nouvel album d'Augury pourrait être mille fois plus belle sans l'oracle dessus. D'ailleurs, ça m'embête un peu qu'il soit sur le design du pack cd/t-shirt qui est arrivé « seulement » trois semaines après que je l'ai commandé, mais ce n'est pas un drame vu la qualité de
Fragmentary Evidence. Si vous lisez cette chronique longtemps après la sortie de l'album, c'est simplement parce que j'attendais d'avoir l'objet entre les mains, de pouvoir tester sa production avec un vrai matériel hifi et pas devant mon PC avec cette idée absurde d'Ipool qu'a adopté Nuclear Blast. Vous vous souvenez sans doute du petit buzz qu'a créé
Concealed en France, à sa sortie canadienne d'abord puis à sa sortie française via Adipocere Records. Il faut dire que des albums d'une pareille qualité, on n'a pas l'occasion d'en entendre tous les jours, et Augury avait déjà à l'époque adopté un style très original, mêlant un excellent brutal death à des éléments très progressifs et mélodiques. Pas étonnant qu'un groupe d'une telle trempe, et sans aucun doute en passe de se faire une réputation internationale, se fasse repérer puis signer par Nuclear Blast, qui est assurément le plus gros label de metal extrême actuellement, et commence à se faire un joli catalogue death technique avec des noms comme Arsis, Decrepit Birth ou désormais Augury, donc.
Le sticker sur l'album est très rigolo d'ailleurs : « pour les fans de Cynic, Death, Arsis et The Faceless ». Soit pour les trois premiers, mais je ne suis pas sûr que les fans des mécheux de The Faceless aux rythmiques balourdes et au chant ignoble apprécient l'extrême raffinement du brutal death progressif d'Augury. Car fondamentalement, le style de
Fragmentary Evidence est très similaire à celui de
Concealed, à la différence notable que Arianne Fleury qui se chargeait de toutes les parties de chant féminin sur le précédent album n'est plus là. On retrouve toujours un subtil mélange de riffs death metal très rapides et efficaces soutenus par les growls très profonds de Partick Loisel et de plages très aériennes, extrêmement mélodiques et calmes. Les transitions entre ces deux types de parties sont toujours amenées avec une admirable prudence, étalant pendant des minutes des riffs qui en sont à mi-chemin, à la fois blastés et growlés mais saupoudrés de superbes tapping et d'envolées de basses d'un Forest en pleine forme, avant qu'une cassure soudaine n'intervienne (la transition en douceur vers le changement brutal, en voilà un beau concept). Bien que Antoine Baril l'ait remplacé depuis, c'est encore Étienne Gallo qui joue l'intégralité de morceaux de l'album, et le moins que l'on puisse dire c'est que son jeu n'a pas changé : il s'adapte toujours merveilleusement bien au style tour à tour délicat et direct d'Augury. Restent des expérimentations sublimes et apaisantes comme l'intro de « Jupiter To Ignite », qui aurait très bien pu figurer sur le précédent opus du groupe sans y faire tache une seule seconde. Tous les éléments caractéristiques du style si unique d'Augury sont bel et bien là, et font de
Fragmentary Evidence une évolution logique de
Concealed tout en lui conférant une personnalité propre.
Mais n'allez pas pour autant croire que les différences ne soient pas là :
Fragmentary Evidence est sensiblement plus death metal que son prédécesseur, dans le sens où les passages calmes font désormais énormément penser à du death technique (il y en a plusieurs exemples par morceau : le break à la quatrième minute de « Simian Cattle », la partie qui succède à l'intro sur « Orphans Of Living », l'intro de « Oversee The Rebirth » pour ne citer que les plus évidents ) alors que des passages comme l'intro de « Beatus » ou les parties en chant féminin et à la guitare acoustique sur « In Russian Dolls Universe » ou « The Lair Of Purity » ont pour leur part totalement disparues. Ce n'est pas pour autant que la musique d'Augury est devenue moins subtile, et j'irai même jusqu'à dire qu'elle l'est beaucoup plus : les moments de répit se conjuguent désormais en plusieurs couches d'arpèges et de tapping aussi bien de guitares que de basse, en slap, en slides délicats... auxquels le groupe nous avait certes habitué mais qui sont ici omniprésents dès lors que l'on n'est pas dans un riff exclusivement brutal.
Si
Fragmentary Evidence a gagné énormément en technique, il est aussi plus brutal que
Concealed, n'hésitant pas à accélérer brusquement, à développer des riffs d'une intensité qui ne fût guère démontrée que sur un « Ever Known Peace Again » sans concessions. Mais il est à noter que contrairement à ce même morceau, aucun titre de ce nouvel album ne reste constamment brutal : il y a toujours au moins une accalmie salvatrice qui vient aérer chaque composition. Toutes les facettes d'Augury sont présentes dans chaque morceau de l'opus, renforçant encore plus la cohérence et la couleur de cette œuvre que je me dois de qualifier de magistrale.
Car hormis « Aetheral », de loin le morceau le plus brutal de l'album mais aussi le plus linéaire, manquant singulièrement de variations (ainsi que comportant un guest de Sven de Aborted, ce qui de mon point de vue n'aide pas), et qui n'arrive pas à la cheville de « Ever Know Peace Again » ou « Becoming God » dans un style similaire,
Fragmentary Evidence ne comporte pas de titres faibles. J'irais même jusqu'à dire qu'il ne comporte pas de passages faibles, tant il est d'une grande cohésion ; et il m'est impossible de ne pas tomber en extase devant des moments magiques comme l'intro de « Skyless » ou le final de « Sovereigns Unknow ». Pourtant si individuellement les morceaux sont tous excellents, ce n'est pour moi qu'à partir de « Jupiter To Ignite » que l'album décolle vraiment, « Simian Cattle » et « Orphans Of Living » manquant un poil de fantaisie par rapports aux très contrastés « Brimstone Landscapes » et « Oversee The Rebirth », ou au sublime « Skyless ». Mais sur les deux derniers tiers de l'opus, il n'y a de mon point de vue pas de critiques à formuler, tous les morceaux y étant touchés par la grâce que l'on connaissait déjà au groupe. Comment ne pas être admiratif du jeu si merveilleux de Forest, qui transcende ses limites à la basse fretless et atteint des degrés de perfections que seul Steve DiGiorgio peut prétendre avoir atteint sur un album de death metal ? Comment ne pas être envoûté par les ambiances si singulières qui sont ici développées ?
D'aucuns déploreront sans doute la disparition du chant féminin, et je peux les comprendre. Car hormis le sublime guest de Leilindel, accompagnée de Syriak, qui rappelle aisément les meilleurs moments de Unexpect, un groupe que j'admire autant que Augury, il n'y a effectivement plus trace de présence féminine sur
Fragmentary Evidence. J'ai longtemps cru que cette facette du groupe, partie intégrante de son style si particulier, rendrait Augury moins original et moins attrayant si elle venait à manquer – c'est même une sensation que j'avais même aux premières écoutes de ce second album. Mais en fait il n'en est rien : si le chant féminin me manque effectivement, la subtilité des compositions, le travail mélodique constant et les variations vocales de Patrick Loisel toujours aussi nombreuses suffisent à conserver pleine et entière toute l'originalité du groupe. Après tout,
Concealed n'était pas perpétuellement couvert par la voix d'Arianne Fleuy, alors que c'était déjà le cas avec celle de Patrick Loisel. Ne cherchez pas, pas plus aujourd'hui qu'à la sortie de
Concealed vous ne trouverez un autre groupe qui sonne de la manière : Augury a son style unique, qui tutoie souvent la perfection, et c'est tout ce qu'on lui demande.
Autre reproche à formuler : la production est moins claire, moins explosive, plus compacte que celle de
Concealed, j'ai l'impression qu'elle est moins définie dans les graves, ce qui renforce d'autant l'aspect étouffant des passages brutal death, et rend un morceau comme « Aetheral » encore plus monolithique qu'il n'est déjà. Mais hormis ça il n'y a pas grand chose à redire : on entend absolument tous les instruments, la basse ressort admirablement bien, et je me dois de signaler le magnifique son clair émanant de la guitare de celui qui utilise un ENGL (ceci n'est pas une pub, mais si vous faites du death technique, utilisez ENGL), qui illumine littéralement une bonne moitié de l'album.
Définir le style de
Fragmentary Evidence me paraît bien compliqué, même une fois que l'on a posé la base de brutal death. L'étiquette « brutal death technique progressif » semble la plus appropriée, mais différencier le « technique » du « progressif » est impossible, les deux sont trop intimement liés, et à aucun moment je ne pourrais faire une liaison directe entre Augury et un groupe de death technique ou de death progressif, à l'exception notable de Humanoid où jouent également Mathieu Marcotte et Forest. Mais quoiqu'il en soit, l'important c'est que le nouvel Augury est un album d'exception, fruit du travail de musiciens hors pairs ayant une démarche aussi originale que leur musique est riche en contrastes et en moments de pure grâce. Est-il aussi bon que son prédécesseur pour autant ? Ma réponse à chaud sera : pas tout à fait, car un début d'album un peu moins remarquable que le reste, couplé à la nostalgie du chant féminin me font lui préférer
Concealed. Il faut aussi dire qu'aux premières écoutes de
Fragmentary Evidence je pensais lui attribuer une note aux alentours de 8 ou 8,5 maximum, mais plus je l'écoute et plus il me séduit. Ce nouvel album d'Augury marque clairement un tournant : bien plus compacte, dense, agressive, et beaucoup plus difficile d'accès, la musique du groupe ne peut espérer être vite apprivoisée, et n'accroche pas autant que par le passé. Personnellement, je resterai toujours pantois d'admiration devant un morceau comme « Becoming God » qui arrive à conjuguer technique et facilité d'accès, ou devant le violoning et les solos de « Beatus ». Cet aspect à la fois simple et travaillé a disparu au profit de compositions complexes, mais les fans s'y retrouveront pour la plupart, alors que ceux qui étaient réfractaires au côté trop propre du chant féminin et des accalmies à la guitare acoustique devraient y trouver leur compte. À quel point le nouveau Augury est-il bon alors ? Soyons clair, il écrase plus que largement 90% des albums de death metal actuels, mais je ne saurais lui mettre une note aussi haute que le 9,5 que j'aurais accordé à
Concealed, un chef d'œuvre que je prends toujours autant de plaisir à écouter presque 5 ans après l'avoir acheté. Quant à savoir s'il détrônera
Cosmogenesis d'Obscura pour le titre de meilleur album de death technique de l'année, c'est une chose qu'il ne sera possible de savoir qu'après des dizaines et des dizaines d'écoutes, le temps que
Fragmentary Evidence délivre tous ses secrets.
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