"Before the Glinting Spell Unvests" m'ennuie. Au sens figuré, s'entend.
Je me souviens de ce petit matin d'Avril 2016 comme si c'était hier. Les yeux encore collés, café à ma droite, cendrier à ma gauche, je navigue à vue, farfouillant les tréfonds de Bandcamp et Blogspot. Un peu par désœuvrement, et beaucoup pour repousser une certaine soutenance de mémoire à préparer... Bref.
True story, c'est après m'être pris le cul par les anses avec l'un de ces fameux
"Allez, un dernier skeud, et je m'y colle !" que mes yeux s'arrêtent tout net. Happés par ce bleu profond, ce logo sibyllin, ces pauvres hères tourmentés par quelques bestioles peu avenantes : ma première rencontre avec
"The Spoor of Vipers". Journée foutue pour les études, mais gagnée pour un Sagamore qui venait de connaître un vrai coup de foudre.
C'est que ce tout premier jet d'Ustalost porte, encore aujourd'hui, bien son nom : une fois les crocs plantés, le venin infusé, difficile de s'en défaire, de penser à autre chose. Un Black Metal aux relents vaguement psychédéliques, drapé d'habits d'ermite, hanté par les riffs uniques et les glapissements lointains d'un Will Skarstad qui venait de signer l'une de ses plus belles œuvres en tant que musicien. On savait le bonhomme très compétent en matière de tricot sur six cordes, mais personne n'était vraiment préparé à ces six sortilèges couchés sur cassette et cire noire - respectivement par Sibir Records et Gilead Media. De la vraie magie noire, entêtante à l'extrême, renfermant chœurs religieux, atmosphères changeantes et insondable solitude. Un disque à user, révélant ses secrets au fil de minutieux déshabillages, qui n'entamaient jamais son intensité, ni son aura. Unique !
Dire que le successeur était attendu serait donner dans l'euphémisme. Et Gilead aura eu le temps de nous faire mariner : il s'est passé quelques années entre la première annonce d'une nouvelle sortie, et son accouchement, dans la douleur. J'en ai usé mes molaires, à force de ronger mon frein. Forcément, avec une telle
hype, on prend le risque d'être déçu. Difficile de faire mieux, c'est entendu, mais allait-il faire
moins bien ?
L'album a su me rassurer, d'une certaine manière : c'est loin d'être mauvais. On y retrouve tout ce qui fait le charme de son prédécesseur... En beaucoup plus travaillé, oui,
professionnel... Quitte à perdre toute la spontanéité qui conférait à
"The Spoor of Vipers" son aura. On quitte définitivement les morsures ophidiennes : les reptiles sont domptés, relégués au rang de figurant, encadrant les nouveaux espaces qu'Ustalost explore, en six titres, et quarante minutes d'un Black Metal enregistré directement sur cassette, au beau milieu des bois. Non,
"Before the Glinting Spell Unvests" n'est pas une déception. Enfin, pas une
vraie, en tout cas... On y retrouve, encore et toujours, ces riffs de sorciers, ces claviers d'un autre âge rotant leurs boulettes de naphtaline (et ce, dès l'intro du disque), ces éclats de voix en forme de bris de verre qui lacèrent une production devenue, au fil du temps, presque moelleuse. Là où son grand frère désorientait, déboussolait sans cesse en bousculant l'auditeur au gré de ses cassures de rythme et ses grands éclats de synthé, ce petit dernier est apaisant, réconfortant - un peu trop confortable, en fait... Et commun.
Oui,
"Before the Glinting Spell Unvests" séduira certainement les amateurs de grands espaces, les inconditionnels du guide Chamina, les acharnés des GR... Comme beaucoup d'autres groupes classés "Nature & Découverte". Je suis taquin, mais j'ai peine à m'enthousiasmer d'avantage pour un disque qui m'évoque des paysages très communs, presque quelconques, les mêmes montagnes, les mêmes putains de conifères à perte de vue, l'odeur omniprésente de la sève... C'est très bien fait, et c'est incontestable. Les six titres qui composent cette nouvelle sortie sont foutrement bien composés, avec de beaux riffs, de belles trouvailles, et toujours ce chant qui rend fou. Mais c'est surtout beaucoup moins enivrant, et sans grande personnalité. Où Diable sont donc passés les délires enfiévrés qui faisaient les plus belles heures de
"The Spoor of Vipers" ? Quid de cette ferveur quasi-religieuse qui imprégnait ces chœurs fantomatiques et ces percées mélodiques tour à tour inquiétantes et ravageuses ?
Difficile de trancher, voilà ce qui m'ennuie. Je suis très binaire, comme garçon : c'est bien, ou c'est chiant. Mais là, Will, tu m'emmerdes. Mon côté bien luné voudrait empiler les n-ième : une nouvelle couronne de lauriers à Ustalost pour un nouvel opus objectivement réussi, sans réel défaut majeur. Mais soyons réaliste : j'ai écouté cinq ou six fois ce
"Before the Glinting Spell Unvests", avant de l'oublier. Et pire encore, de ne pas en retenir grand chose - quand j'ai mémorisé, à force d'écoutes, toutes les tournures de son aîné. En fait, on pourrait le résumer ainsi : un très bon disque de Black Metal, mais un Ustalost assez décevant, car impersonnel, et passe-partout. A dans six ans ?
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