Des "Furia", dans la scène extrême, il y en a un bon paquet. Comprenons les, le patronyme s'impose de lui-même lorsque l'on veut jouer une musique aussi véloce qu'agressive. La furie n'est pourtant pas ce qui caractériserait au mieux l'art si particulier et poignant joué par le quatuor polonais. Quand d'autres formations restent engoncées dans l'éternel concours du "La mienne est plus grosse que la tienne", rivalisant de vitesse et de technicité, Furia cherche plus à instaurer une ambiance qu'à foncer pied au plancher.
Non, le fond de commerce de Furia est plus à chercher du côté de la mélancolie, couplée à un certain sens du drame, un
feeling, une ambiance qui le fait clairement sortir de la masse grouillante des groupes de Black Metal polonais. Membre du collectif
Let the World Burn aux côtés de MasseMord (groupe avec lequel ils partagent d'ailleurs des membres), Furia officie depuis 2004 dans un genre qu'ils ont réussi à s'approprier, y apportant des touches expérimentales bien senties et des constructions rythmiques peu communes pour mieux le transcender. Après deux albums très au dessus du lot commun, "Martwa Polska Jesień" ("Automne Polonais") et
"Grudzień za grudniem" ("De Décembre à Décembre"), le combo sort en 2012 le bien nommé "Marzannie, królowej Polski" - ou "Marzanna, reine de Pologne", déesse slave associée à la mort, sujette à de nombreux festivals traditionnels en Pologne, où son effigie est brûlée pour symboliser la fin de l'hiver. Les paroles empruntent pourtant plus au désespoir et à la haine qu'aux bulletins météorologiques d'Evelyne Dhéliat et autres calendriers des PTT, comme pourraient le laisser supposer les titres de leurs sorties.
"Marzannie, królowej Polski" reste dans la droite lignée tracée par le groupe, en proposant, au cours des sept titres le composant, un univers aussi personnel qu'éprouvant pour l'auditeur. L'album est résolument Black Metal, comprenant sa dose de blast-beats (saluons au passage l'endurance et la technique du batteur) et de riffs en tremolo-picking, mais possède une flamme, une aura particulière qui ne le fait sonner comme aucun autre. Les riffs de Voldtekt et Nihil font systématiquement mouche, porteurs de désespoir (le morceau sans titre est un véritable cataclysme), évoquant tour à tour l'agonie ("Skads Do Nikad ") ou restant dans la tradition d’efficacité de l'école polonaise ("Kosi ta Smierc", qui évoque aussi bien Mgla que Kriegsmaschine). Tout en s'autorisant quelques arpèges de toute beauté, d'une mélancolie déchirante ("Kosi ta Smierc "). Lorsque dans la majeure partie des groupes actuels, la basse est anecdotique, elle résonne et marque les temps avec lourdeur chez Furia : porteuse d'un groove irrésistible (l'ouverture de "Wyjcie psy"), elle vient apporter un peu d'épaisseur supplémentaire à un ensemble déjà fort compact. La voix de Nihil, si caractéristique, est beaucoup moins présente que sur les précédents full-lengths, et mixée plus en retrait, porteuse d'un écho caverneux qui apporte encore plus de force aux compositions - même si les nombreux gimmicks vocaux empruntés à Celtic Forst (UNGH !) suscitent l'agacement après le sourire. Sur "Marzannie", la voix est à prendre en tant qu'instrument, et non comme outil à débiter des textes - que, de toutes façons, peu de gens comprendront, moi le premier. Le son, qui n'a jamais été aussi organique pour le groupe, permet à chaque instrument de s'exprimer, et de construire par chaque note, chaque pattern, chaque riff, un univers tantôt onirique, tantôt cauchemardesque.
Les auditeurs non-familiers de Furia seront probablement rebutés par la "redondance" de certains compositions. C'est d'ailleurs le seul écueil de ce "Marzannie, królowej Polski", la propension de Furia a user jusqu'à la corde des riffs magnifiques jusqu'au bord de l'agacement. Oui, certains titres sont un peu longuets, oui, Furia aime prendre son temps pour poser une ambiance hypnotique, attrapant l'auditeur pour ne plus le lâcher. Le groupe rattrape ce léger défaut par des plans rythmiques saccadés complètement déments (les roulements et descentes de manches incessants de "Pojdz W Dol") qui combleront le besoin d'efficacité des aficionados et des curieux. Entendons-nous bien, Furia est une machine de guerre musicale, mais résumer l'entité polonaise à un seul tabassage de l'auditeur serait réducteur. Furia est avant tout un groupe émotionnel, qui se vit plus qu'il ne s'écoute, plus propice au recueillement et à la transe qu'au headbang et à la baston. Et c'est bien ce qui a suscité mon intérêt lors de la découverte du combo, intérêt qui est d'ailleurs resté constant, même avec leurs sorties plus dispensables ("Halny"), dont j'aurai l'occasion de parler.
"Marzannie, królowej Polski" vise l'excellence, tout comme le faisaient les précédents albums de Furia. Alternant violence pure et passages plus atmosphériques d'une tristesse folle, l'entité se fait aussi bien thuriféraire d'une tradition Black Metal que d'un univers très personnel, autrement plus intéressant que les éternelles déflagrations auxquelles le genre nous a habitué. L'une des meilleures sorties du cru 2012, pour un groupe définitivement unique. A écouter d'urgence.
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