La question n'était pas de savoir si Furia allait sortir un album de qualité : la discographie du groupe, enrichie de
"Guido", est irréprochable du début à la fin - au pire, de bons albums, au mieux, des pièces ultimes. Les Polonais ont toujours su répondre aux attentes de leurs fans, souvent très grandes, en proposant des disques de haute-volée, personnels et prenants. La véritable question était de savoir si le quatuor allait continuer sur la lancée très "libre" de leur dernier EP, ou revenir à quelque chose d'un peu plus classique sur la forme, à la manière de
"Nocel". Après avoir erré dans les usines fantôme de Silésie, Furia nous emmène cette fois-ci sur la lune (
"Księżyc milczy luty" se traduisant grossièrement par
"Sévère silence lunaire"), périple rythmé par six stations et leur
Nekrofolk, plus inspiré que jamais.
Le groupe n'a jamais rien fait comme personne, et c'est tant mieux. Leur approche du Black Metal s'est toujours faite de façon personnelle, les Polonais préférant jouer sur le registre folklorique en le jouant avec force distorsion, rythmiques implacables et voix jonglant entre les cris gutturaux et les incursions plus graves, presque sentencieuses.
"Księżyc milczy luty" conserve ces mêmes éléments, en allant encore plus loin dans le mélange de la douceur des cordes et l'âpreté d'une production un peu plus baveuse qu'à l'accoutumée. La caisse claire et la grosse caisse peinent à ressortir du mixage, ce dernier préférant se concentrer sur les crash, les rides et les cymbales splash, comme pour apporter plus de matière à la masse. Guitares claires et saturées se conjuguent. La basse se fait moins rythmique que mélodique, plus
clean que jamais (l'ouverture du superbe "Grzej"). Le chant typiquement Black se fait très discret, Furia mise tout sur l'organe profond et puissant de Nihil, tantôt parlé (pas si loin d'un slammeur, finalement), tantôt scandé ("Za ćmą, w dym").
Ainsi, la construction même de
"Księżyc milczy luty" emprunte sans vergogne au Free Jazz, lorgnant du côté du progressif, prenant le temps de poser son ambiance, notamment par un jeu de batterie d'une richesse peu commune :
rim-shots en pagaille, les toms et leurs cerclages utilisés au même titre que la caisse claire ("Ciało"), au service d'un tempo majoritairement lent. Furia, au fil de sa discographie, avait de toutes façons progressivement remisé les blasts au placard. Le riffing, si varié soit-il, n'abandonne jamais sa puissance, entre passages relativement "classiques" (l'implacable et véloce "Tam jest tu") et parties plus tordues (les notes désaccordées concluant "Zwykłe czary wieją"). Avec, toujours, cette sincérité désarmante. Si lunaire soit-il,
"Księżyc milczy luty" tient plus de Pierrot et Colombine que d'un Darkspace, tant Furia semble perdu dans ses errances intérieures. "Grzej", de loin le meilleur titre de l'opus, évoque à la perfection cette mélancolie déchirante que Furia a toujours porté en lui, de sa ligne de basse aussi simple qu'efficace jusqu'à son crescendo final, blast-beat mesuré sur lequel viennent se greffer des guitares à l'écho magnifique, entre arpèges, remontées de manches et notes déchirantes. Quid de la furie ? Qu'on ne s'inquiète pas, elle est toujours présente et sait se faire désirer. L'attente qu'elle suscite n'a d'égale que l'impact qu'elle produit dès lors qu'elle entre en piste : "Zabieraj łapska" démarre aussi paisiblement que sa fin n'est violente, dans cette batterie complètement débridée, ces riffs hystériques et ces choeurs qui tiennent plus de l'aboiement que du solennel. Furia a également su tirer les enseignements du passé, corrigeant la durée parfois un peu excessive de ses précédentes œuvres
("Nocel" en tête), synthétisant son propos pour ne jamais perdre l'auditeur.
Si quelques passages sont un peu maladroits (la clôture de "Grzej" traîne un peu en longueur, la batterie nue du milieu de "Zabieraj łapska" fait un peu tartine),
"Księżyc milczy luty" reste malgré tout le mélange parfait du passé et du présent de Furia, entre ses premiers pas encore emprunts des règles du genre, et la liberté prise au fil de ses dernières créations. Le groupe fait ce qu'il veut. Et vient de donner naissance non seulement à ce qui s'impose comme l'un des meilleurs albums de l'année, mais également comme le point culminant de leur riche discographie. Que tous ceux qui claironnent à qui voudra bien l'entendre que le Black Metal a perdu tout son charme, son originalité et sa magie écoutent sans plus tarder
"Księżyc milczy luty", leçon à part entière de réappropriation des codes d'un genre trop souvent figé, transformés en émotion brute.
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