Notre lectorat amateur de Métal noir sait à quel point l'Europe de l'Est est un véritable vivier de formations exceptionnelles. Loin du strass et des paillettes de Behemoth, la Pologne est une terre marquée par le sigile du pentacle, des blast-beats et du
tremolo picking. Si la scène "classique" est bien représentée par des groupes comme Mgla, Infernal War ou Cultes des Ghoules, elle cache également des groupes plus "confidentiels", désireux de renouveler le genre à leur manière. Le fer de lance de cette nouvelle garde, le mâle alpha de cette meute de loups, c'est sans aucun doute Furia.
Peu de groupes peuvent se targuer de compter une discographie sans aucun écueil, aucune déception majeure, et le groupe dont nous parlons aujourd'hui fait partie de cette petite élite qui n'a jamais réellement déçu ses auditeurs. Parvenant chaque fois à faire varier sa recette, à apporter toujours plus à son Black Metal, la bande à Nihil, en dix ans d'existence, n'est jamais tombé dans le piège de la facilité. Tour à tour atmosphérique, expérimentale, mélancolique, chancelante, l'entité Furia possède de multiples facettes et réussit à apporter une dimension toujours plus personnelle à un genre de plus en plus stagnant, entre pépites d'agressivité véloce
("Grudzień za grudniem"), concentrés de spleen
("Marzannie, królowej Polski") ou expérimentations pures et simples ("Halny"), Furia n'est jamais là ou on l'attend - tout en pondant ses créations avec la régularité d'un coucou Suisse. Poule aux oeufs d'or de l'écurie Pagan Records, le quintet récidive avec "Nocel", la plus longue et intense de leurs offrandes. Création exigeante qui nécessitera attention soutenue et multiples écoutes pour révéler ses secrets.
"Nocel" sonne comme la synthèse de tout ce qui fait de Furia un groupe unique. Mixé par Nihil lui-même, chaque instrument y est à sa place, jouissant d'un son massif sans pour autant dénaturer le côté "organique" des fûts et des cordes - les lignes de basse de Sars, comme à l'accoutumée, font mouche à chaque note. Artwork volontairement simpliste, friche industrielle à dominante rouille, le groupe offre à "Nocel" une pochette qui colle merveilleusement bien à son contenu - et par la même, reste raccord avec les thèmes abordés par le groupe : de la difficulté de vivre en Pologne, de la nécessité de maintenir une tradition intacte dans un univers qui voudrait l'étouffer. En huit titres pour près d'une heure, Furia ballotte l'auditeur entre Black Metal, Punk, titres plus expérimentaux et ambiances hantées, une randonnée sauvage en Silésie, dans ces carcasses d'usines hantées par les spectres du folklore.
"Nocel" déborde d'une rage toute mélancolique. Furia l'administre avec parcimonie, préférant la répandre de façon diffuse plutôt que de la concentrer en un seul et douloureux impact. La morsure froide des riffs de "Opętaniec", ouverture de la danse, ne viendra pas me contredire. Solide base rythmique, guitare mélodique à peine en retrait, le groupe prend le temps de planter le décor, avant de faire entrer le chant grave (dans tous les sens du terme) de Nihil, habité par son art. Résolument Black Metal jusqu'à l'accélération finale, Furia prend une tournure bien plus Punk sur l'ouverture de "Ptaki idą", jusqu'à l'arrivée de ces arpèges lointains, fantomatiques, véritable marque de fabrique de la formation. Autant les premiers pas dans l'univers de "Nocel" rappellent les plus belles heures de
""Marzannie, królowej Polski", autant Furia tient à convoquer à notre mémoire les chimères curieuses qu'étaient "Halny" ou "W melancholii". "Niezwykła nieludzka nieprzyzwoitość " pourrait passer pour un enregistrement improvisé, tant l'ensemble est en décalage avec ce qui a été entendu précédemment, tant le chant semble sorti de la gorge d'un pauvre erre complètement ivre. "Nocel" est dôté d'une production exemplaire, et si le son est homogène, son contenu en est à l'opposé. Ce qui est loin d'être un défaut, à l'heure ou chaque album du genre comporte plus de maquillage que de bonnes idées. Si les expérimentations de l'album pourraient apparaître bancales, sans réelle cohésion, elle sont pourtant ce qui font la force du quintet, et lui évitent de se noyer dans la masse. "Nigdy i nigdzie", invoquant presque l'esprit du Shining suédois, reste symptomatique de ce que je viens d'évoquer : un titre long, qui rend hommage à ses racines purement classiques tout en les transformant, en cherchant à y incorporer des éléments nouveaux. Une complexité du fond plus que de la forme, des nappes bruitistes et du jeu décalé plutôt que du riffing véloce et des plans de batterie impossibles à suivre. Si "W melancholii" avait dérouté, Si "Halny" avait pu lasser par sa longueur et ses interludes presque Jazz, "Nocel" réussit à stabiliser le contenu instable de ces deux composés, en en raccourcissant la longueur, en en structurant la moëlle par des rythmiques à part entière plutôt que par des explosions éparses.
Un sans-faute ? Presque, mes amis, presque. "Nocel" est la réalisation la plus longue de Furia, une heure au compteur. Et, malheureusement, elle manque un petit peu d'accélérations épiques qui faisaient toute la saveur de
"Grudzień za grudniem". Si l'ensemble reste très poignant, toujours très touchant, quelques agressions primaires, quelques attaques un peu plus violentes n'auraient pas été de refus. Furia a voulu synthétiser expérimentations et classicisme, et l'alchimie fonctionne. Néanmoins, "Nocel", malgré son excellence qui le classe dans le haut du panier des sorties de l'année dernière, manque de mordant. Raccourcir le très long "Niezwykła nieludzka nieprzyzwoitość" aurait permis de retrouver la superbe des riffs classiques de "-" ou le poids de l'écrasant "Są to koła" (tous deux figurant sur l'album
"Marzannie, królowej Polski"). Quoiqu'il en soit, le Furia cuvée 2014 reste un album d'une indéniable qualité, qui supporte le poids des écoutes successives et nécessitera un déshabillage attentif pour en capter toutes les teintes, en palper toutes les textures. Le léger manque de
punch est bien vite rattrapé par les nombreux moments forts que comporte le disque.
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