Bekëth Nexëhmü - De Evigas Gravrit
Chronique
Bekëth Nexëhmü De Evigas Gravrit
Malheureusement, il a bien fallu que je me fasse une raison... Suivre au plus près l’actualité des sorties dans lesquelles est impliquée le Suédois Swartadauþuz n’est humainement pas possible à moins d’y dédier tout son temps libre. Car même si j’adhère à l’essentiel de ce qu’à pu réaliser ce stakhanoviste de la scène Black Metal (et pas que...), je n’ai néanmoins aucune envie de passer les trois ou quatre prochaines semaines (si ce n’est plus) à essayer de rattraper mon retard sur la question (un retard qui au fil du temps et des nouvelles sorties ne cesse d’ailleurs de s’accumuler et cela même si d’autres chroniqueurs se sont en parallèle penchés sur la question). Du coup, en ce qui me concerne, je continuerai probablement de vous parler des différents projets de Swartadauþuz au gré de mes humeurs et de mes envies mais probablement avec toujours un train de retard...
Si l’entité pour le moins nébuleuse s’est toujours montrée très occupée depuis ses débuts en 2010, ces quatre dernières années attestent pourtant d’un regain d’activité. Il est néanmoins nécessaire de faire la part des choses puisque parmi ces "récentes" sorties, deux sont en réalité des compilations constituées pour l’essentiel de ré-enregistrements (De Fördolda Klangorna, 2019 et De Fornas Likgaldrar (Forna Nordiska Besvärjelser Omfamnat I Tre Kapitel), 2021). On va donc pour le moment laisser celles-ci de côté et s’intéresser plutôt aux deux albums parus cette année avec pour commencer De Evigas Gravrit sorti en avril dernier sur le label allemand Purity Through Fire.
De prime abord, quiconque aura déjà posé ses yeux sur un album de Bekëth Nexëhmü se sentira ici comme à la maison avec cette photographie boisée et enneigée en guise d’illustration et cette typographie tarabiscotée. Une identité visuelle à laquelle Swartadauþuz est toujours resté fidèle au fil des années (malgré quelques petites variations) et qui en 2022 fonctionne encore très bien. Pour autant, malgré ses airs effectivement familiers, De Evigas Gavrit n’est pas à considérer comme une simple sortie supplémentaire venue grossir les rangs d’une discographie déjà particulièrement bien chargée.
La première particularité de ce deuxième album est que tous les instruments à cordes ont été enregistrées il y a plus de dix ans - en 2011 pour être exact - alors que le reste (chant, batterie et synthétiseurs) l’ont été en 2020. Une spécificité qui aurait pu avoir un quelconque impact sur l’homogénéité de l’ensemble mais qui à vrai dire ne s’entend absolument pas grâce à une production certes abrasive et relativement dépouillée mais néanmoins suffisamment bien équilibrée pour que chacun y trouve son compte.
Mais si De Evigas Gavrit se démarque du reste de la discographie de Bekëth Nexëhmü c’est surtout parce qu’il opte pour une approche bien différente. Habitué à nous régaler de compositions au rythme généralement très soutenu, Swartadauþuz a fait ici le choix de changer son fusil d’épaule en ralentissant considérablement le tempo au profit d’un Black Metal atmosphérique particulièrement hypnotique. Adepte depuis toujours de ce genre de longs-formats, le Suédois s’exprime ici comme à son habitude par le biais de compositions relativement longues puisqu’à l’exception des titres servants d’introduction ("Köldens Storm (Intro)"), de conclusion ("Vinternattens Dunkel (Outro)") ou d’interludes ("Nordlandets Tron" et "Furstens Evighet") on tourne en moyenne aux alentours des huit minutes par morceau pour une durée totale qui avoisine quant à elle les soixante minutes. Un parti-pris qui a toujours permis au Suédois (même lorsqu’il allait beaucoup plus vite) de prendre le temps nécessaire de développer intelligemment ses idées pour faire évoluer et progresser ses compositions et de réaliser en complément un véritable travail sur les ambiances. Un constat qui malgré cette baisse de régime conséquente n’en reste pas moins vrai à l’écoute de ces nouveaux morceaux.
Alors oui, un album de Black Metal mené à coups de séquences mid-tempo lancinantes pendant près d’une heure à en effet de quoi refroidir, au moins sur le papier, mais la vérité c’est que De Evigas Gavrit n’ennuie jamais et réussit le tour de force de nous embarquer avec lui dès les premières secondes de l’excellent "Köldens Storm (Intro)". Il faut dire que malgré de nombreux passages effectivement très lents et répétitifs, le Suédois à su apporter à sa musique une dimension mélodique inédite (chez Bekëth Nexëhmü s’entend) avec tout un tas de riffs particulièrement entêtants capables de rester en tête un bon moment ("Vid Dödens Rike", "I Frostens Kyla", "Under Ondskans Tecken"...), de leads glacés et mélancoliques ("I Frostens Kyla" à 5:23, "Vargens Stig Evigt Vandra" à 5:11), de passages acoustiques empreints d’une tristesse, d’une solitude et d’un désarroi évidents ("Köldens Storm (Intro)", "Blodskammets Guld", "I Frostens Kyla", "Vargens Stig Evigt Vandra"...) et de nappes de synthétiseur plus ou moins discrètes (ce sont elles qui par exemple mènent la danse sur certaines séquences) qui participent grandement aux ambiances fantomatiques, brumeuses et hivernales dans lesquelles se drapent chaque composition. Des visions rendues parfois beaucoup plus intenses et effrayantes grâce à la voix douloureuse d’un Swartadauþuz totalement habité.
Onze ans après son premier album (auquel a succédé notamment de nombreuses démos), Bekëth Nexëhmü revient en cette année 2022 avec les bras particulièrement chargés. Premier des deux albums qu’on lui doit, De Evigas Gavrit apporte avec lui un soupçon de fraicheur chez le one-man band qui, sans être jamais parti à la faute (en atteste cette discographie quasiment exemplaire), manquait peut-être un petit peu de relief et de variété (un risque majeur lorsque l’on enchaîne les sorties à un tel rythme). En l’état, De Evigas Gavrit évoque des paysages d’hiver (un clin d’oeil qui n’est pas nécessairement anodin) dans ce qu’ils ont de plus mélancoliques et de plus envoutants. Un contre-pied particulièrement intéressant face à une tripotée d’autres sorties marquées elles aussi du sceau de Bekëth Nexëhmü mais menées avec souvent bien plus d’intensité. Bref, vous l’aurez compris mais ce n’est pas encore avec cet album que Swartadauþuz va se planter et nous décevoir.
| AxGxB 4 Novembre 2022 - 1405 lectures |
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