Bekëth Nexëhmü, avant d'être la plus mauvaise pioche imaginable au Scrabble ou une tentative de
revival des blazes les plus invraisemblables des Légions Noires, est probablement l'une des formations les plus intéressantes à avoir jamais germé de l'underground nordique. D'ailleurs, la filiation avec les obsédés du tréma et des doubles voyelles n'est pas si tirée par les cheveux : Bekëth Nexëhmü est le fait d'un seul homme, Swartadauþuz (et du chanteur Lik, dans une moindre mesure), qui officie également dans une tripotée d'autres projets plus ou moins confidentiels, préférant les tirages limités et l'obscurité pour mieux développer son univers, fait de neige, d'improvisation et de salades runiques. Mais là où la clique de Meyhna'ch et Drakksteim n'aura consisté qu'en une galaxie de trucs au mieux inaudibles, au pire complètement ratés, la plupart des projets et des disques du Suédois valent très clairement le coup, pour quiconque goûte son Black Metal avec supplément glaçon.
Swartadauþuz est productif, c'est le moins que l'on puisse dire. Pas moins de onze sorties en six ans d'existence, une masse presque exclusivement constituée de démos (qui taquinent souvent l'heure au compteur), si l'on omet
"De Dunkla Herrarna", sorti en 2011, seul véritable
full-length revendiqué. Visages grimaçants, forêts enneigées, légendes étranges (le vocaliste de session aurait essayé d'étrangler le multi-instrumentiste), titres énigmatiques... L'univers est aussi hermétique qu'attirant. Pas facile de se frayer un chemin au sein d'une discographie aussi riche (d'autant que le bonhomme sort deux ou trois démos par an) :
"De Glömdas Ursjälar", à défaut d'être le plus facile d'accès (un seul titre de 40 minutes) ou même le meilleur de Bekëth Nexëhmü, est sa dernière réalisation en date, pressée par Ancient Records en Juin dernier (et improvisée en studio durant... le mois de Septembre 2015). Pour les profanes qui n'auraient pas pu mettre la main sur les 10 (!) cassettes originelles, Purity Through Fire propose heureusement une version CD.
Au delà de son aura particulière, la formation possède avant tout une patte sonore bien affirmée, une production que j'estime parfaite pour le genre : des guitares en forme de nappes grésillantes, une batterie qui claque sèchement, des cymbales
Splash et
China bien mises en avant dans le mixage, une voix arrachée complètement effacée, hantant des compositions alternant entre blast-beats possédés et mid-tempos marqués par des percées mélodiques au clavier, qui font systématiquement mouche. Bekëth Nexëhmü, c'est un peu tout ça, l'essence d'un Black Metal de fond de grotte, mais fait avec talent
et conviction (et vous savez Ô combien il est difficile de trouver un groupe qui marie aussi bien ces deux composantes).
"En Förglömd Ursjäl ", unique titre de cette démo, reprend à la lettre cette recette. Quarante minutes divisées en deux parties distinctes, la première étant bien plus intéressante que la seconde. Les cinq premières minutes plongent directement dans le bain : on y retrouve cette section rythmique véloce, sur laquelle se superposent des voix qui résonnent dans le lointain, un chant proprement habité et un sens du riff simple, mais acéré. La suite se fait plus nuancée, le tempo ralentit, et Thon, batteur de session, montre toute la subtilité de son jeu, en grand obsédé des cymbales d'effet et de la double-pédale judicieusement utilisée. Plus l'on avance dans le titre, plus s'amorce la transition vers sa seconde partie, purement ambiante, avec cette réapparition du clavier qui sait se montrer indispensable tout en restant discret. Les vingt dernières minutes de
"De Glömdas Ursjälar" sont beaucoup moins convaincantes : difficile de voir cette partie minimaliste et péniblement étirée autrement que comme un flagrant délit de remplissage. Un Paysage d'Hiver au rabais qui aurait pu faire office d'outroduction si sa durée n'avait pas été aussi effrayante. Pourtant, Dieu sait que Bekëth Nexëhmü sait user des plages de Dark Ambient en interludes pour ne jamais faire décrocher l'auditeur (
"De Dunklas Återkomst", démo précédente du combo, s'en fait la preuve). Sans gâcher la partie purement Black de la démo, ces divagations ambiantes faciles font malgré tout un peu retomber le soufflé.
"De Glömdas Ursjälar " aurait très bien pu être amputé de sa seconde moitié, afin de garder une durée correcte (surtout pour une démo) et de conserver toute son atmosphère. Il n'en reste pas moins que la première moitié est plus que convaincante pour les amateurs de Black Metal aussi froid qu'habité. Sans en faire des caisses, Swartadauþuz enrichit sa discographie et son
curriculum d'une réalisation qui garde la barre très haute. A découvrir, si ce n'est pas déjà fait !
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