Paysage D'Hiver - Die Berge
Chronique
Paysage D'Hiver Die Berge
S’il y a bien un groupe que je porte en très haute estime, c’est bien Paysage d’Hiver. Pourvoyeur de chefs d’œuvre durant plusieurs décennies, d’artworks sublimes et de musique aussi intense qu’immersive, l’univers du Suisse est sans égal. Continuellement traversées par une sorte de blizzard nocturne, les structures développées par Wintherr expriment mieux que nulles autres la désolation, l’isolement, le jour blanc et la perte des repères qui s’en suit.
Les chefs d’œuvre sont connus, il est inutile d’y revenir. Mais il y a deux périodes clairement identifiées. Voire trois. En gros, celle des pierres angulaires, des albums phares, de ceux qui ont marqué la scène et assis l’autorité du groupe, soit de 1998 à 2001. Puis la seconde, ouverte pour l’essentiel après des années d’absence par Im Wald, un album sublime mais différent, moins harsh, moins extrême, moins jusqu’au-boutiste. Un retour en grâce magnifique, jusque dans l’artwork neigeux, sylvestre et nocturne qui sied si bien au combo helvète. Puis il y a Geister, également distinct, différent même dans l’artwork d’où les teintes neigeuses ont disparu au profit d’atours presque totalement sombres. Et, comme par un malheureux hasard, la magie s’est aussi envolée. Disparue l’intensité, la science folle de la composition, l’immersion fantastique dans la tempête, palpable quasiment physiquement, disparues encore les mélodies dingues fondues dans une masse chaotique débridée au profit de riffs ultra basiques et d’un son très darkthronien actuel, soit aussi offensif qu’un cure-dent.
C’est donc avec, pour la toute première fois, une réelle crainte que je déballe ce Die Berge (les montagnes en français). Et je dois te dire que toi aussi, tu vas être rassuré. Geister était un furoncle. Die Berge va guérir tout ça. L’album est très long – 1h42 – et hyper riche. Tu vas te gaver. Moi aussi.
Dès Urgrund, ouverture de près de 20 minutes, tu vas comprendre d’où vient le groupe et où il va, où il aurait toujours dû aller. Le vent souffle, les montagnes sont partout, la neige aussi, tout est amalgame et le son, de nouveau harsh, les riffs de nouveau étourdissants et virevoltants, emportent tout. C’est ultra sombre, totalement mystique, c’est rampant et menaçant et pourtant, de ce maelstrom émerge des mélodies, une structure mouvante en évolution permanente comme si une créature démoniaque évoluait sous le manteau neigeux en le faisant onduler. La voix, totalement hantée et habitée, gronde au loin, semblant rebondir par endroits sur une basse tellurique, qui martèle la structure de tout son poids. Il n’y a aucune respiration, aucune lumière, rien à quoi s’accrocher. Urgrund se présente comme un bloc de glace irradiant de noirceur.
Tout l’album est conçu sur cette idée de ne rien laisser filtrer. De n’ouvrir aucune prise. L’enchaînement entre les titres, par exemple, est naturel ; il ne souffre aucune coupure, comme si l’album n’était fait que d’un seul et unique morceau. Tout s’enchaine au rythme de riffs tournoyants, ultra incisifs qui déchirent l’atmosphère en lambeaux comme autant de couteaux de glace sortis du blizzard. Le blast permanent, qui tapisse tout l’arrière-plan et soutient toutes les structures, apporte un dynamisme et une sensation d’étouffement qui a fait la réputation du groupe, qui traduit également parfaitement l’isolement, l’immersion quasi hypnotique dans l’immensité glacée.
La force, comme toujours, chez Paysage d’Hiver tient dans cette faculté incroyable (que partage aussi Darkspace…) de faire émerger de la masse grouillante des mélodies sublimes, portées par la grâce (le pont de fin sur Urgrund, de 14’ à 17’ quasiment ; les arabesques sur Gipfel), qui traduisent le désespoir du voyageur pris au piège des montagnes, son cheminement vers une autre lumière, celle qui figure sa fin. Verinnerlichung comme Urgrund sont de cette trempe, de ces morceaux longs (plus de 15 minutes) qui dévoilent leur ambiance au fil de la structure, qui s’appuie tout entier sur ces riffs de guitares ultra tranchants et chaotiques. L’agression y est incroyable, ce morceau, comme d’autres (par exemple le foudroyant Ausstieg, tout en puissance), privant l’auditeur de tout air, de tout accès à une quelconque respiration, comme si l’apnée était la seule issue pour sortir de ce tunnel sonore surpuissant.
Mais parfois, comme pour faire mentir le chroniqueur, la noirceur et l’étouffement proviennent non plus du blast mais de l’atmosphère elle-même et de la menace qu’elle dégage, de l’odeur de cachot qu’elle renvoie, comme par exemple sur les trois morceaux qui constituent le cœur de l’album : Transzendenz I, II et III. Sur ces trois titres, conçus comme un tout de 34 minutes, la rythmique est plus accessible, la vitesse décroit au profit d’une plus grande profondeur, de structures plus amples et hypnotiques. Le son, ample également, accompagne cette variation de son aura harsh et claire à la fois, comme dans un subtil équilibre. Les ponts atmos, surtout sur Transzendenz II, sont sans doute les seuls à apporter une dose de lumière et de légèreté à ce bloc ultra compact de ténèbres. Sur Transzendenz III, c’est le choix du mid-tempo qui fait ressortir l’ambiance et apporte son lot de reliefs. La lenteur assumée de la rythmique joue cette fois-ci davantage sur le vice, la perversité, comme si l’auditeur contemplait le chemin sans fin du voyageur qui ne peut le conduire qu’à une seule issue. C’est rampant, bourdonnant et terriblement hypnotique, comme l’instrumental Gipfel qui ferme la marche.
Tu l’as compris, ce nouveau Paysage d’Hiver est tout à fait magnifique, qui s’inscrit dans le sillon tracé par les chefs d’œuvre de Wintherr. Habile mélange de la férocité et des ambiances d’un Das Tor et d’un Kristall et Isa, ce Die Berge est une synthèse majestueuse de ce qu’a produit de plus fort le combo suisse. On est parfaitement entré dans l’Hiver.
| Raziel 19 Décembre 2024 - 412 lectures |
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