Prendre son temps pour écrire et s’astreindre à ne donner qu’un avis mûrement réfléchi, ne pas hésiter à laisser poser certains albums quitte à ne plus s’en souvenir afin, le moment venu, de les redécouvrir sous un jour nouveau et peut-être alors voir son avis évoluer... Une évidence à laquelle nous, chroniqueurs, oublions parfois de nous soumettre afin de s’auto-congratuler d’être les premiers à publier un article qui de toute façon ne sera lu que par une poignée de lecteurs plus ou moins assidus...
Évidemment, si je vous raconte tout cela, c’est en partie afin de justifier le délai entre la sortie de ce cinquième album d’Horrendous et cette chronique qui arrive effectivement avec un petit peu plus d’un an de retard. Outre le fait d’être surchargé de chroniques en attente, il s’avère surtout que mes premières écoutes d’
Ontological Mysterium n’ont pas été très concluantes... Pas spécialement enthousiaste à l’idée de casser du sucre sur le dos des Américains sans avoir laissé le temps à ce nouvel album de faire son chemin, j’ai préféré botter en touche en attendant de voir si mon avis viendrait à évoluer au fil du temps et des écoutes. Et le fait est que j’ai effectivement bien fait de ne pas m’en occuper tout de suite car sans atteindre le niveau de l’excellent
Idol, on reste tout de même sur quelque chose d’extrêmement qualitatif.
Musicien reconnu mais également producteur largement plébiscité par ses pairs (Adversarial, Coffin Rot, Cryptic Shift, Father Befouled, Hellripper, Ripped To Shreds, Sentient Horror, VoidCeremony, Witch Vomit...) dans le cadre de ses activités au sein des Subterranean Watchtower Studios qu’il a d’ailleurs co-fondés, ce n’est évidemment pas une surprise de constater qu’
Ontological Mysterium est, comme le reste de la discographie d’Horrendous, passé entre les mains expertes de Damian Herring. L’avantage d’une telle démarche est que chaque instrument est une fois de plus tout à fait à sa place grâce à une production parfaitement équilibrée mais le revers de la médaille est que d’un album à l’autre les différences en la matière ne sont pas légion... Autre collaborateur devenu semble-t-il indéfectible, monsieur Brian Smith qui après les illustrations d’
Ecdysis,
Anareta et
Idol signe donc celle de ce nouvel album. Une réalisation réussie quoi qu’un poil épurée mais qui cependant sied à merveille au Death Metal technico-progressif des Américains.
Si
Ontological Mysterium n’est pas parvenu à me convaincre lors de mes premières approches c’est parce qu’il a naturellement souffert de la comparaison avec son excellent prédécesseur. Un disque qui en plus d’être marqué par l’arrivée d’un bassiste particulièrement expressif faisait preuve également d’une flamboyance bien plus prononcée et évidente. Si en 2023 Alex Kulick est toujours de la partie et qu’il n’a rien cédé face à ses collègues et à leurs instruments, le fait est qu’à l’exception de quelques séquences plus soutenues (à l’image d’un morceau-titre aux riffs sensiblement plus tendus et à la construction également un poil plus nerveuse, d’un "Chrysopoeia (The Archaeology Of Dawn)" dont la première partie fait preuve d’une certaine dynamique ou du très direct "Neon Leviathan"), ce cinquième longue-durée semble vouloir se montrer un tantinet plus discret. Une retenue pour le moins surprenante qui, forcément, de prime abord, laisse un goût quelque peu amer en bouche...
Malgré tout, une fois ces attentes contrariées enfin digérées, il convient de se rendre une fois de plus à l’évidence. Effectivement moins immédiat et éclatant,
Ontological Mysterium n’en reste pas moins un disque incroyablement bien composé. Bien sûr, on peut ne pas adhérer à ce qui ressemble quelque part à un retour en arrière puisqu’à vrai dire on est effectivement ici plus proche d’un
Ecdysis que d’un
Idol mais pour quiconque aime le travail bien fait, les compositions soignées, le sens du détail mêlé à une efficacité certaine, un engagement technique pertinent et un sens de la mélodie affûté, il y a tout de même de quoi trouver amplement son bonheur dans le Death Metal des Américains. Certes, tous ces éléments mis bout à bout ne suffisent pas à faire un bon album mais le fait est, une fois de plus, qu’Horrendous sait pertinemment comment les manier, les imbriquer et les ajuster afin d’y parvenir. S’il a donc fallu quelque peu insister afin de tomber à nouveau sous le charme des Américains, force est néanmoins de reconnaitre que je prends aujourd’hui beaucoup de plaisir à l’écoute de ces neuf morceaux. Certains n’ont peut-être pas autant d’intérêt que d’autres à l’image notamment de ce "Exeg(en)esis" dont les trois minutes et trente-huit secondes font davantage office d’interlude sans véritable relief (le morceau n’est pas désagréable ni mauvais mais son intérêt reste plutôt limité) mais dans l’ensemble il y a tout de même matière à se réjouir. Entre ce travail mélodique subtil et brillant qui rappellera naturellement de bons souvenirs à tous les amateurs d’Atheist et Cynic ("The Blaze" à 0:59, "Chrysopoeia (The Archaeology Of Dawn)" à 1:50, "Neon Leviathan" à 2:13, "Cult Of Shaad'oah" à 3:41 ou "The Death Knell Ringeth" à 4:27), ce groove discret mais chaloupé que l’on doit encore essentiellement à la basse particulièrement vive et expressive d’Alex Kulick (c’est d’ailleurs toujours un régal de l’entendre mener la danse comme il le fait ici sur l’excellent titre instrumental qu’est « Aurora Neoterica ») mais aussi à un très bon jeu de batterie dont les influences Jazz se révèlent évidentes (là encore sur le titre "Aurora Neoterica" avec ce jeu de cymbales habile) ainsi qu’à quelques séquences technico-progressives particulièrement engageantes (je pense notamment à ce passage entamé à partir de 3:49 sur "Chrysopoeia (The Archaeology Of Dawn)") ou bien encore ces quelques arrangements (la conclusion acoustique de "Preterition Hymn", ces discrètes nappes de synthétiseur dispensées ici ou là) et autres petites choses de l’ordre du détail (ces quelques incartades de chant clair entendues sur "Chrysopoeia (The Archaeology Of Dawn)", "Preterition Hymn" et "Ontological Mysterium") qui participent à amener un petit peu plus de relief et de profondeur à l’ensemble, les points positifs et autres atouts ne manquent finalement pas à l’égard de ce "nouvel" album qui, me concernant, se sera donc révélé avec le temps.
Groupe intelligent et soucieux de ne jamais céder à une certaine facilité, Horrendous prouve une fois de plus qu’il est l’une des formations les plus classes et talentueuses de sa génération (au moins dans ce registre du Death Metal technique et progressif). En choisissant cependant d’aborder ce cinquième album avec moins de panache que son prédécesseur, le groupe originaire de Philadelphie ne s’est pas nécessairement tiré une balle dans le pied mais nous a rendu cependant la tâche plus ardue. À une époque où donner plusieurs fois sa chance à un même album dans l’espoir d’y déceler ce qui pourrait nous faire finalement changer d’avis est devenu quelque chose de presque inconcevable, il est agréable de constater qu’à contre-courant des modes de consommation (car oui, ne nous leurrons pas, c’est aussi ce que l’on fait en enchaînant les écoutes sans jamais se poser de questions) on peut encore se surprendre à voir son impression première évoluer dans le bon sens. Si à mon sens
Ontological Mysterium n’atteint pas le niveau de l’excellent
Idol, il reste cependant un disque aux qualités nombreuses (une écriture fluide, des compositions variées et intelligentes que ce soit en termes de rythme, de dynamique ou de structures, un travail mélodique particulièrement intéressant, etc.) qui avec le temps finit par se révéler au fil des écoutes successives. Si vous avez donc été dans mon cas sans réitérer vos écoutes, peut-être serait-il temps d’y revenir ? Sait-on jamais, vous pourriez vous aussi changer d’avis ?
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