Le travail d’un chroniqueur n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser. Parmi les contrariétés que mes collègues et moi-même pouvons rencontrer, il y a par exemple le cas de ces albums qu’on ne sait jamais trop comment aborder. Des chroniques que l’on devine déjà laborieuses avant même d’avoir commencé à rédiger quoi que soit. Pas que l’album soit nécessairement mauvais, c’est souvent même le contraire, juste qu’il semble parfois impossible d’avoir les bons mots, les idées claires et cette espèce d’aisance à coucher sur le papier ces quelques lignes censées faire sens. Ainsi, à l’instant même où j’écris cette supposée introduction, je suis toujours bien incapable de savoir par quel bout commencer ni même comment vous parler de
Ecdysis.
Afin de m’aider à avancer sur le sujet, replaçons si vous le voulez bien les choses dans leur contexte. Horrendous est donc un groupe de Death Metal américain révélé à travers une première démo intitulée
Sweet Blasphemies qui vient d’ailleurs d’être rééditée en CD par Dark Descent (mais ça, je vous en parlerai plus tard). C’est en janvier 2012 que le trio commence à faire parler de lui grâce à la sortie de
The Chills.Un premier album ambitieux, grâce auquel Horrendous va réussir à s’extirper de la cohorte de suiveurs infestant cette vague revival. Trois ans plus tard (enfin presque), le groupe vient réitérer l’exercice avec la sortie, toujours sur Dark Descent, de son deuxième album intitulé
Ecdysis.
Après s’être octroyé les services de Raul Gonzalez pour l’artwork de
The Chills, Horrendous a souhaité faire appel à un newcomer dans le petit monde de l’illustration Death Metal. Ainsi, l’artwork d’
Ecdysis a été confié à un certain Brian Smith qui, avouons-le, a particulièrement réussi son coup. Pas de logo, pas de titre mais un simple cadavre dont le visage décharné semble être aspiré par quelque chose situé hors champ. Le tout dans un ensemble de couleur assez vif, passant ainsi de l’ocre au bleu ou au jaune et réussissant à occulter l’aspect sinistre de cette scène étrange. Bref, un joli coup de crayon qui donne naturellement envie de se plonger dans l’écoute de ce nouvel album.
Pour ceux d’entre vous qui se poserait la question,
Ecdysis est un terme un peu barbare utilisé dans les pays anglophones pour évoquer le phénomène d’exuviation (rejet de l’ancienne carapace pour les arthropodes de type insectes, crustacés, arachnides...). Une mue qui symbolise donc par définition une certaine forme de renaissance. Doit-on alors comprendre qu’Horrendous a décidé de changer son fusil d’épaule à la manière d’un Tribulation ou d’un Morbus Chron? Non, pas vraiment. Il faut plutôt y voir là un désir d’émancipation. Aussi, ce qui frappe à la découverte de ce nouvel album, c’est la place et le soin apporté aux mélodies pourtant déjà très présentes sur
The Chills. On savait le groupe américain largement influencé par la NWOBHM et des groupes comme Death ou Pestilence, cela se confirme encore un peu plus à l’écoute d’
Ecdysis. Ce nouvel album vient donc enfoncer le clou en s’affranchissant toutefois de son affiliation relativement marquée avec la scène scandinave des années 90.
Une rupture perceptible d’abord à travers une production moins rugueuse et stéréotypée que sur son prédécesseur. Celle-ci conserve pourtant un certain feeling old school même si le son se veut désormais moins organique, gagnant alors en clarté et en précision. Pour autant, les guitares n’ont pas complètement perdu ce grain qui faisait une partie de leur caractère. On retrouve encore ce petit côté rugueux et abrasif qui, malgré les années qui passent, continue de faire recette.
Mais cette rupture se fait également sentir d’un point de vue rythmique. Alors que
The Chills n’hésitait pas à user du tchouka-tchouka, les choses semblent ici moins évidentes. Les compositions d’Horrendous n’ont pas forcément perdu en intensité, simplement les patterns rythmiques se sont dans l’ensemble étoffés et complexifiés. De fait, la musique des Américains est devenue moins frontale, moins bas du front mais a gagné au passage en personnalité et en richesse. Et si
The Chills pouvait s’apprécier rapidement dès les premières écoutes,
Ecdysis demandera un peu plus d’efforts pour être assimilé et apprécié à sa juste valeur. Il m’a d’ailleurs fallu plusieurs écoutes avant de me laisser véritablement séduire par cet album un peu plus compliqué de prime abord. Nul doute qu’il vous en faudra également quelques-unes.
Cette baisse/complexification rythmique s’accompagne d’une recherche mélodique particulièrement approfondie. Comme je le soulignais brièvement dans un précédent paragraphe, c’est ce qui frappe le plus à l’écoute de ce nouvel album. Car si les solos et autres leads (très Carcassien d’ailleurs) avaient déjà une place importante sur
The Chills, ils sont ici non pas l’ossature mais les ligaments autour desquels s’articule toute la mécanique Horrendous. Trop nombreux pour être tous cités, sachez juste que vous en trouverez sur chacun des dix titres qui composent
Ecdysis. D’une qualité plutôt égale, certains brillent tout de même par les émotions et l’intensité qu’ils véhiculent à l’image par exemple de "The Stranger" à 0:44, 3:26, 3:45, "Weeping Relic" à 1:32, "Heaven's Deceit" à 0:30 et 2:10, "Resonator" à 0:40, 1:14 puis 2:21, "Nepenthe" à 0:23 et 1:36, "Monarch" à 0:32 et 2:20, "Pavor Nocturnus" à 2:53 (qui ne sera d’ailleurs ensuite qu’une succession de leads et de solos) et pour finir "Titan" à 1:24 et 2:48.
Mais finalement, la meilleure surprise vient peut-être du morceau le plus mélodique de l’album, "The Vermillon". Un titre instrumental d’à peine trois minutes construit autour de deux guitares acoustiques. D’une réelle simplicité que ce soit dans la composition, la construction ou l’exécution, les mélodies déployées se révèlent pourtant extrêmement puissantes et évocatrices. Il en émane une espèce de mélancolie automnale saisissante qui à chaque écoute me file la chair de poule. D’une pureté et d’une beauté incroyable, "The Vermillon" me rappelle ces titres instrumentaux que l’on trouvait beaucoup dans les années 80/90 sur les disques de Heavy Metal/Thrash. Pour être honnête, lorsque j’écoute "The Vermillon" je ne suis pas sans penser à Metallica pour l’atmosphère qui s’en dégage. Probablement l’un de mes titres préférés de l’album même si j’aurai aimé qu’il dure un peu plus longtemps. Toujours instrumental, on retrouve également "When The Walls Fell", un titre 100% Heavy Metal, probablement joué torse nu, les cheveux au vent et moulé de cuir. Et malgré cette mélodie presque Glam et ce côté America Fuck Yeah, je le trouve plutôt intéressant et finalement à sa place contrairement à ce que j’ai pu lire ici et là.
Cette recherche mélodique passe également par l’ajout de quelques passages au chant (presque) clair. J’en vois déjà fuir ou crier au scandale... Inutile de vous mettre dans tous ces états car ces séquences sont très rares et surtout amenées avec intelligence (quelques backings comme sur "Weeping Relic" à 1:56, "Heaven’s Deceit" et sur "Titan" à 3:11, "Nepenthe" à 3:03). Pas de quoi gâcher les titres concernés et encore moins un
Ecdysis qui a décidément gagné en maturité. Il est d’ailleurs agréable de constater, notamment grâce à un mixage favorable à tous les instruments, l’harmonie et l’équilibre général qui caractérise ce nouvel album. Tout est très net, présenté avec beaucoup de maîtrise et de sobriété. Un album capable de sonner old school et moderne à la fois et faisant preuve d’une qualité d’écriture particulièrement soignée et intéressante.
En dépit de ces quelques évolutions, Horrendous n’a pas pour autant perdu toute sa rage et son énergie. Et même si les compositions se montrent dans l’ensemble moins frontales,
Ecdysis recèle encore quelques moments de bravoure menés tambours battants, la rage au ventre. Par exemple, les premières secondes de "Weeping Relic" suivit par cette conclusion à compter de 2:58, les débuts de "Resonator" repris de plus belle à partir de 1:27, le thrashisant "Nepenthe" à 0:47, "Monarch" et cette séquence entre 1:19 et 2:03, la dernière partie de "Pavor Nocturnus" à partir de 4:43. Et puis il y a cette voix qui, qu’on le veuille ou non, renvoie à deux chanteurs marquants des années 80/90 à savoir Chuck Schuldiner et Martin Van Drunen. Cela m’avait moins frappé à l’écoute de
The Chills mais c’est encore plus flagrant ici (et après réécoute de
The Chills ça l’était déjà pas mal). Un chant âpre et éraillé. Un timbre particulier, à la limite de la rupture, presque poussif par moment. Bref, un moyen de marquer son identité même si les références sont d’emblée évidentes.
Malgré toutes ces qualités, il semble évident qu’
Ecdysis laissera derrière lui quelques personnes déçues du chemin emprunté par les trois Américains. Moins frontal, moins dynamique, ce deuxième album a peut-être perdu un peu de cette fougue qui caractérisait Horrendous et faisait de
The Chills un album particulièrement efficace. Pourtant,
Ecdysis le surpasse en tout point. Plus riche, plus varié, plus inspiré, plus personnel, plus marquant aussi... On ne peut pas plaire à tout le monde, c’est un fait. Il faut cependant saluer cette volonté d’évoluer et mûrir tout en continuant à rendre hommage à ses aînés et à ses influences. En cela,
Ecdysis ne déçoit pas et surprend même par cette faculté à naviguer entre les époques. Un album compliqué et exigeant qui mérite bien plus que quelques écoutes dans les transports en commun et qui, contre toute attente, risque même de terminer sur le podium de fin d’année.
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