Évacuons directement ce qui saute aux oreilles sur cet album de Ice Dragon : oui, on pense fortement à Electric Wizard. Encore plus que sur les anciens c’est-à-dire, où le nom de Dorset était plus un indicateur stylistique qu’une véritable influence principale – le sorcier électrique n’étant pas après tout le seul à jouer long, lent, sale et psychédélique.
Mais là, les ponts changent et se transforment en autoroute pour qui lancera « Manuscript 408 », le regard et les oreilles cramés dès les premières notes. Ice Dragon n’aura jamais sonné aussi radical, prenant le parti de mettre en sourdine ses lubies rock développées sur
The Sorrowful Sun pour embrasser la part la plus malfaisante de sa personnalité – « Man Sitting in a Field of Green Grass », « Astronomical Union » et « Infinite Requiem » pour seules franches incartades. Dans une certaine mesure, et une mesure non négligeable, on peut décréter que
Tome of the Future Ancients est le
Come my Fanatics…. des Ricains, celui où les éléments autrefois plaisants sont poussés à leur maximum, l’ivresse naissant d’une douleur à enchainer les chapes de plomb que sont « The Bearded Mage » ou « The Black Book of Hours » , la jouissance s’étalant à s’en liquéfier sur plus d’une heure.
Mais Ice Dragon, ici comme ailleurs, ne peut se résumer à ce seul rappel,
Tome of the Future Ancients restant aujourd’hui un des sommets de sa riche discographie en tant que tel et non comme œuvre de moine copiste. Tout cela sonne bien plus implorant que chez les branleurs anglais, bien plus austère, sorte de doom traditionnel joué au-delà de la raison, ésotérique plus que drogué, mystique plus qu’amateur de série Z. Cela me fait dire que, si la forme plaira nécessairement aux zombies addicts ayant en passion le mauvais goût des films obscurs, fauchés et gores, le fond s’adresse avant tout à ceux ayant fait du doom leur paradis personnel, voyant l’amour qui en déborde au-delà de la lenteur. Electric Wizard ? Laissons cela de côté ; intéressons-nous à ces effluves qui débordent à chaque instant, à cette voix qui flotte et se fait flot, plaintive et ronronnante, ne brillant pas par ses capacités mais l’humanité s’en dégageant, à la manière d’un Karl Simon de The Gates of Slumber, autre formation à laquelle je pense énormément lors de l’écoute.
En effet, on ne souffre d’aucune culpabilité sur ces soixante-seize minutes. Ice Dragon fait du doom la seule musique spirituelle possible, sacrée et liturgique, prometteuse de félicité pour qui abandonnera les dogmes communs. Inutile donc de citer des titres surnageants sur cet album-fleuve (jusqu’à cette impression de se noyer en lui) :
Tome of the Future Ancients peut paraître durer des plombes, ressemble parfois à une épreuve mais tient également sa force de cette envie de ne jamais s’arrêter, atteignant parfois des hauteurs prométhéennes (« Illuminations Foretold »). Il y a quelque chose qui pousse à continuer malgré tout, une accroche surgissant de nulle part (Ozzy sorti de son tombeau sixties sur « Steal Away from Hell » par exemple), une répétition qui induit une transe musicale, regard bloqué vers l’horizon, le temps défilant sans s’en rendre compte. Il y a surtout ce son, ancestral, poussiéreux, fignolé ce qu’il faut (la basse et la batterie, enfin audibles) sans perdre le charme désuet des prédécesseurs.
Il est tentant de dire que si j’ai voulu parler de Ice Dragon avec autant de largesse et d’emphase, c’est en raison de la perfection qu’est
Tome of the Future Ancients. Mais non, comme toutes les œuvres du trio, il n’est pas sans défauts, transpire une maladresse décidément dans l’ADN des Ricains. Pourquoi passer autant de temps à leur sujet, si rien de ce qu’ils créent ne touche au sublime ? Parce qu’ils peuvent en être proches plus d’une fois, s’y attellent avec générosité et application, ratent sans jamais fléchir, pensant déjà au riff suivant qui sera peut-être l’ultime, à la boucle qui hypnotisera définitivement. Le doom n’est pas tant une histoire de succès qu’un guide sur comment savoir perdre – et recommencer, toujours. Considérez alors ceci comme un tome pour les futurs anciens que nous sommes, pétris d’échecs à chérir. À commencer par ceux de Ice Dragon et le ci-présent disque, qui est son plus beau ratage.
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