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Heir - Terra Triumphans Jubila
Chronique
Heir Terra Triumphans Jubila
Après une existence de dix ans ponctués par la sortie d’un Ep, d’un Split et d’un album particulièrement réussi (« Au Peuple de l’Abîme ») la formation de Haute-Garonne a finalement décidé de raccrocher les gants, non sans offrir en bonus un ultime opus qui clôt ainsi un silence discographique de huit années émaillées de mouvements en interne et de prises de positions sociétales qu’on pourrait souvent citer de démagogiques et hors-sol. Si l’on ne reviendra pas sur ces points polémiques en revanche on se consacrera à l’écoute de ce deuxième et donc dernier long-format du quintet, fruit d’un travail hétéroclite enregistré par petits bouts entre 2021 et 2024 où l’on sentait une nouvelle évolution musicale intéressante et lorgnant plus vers le Sludge... mais finalement pas si éloignée du Post-Black Metal pratiqué initialement. Offrant six morceaux à rallonge oscillant entre neuf et douze minutes le combo va nous emmener dans un univers où là encore on retrouve de la mythologie ponctuée de philosophie et de moments où la violence brumeuse se mêle à de la réflexion, pour un long voyage vers des contrées lointaines et inexplorées où l’on n’est jamais loin de la psychiatrie comme de la psychanalyse, installé sur un bon divan à raconter sa vie.
Il faut dire que quand on voit les titres de chacune des plages ici présentes on a l’impression d’avoir affaire à une œuvre de Carl Jung ou de Jacques Lacan, la preuve directement avec « Lorsque le chatoyant revêt la cape de sa rançon... » qui va sortir toute la panoplie technique du groupe où les blasts tempétueux vont alterner régulièrement avec des passages lents, sur fond de riffs coupants gelés et de nappes lumineuses imposantes comme pour déchirer le brouillard ambiant. Porté par un vide total et une voix en reverb’ l’entité nous happe littéralement de fort belle manière dans un univers riche où le blanc, le gris et le noir s’entremêlent avec brio faisant ainsi quelque chose d’imparable où la violence totale laisse souvent place à des accents éthérés imposants, et dont d’ailleurs « ...La vérité se voile dans son immense chagrin » va être une relative continuité. Pourtant si l’on retrouve ici des éléments typiques (comme d’ailleurs tout du long de cette galette) on va s’apercevoir que malgré ses ressemblances chacune des compositions va avoir sa propre personnalité, et pour celles-ci on va voir débarquer une certaine tristesse comme mélancolie après un déferlement haineux du plus bel effet. Misant sur une écriture plus sobre et directe où se mêlent des explosions progressives et des accents neigeux tentaculaires chacun des rythmes bénéficie d’un temps conséquent pour s’exprimer correctement, laissant ainsi s’installer une certaine pression pour dévoiler totalement les deux facettes totalement opposées mais en total raccord, sans qu’on ait le temps de s’ennuyer et pour embarquer ainsi l’auditeur vers un chemin moins chaotique mais toujours aussi agréable.
D’ailleurs si on avait entendu auparavant des moments calmes propices à la respiration « Un dernier sursaut qui écrasera tout le reste » va pousser cela encore plus loin, vu que ça commence directement avec de douces harmonies gelées où la batterie délicate s’entend à peine durant cette introduction où la beauté n’est pas usurpée. Et puis une fois cela terminé c’est l’opposé qui va retentir dans le ciel avec une longue période de tabassage intensif... comme pour renforcer le désespoir qui émerge par tous les pores ici, tel un deuil long dont on ne voit pas le bout. On se rend ainsi compte que ces deux extrémités sont là pour nous rappeler qu’il y a sans doute autre chose après la mort, et ici l’ensemble se termine en automne à cheval sur plusieurs saisons tant le grand écart y est important et fait redescendre la tension telle une personne après une expérience de mort imminente qui se sent légère et apaisée.
On aura donc compris que sous ses airs plus simples l’ensemble recèle une profondeur insoupçonnée, clôturant une première partie qui ne laisse pas le temps de souffler mais où l’on se sent bien malgré le climat anxiogène et l’humidité massive qui s’en dégage. Le constat sera le même sur le reste à venir, et en premier lieu sur « Sous ses pieds la terre tremble alors que la mère, meurtrie, dévore ses enfants », dont le nom s’est sans doute inspiré du tableau de Francisco de Goya ("Saturne dévorant un de ses fils") qui va proposer à nouveau toute la variété rythmique de la bande, n’hésitant jamais à y ajouter de courts breaks où quelques arpèges apaisés émergent de la masse pour amener un soupçon d’espérance, tout cela avant que l’orgue clôturant les débats ne nous fasse revenir à la réalité du grand départ et de la prière. Si on avait pu voir à de nombreuses reprises que les Sudistes aimaient bien jouer sur le bridage et les atmosphères « L’héritier : un conte d’os et de sable » va encore aller plus loin dans la folie, tant ici la violence est mise de côté au profit d’accents cotonneux où la chaleur se fait sentir en nous donnant des frissons, car entre le rendu plein d’espérance et de renouveau (où se greffe des parties tribales suffocantes) ainsi qu’une pression qui s’accentue tout est fait pour créer des moments propices au recueillement où la luminosité se fait plus marquée. On se rend donc compte qu’on est sur quelque chose d’à part mais totalement cohérent, où la musique ne fait qu’un avec le corps et l’âme et dont l’ultime « Matar Kubileya » va clôturer l’ensemble avec brio en faisant de cet ultime voyage (au propre comme au figuré) une pièce majeure tout aussi réussie que le reste. Portée par des notes de claviers et une basse ronflante (où quelques accélérations bien troussées évitent de tomber dans la léthargie) on y trouve ainsi un ultime équilibre dense et oppressant à la profondeur insoupçonnée, qui clôt ainsi cet enregistrement de plus d’une heure personnel et travaillé avec soin par ses auteurs qui terminent leur existence en commun de façon impressionnante.
Si évidemment il faudra faire preuve de patience pour appréhender ce « Terra Triumphans Jubila » (tant il va être difficile de se l’enquiller d’un seul bloc et bien rester rester attentif pour choper chaque note et arrangement) on ne peut pas reprocher cela à la bande qui livre un pavé admirable et magnétique, où l’on reviendra dessus régulièrement avec le même plaisir. S’il faut savoir faire ses adieux au bon moment les mecs ont ici parfaitement respecté cela, et même si on aurait évidemment souhaité qu’ils prolongent leurs activités on ne saura leur en tenir rigueur, tant il vaut mieux s’éclipser avec dignité et classe que de vouloir continuer en perdant la flamme et toute dignité. En espérant maintenant que le relais soit pris par de nouveaux jeunes gens inspirés et motivés (il serait dommage en effet que la porte ouverte ici ne perdure pas à l’avenir), et que la scène de Toulouse redevienne active au sein du Metal hexagonal vu qu’elle semble un peu endormie depuis quelques temps (BLACK MARCH et INSANE VESPER particulièrement silencieux, FLESHDOLL à l’arrêt...), et on ne peut que souhaiter une renaissance rapide de la ville rose pour le plus grand bien de nos oreilles qui en redemanderont forcément... tant elle a su régulièrement nous abreuver de bonnes découvertes auditives.
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