Forcément, cette chronique ne sera que partielle. Partielle car je ne connais Mizmor que de nom malgré le succès d’estime qu’a le projet mené en solitaire par A.L.N.. C’est bien en fan de Thou – et plus particulièrement de ses collaborations – que je suis allé vers
Myopia, disque-surprise sorti peu de temps avant la prestation des deux formations au festival Roadburn. Pris de court par une œuvre aussi longue, mon temps a été surtout occupé par son écoute chaque fois exigeante et jusqu’à récemment me laissant entre deux rives.
Mais heureusement, cette chronique ne sera pas impartiale. Comment donc rester neutre face à ce rêve éveillé qu’est
Myopia, lui qui fait passer Thou de l’autre côté ? Cette traversée qu’on a toujours voulu entendre chez les Ricains, à savoir mordre directement dans ce black metal dont on les sentait plus d’une fois se diriger avec appétit, trouve corps ici, sans dénaturer ce qui fait la beauté de leur musique. Au revoir les expériences doucereuses, grunge et mélancoliques, menées avec Emma Ruth Rundle ; bienvenue dans le songe d’un paysage touffu parcouru comme le Grand Nord, les frères doom et sludge s’habillant en tenue druidique.
L’illustration de Aaron Horkey devient alors la couverture de ce conte que l’on lit soixante-quatorze minutes durant.
Myopia tient de la pérégrination sans destination, voyage effectué pour soi à la richesse bien suffisante. On retrouve ainsi tout l’univers de Thou, au point de penser que là où il était autrefois manipulé (les différentes collaborations avec The Body), là où il cherchait le point d’équilibre dans l’union des contraires (celles avec Emma Ruth Rundle), il prend désormais le poste de guide, doom tutélaire, sludge atmosphérique, légères influences drone et noise, évoquant les randonnées passées de
Magus et
Heathen. Paradoxalement l’œuvre la plus simple d’effets de sa part depuis un moment (aucun invité en plus des présents), elle est aussi une des plus complexes à appréhender : telle nudité dans l’exercice, telle confiance en ses riffs, celles-ci développées sur autant de temps, laissent nécessairement déboussolé. Certes, les moments de bravoure sont légion, accrochant directement un auditeur qui aurait sinon bien vite rendu les armes (l’assaut de « Prefect » ; l’épopée de « Indignance » ; les mélodies où Crowbar mène la barre de « Subordinate »…). Mais c’est dans la répétition que Thou – et Mizmor, que j’ai tendance à oublier bien qu’il ne soit pas pour rien dans ce succès (beau grognement ouvrant grand le portail des rêves, Monsieur) – subjugue et obsède une nouvelle fois, dans cette ambiance américaine et naturaliste, quasi-mythologique et au bord du psychédélice (on en viendrait presque à vérifier si Enslaved n’est pas allé chercher sa carte verte dans cet album).
Définitivement, trop n’est pas assez ici. Si on accorde une importance excessive à l’investissement que demande
Myopia au départ, à l’uniformisation des sentiments que sa durée créé, enchanté puis mis à distance au fur et à mesure, le déclic que tel manifeste demande finit par arriver. On devient alors fan de son envie de ne jamais s’arrêter, de sa longueur qui s’ébroue avec majesté dans l’univers porté par les deux entités, comme une qualité en soi d’un disque qui se donne tous les moyens de personnifier les montagnes et forêts dont il s’inspire. Cette sorte de black metal joué – majoritairement – au ralenti rejoint alors les rares à vraiment transmettre une atmosphère américaine, à la fois rugueuse et verdoyante, chaude et impitoyable, entre contemplation et asservissement, solitude durant « Manifold Lens » ou « The Host » et plénitude pendant « Drover of Man » et le final de « The Root ».
Soyons juste :
Myopia réussit l’exploit de tourner régulièrement en dépit de la place qu’il prend dans l’agenda mais il n’est pas sans aucune faute pour autant. Ainsi, la deuxième partie de l’album, étirant encore davantage le propos, fait décrocher plus d’une fois, quelques claques nous maintenant tout de même éveillé sur notre siège (le début doomesque du morceau-titre par exemple). Cela n’enlève en rien à l’ébahissement devant l’incroyable pari qu’ont fait ici Thou et Mizmor, créant ensemble plus d’une heure d’une musique homogène, pleine de ferveur envers les musiques lentes, tirant un trait d’union entre classicisme et expérimentations pour aboutir à un des plus marquants albums de metal à décor américain qu’il m’a été donné d’écouter ces dernières années (Cobalt et Wolves in the Throne Room : prenez notes). Il s’agit simplement d’une petite remarque si jamais ces deux formations décident de refaire et parfaire ce chemin pris ensemble. Une chose que je souhaite ardemment.
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