Découvrir une discographie à rebours est toujours quelque chose de particulier. Alors que le chemin habituel fait que les notions d'évolution, maturité, expérimentation viennent en tête, la rencontre avec les débuts d'une formation adorée en cours de route donne à voir d'autres choses, à faire une gymnastique mentale qui, parfois, nous étonne encore plus que lorsqu'un projet chéri décide de changer ce qui le constituait jusque-là.
C'est le cas pour Unearthly Trance, que j'ai écouté pendant longtemps en dilettante, piochant dans ses albums sans réfléchir, avant que son retour avec l'excellent
Stalking the Ghost me pousse à devenir un peu plus studieux envers ses créations. Je n'avais encore jamais laissé sa chance à
Season of Seance, Science of Silence malgré des fouilles approfondies concernant la bande de Ryan Lipynsky (compilations de splits et projets parallèles compris). Et quelle surprise j'ai ressenti avec ce premier longue-durée !
Car si l'impression première est celle de trouver ici en gestation ce que développera Unearthly Trance le long de sa carrière,
Season of Seance, Science of Silence devient rapidement un Ovni musical au sein d'un style qui, déjà, n'a rien de commun. Certes, on peut croire au premier abord que les Ricains sont ici bien de leur temps, dans ce mélange entre sludge, doom et black metal qui, comme de nombreuses formations extrêmes, lorgne du côté de Khanate et Neurosis. Les années 2000, celles de la déglingue jusqu’au-boutiste mâtinée d'esthétisme noir, peuvent très bien se considérer comme résumées dans un disque pareil où le doom canal historique se fait maltraiter, perforer à coups de larsens, de cris sadiques, de répétitions et baisses de tempos laissant au bord de la torture.
Sauf que rien n'est jamais aussi simple avec Unearthly Trance, cette entité aux allures classiques, presque banales, qui finit par transmettre un parfum étrangement vénéneux. Passée cette curiosité poussant à se dire que « tout est déjà là »,
Season of Seance, Science of Silence se lance pour lui-même tant sa saveur emporte avec lui, dans cette forêt où le groupe s'échappe, une bouteille d'alcool à la main et la haine au cœur. Pouilleux, malade, misanthrope – je pourrais dire « black metal », cela reviendrait au même –, l'album étale tant sa tristesse, hurle d'une manière si exténuée et vindicative (cette production faiblarde demande à s'apprécier mais, croyez-moi, elle est une des forces du disque), que des références déjà peu communes laissent place à d'autres encore plus mutantes. Comment ne pas penser à un Starkweather saturnien devant ces mélodies atteintes de dysmorphies, les muscles pesants, la diction douloureuse ? Ces S.O.S. sont bien ceux d'un Terrien en détresse, qui s'échappe par une métamorphose, appelle le monstre en lui pour changer de condition, celle humaine étant devenue insupportable.
Clairement ce que les Ricains ont sorti de plus black metal (les grimés Thralldom et The Howling Wind compris),
Season of Seance, Science of Silence est aussi le disque par lequel Unearthly Trance fait voir son amour pour le hardcore au-delà de toutes choses, s'appuyant sur une menace froide, un décor de misère fait de bois mort et nuit froide, pour appeler une force qu'il n'a plus, un ailleurs où l'occultisme n'est qu'un moyen comme un autre de chercher à s'oublier. On pourra, à juste titre, dire que ces quarante-six minutes n'ont pas encore cette constance décelable sur
In the Red par exemple. Ce n'est certainement pas là qu'on trouvera également ce que la troupe a sorti de plus directement impressionnant. Oui, on a bien ici affaire avec un premier album, dans ce qu'il peut avoir de maladroit par moment, de timide sur certains aspects et, a contrario, d'excessif. Mais tout cela participe à lui donner une aura particulière, inédite au sein de réalisations déjà originales. Ce qui fait de
Season of Seance, Science of Silence un exemple de ce que l'on peut demander de mieux à un début essayé trop tard : la sensation de redécouvrir tout un groupe en même temps que celle d'écouter, simplement, un album pas comme les autres.
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