Eibon - Entering Darkness
Chronique
Eibon Entering Darkness
Il y a des mots que l'on a tant utilisés qu'ils ont perdus de leur sens. « Guerre » par exemple : elle n'est pas que les rafales/massacres/bite-couteau/Deströyer 666… Elle est aussi l'attente, le silence glauque des tranchées avant l'assaut, des bâtiments détruits, l'odeur de boue mouillée des champs mêlée au souffre des balles fraîchement tirées, la violence lointaine où un obus sifflant à des kilomètres peut descendre à tout moment sur les soldats, enfin, la paix des morts contrastant avec la peur des vivants.
Eibon rappelle cela. Il évoque aussi l'hostilité rampante de Ramesses, les hurlements damnés d'Arkhon Infaustus, ce black à la française ne s'embêtant pas de catégories comme Glorior Belli (dont Julien vient taper l'incruste sur « These Chains ») ou l'hypnotisme hargneux du Neurosis de Souls At Zero (mais aussi de The Eye Of Every Storm avec « Through The Eyes » et son démarrage proche de celui de « A Season In The Sky ») tout en s'inscrivant finalement dans cette capacité nationale à sortir des références aisées en les entremêlant pour un rendu unique. Au lieu de s'engoncer dans une somme de plans scolairement répétitifs, les parisiens ont trouvé une recette qui étonne par son naturel, sa simplicité de surface, de ses appropriations si bien menées qu'elles paraissent évidentes. Quand les racines ressortent plus nettement, lors d'un tremolo (les très black metal « Through The Eyes » et « Entering Darkness »), d'une envolée des leads (« Substance » et sa terreur magnifiée passées dix minutes) ou d'un bruit des guitares sous-accordées (le début de « Convulse To Reign » entre autres), elles servent une cohérence d'ensemble donnant l'impression d'entrer dans un univers où chaque morceau est une strate d'une terre difficilement pénétrable lors des premières écoutes. Non pas par hermétisme, la musique étant étonnamment mélodique pour ce mélange (j'emploierais presque le terme « catchy » s'il ne sonnait pas aussi déplacé dans ce cadre globalement avare en BPM - pas mal de passages rapides malgré tout, bien plus que l'intitulé stylistique laisse penser - et porté sur les formats longs), mais la profondeur des structures où chaque instrument décide d'avoir son moment de gloire fait que l'on ne sait pas où donner de l'oreille tant TOUT semble à sa place, TOUT happe. Une manière d'engluer l'auditeur par le sournois et non l'habituel étalage sonore en somme.
Les amateurs de lampes cramées ont du le deviner : Eibon préfère une gravité réfléchie à l'amplifier worship et les puristes tiqueront sur les accalmies typiquement « post » de « Convulse To Reign » ou « Substance » par exemple. On pourra regretter ce choix après un EP et un split privilégiant l'amplitude écrasante, les guitares perdant en puissance ce qu'elle gagne en « necro », bien que cette décision se fasse au service de la finesse parcourant Entering Darkness. Un autre mot à qui les doomsters redonnent sa pleine définition par ailleurs, en créant une fausse redondance de thèmes triturés et remodelés à l'envie. Il y a toujours quelque chose de neuf à découvrir ici, renforçant l'immersion dans cet opus suggestif à en devenir cinématographique, apportant un plaisir aussi musical qu'abstrait, impressionnant par son homogénéité. De l'artwork désolé à la production claire-obscure mariant le crépitant au cristallin, le bouillant à l'épuré, en passant par ces textes liés aux remous des compositions, l'album est une seule pierre que l'on imagine déjà angulaire dans la future discographie des Français.
Deux-trois longueurs cependant (la fin de « Path To Oblivion » notamment), mais vu le talent et la sombre harmonie développés sur ce qui reste un premier essai longue durée (!), on ne leur en tiendra pas rigueur. A autant figurer les lieux estropiés, les armées en marche, les charniers où se recueillent les gueules cassées, Entering Darkness en devient désarmant de beauté et j'ai rarement été aussi charmé par un premier jet. Une découverte faite bien trop tard.
| lkea 20 Janvier 2011 - 3480 lectures |
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