Le sludge, c’est mon grunge à moi. Avec ses histoires de détresses physique et mentale, sa lourdeur issue du punk, ses grésillements qui frôlent le psychédélisme et plongent dans un malaise bien réel, son dynamisme où blues et rock se rencontrent dans un écroulement commun, son jusqu’auboutisme confinant autant à une certaine radicalité qu’à une belle bêtise toute adolescente... Il y a de quoi faire des ponts, entre le grunge et lui, au point de les voir frères dans mon esprit.
Peu importe que vous soyez ou non d’accord avec cela : Thou, lui, a très bien montré les liens entre les deux, que ce soit dans ses différentes œuvres personnelles ou ses reprises multiples d’artistes de la scène grunge de l’époque. Soundgarden avec « 4th Of July », Alice In Chains avec « Brother » et « No Excuses »... et, pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, Nirvana, dont on retrouve ici l’ensemble des hommages que la bande de Bâton Rouge lui a rendu.
Une compilation pour l’instant disponible uniquement au format numérique, composée de reprises et dont les morceaux d’origine viennent d’un groupe qui, contrairement à pas mal d’autres, ne m’a pas marqué plus que ça ? Oui, mais c’est Thou qui s’en charge. On comprend donc que je suis allé tête baissée vers ces seize titres, doutant peu de la faculté du groupe à magnifier ce qu’il touche de ses doigts sludge (Raaaaah, sa version de « A Prayer To God » de Shellac... Un expert en la matière) ! C’est bien le cas sur ces soixante-neuf minutes, où l’on se demande qui apporte sa bénédiction à l’autre. Car Thou ne fait pas ici que suivre scrupuleusement un cahier des charges : il infecte les créations du trio de Seattle de ses éléments les plus toxiques, montrant toute sa capacité à défourailler comme rarement, à la manière de ce qu’il a pu présenter lors d’un autre catalogue, le malveillant
Ceremonies Of Humiliation. Il suffit de lancer l’écoute et d’accueillir « Aneurysm », premier morceau jouissif au possible, pour s’en rendre compte !
Avec un tracklisting réfléchi – du moins sur la version de Robotic Empire, celle autoproduite paraissant moins fluide à mes oreilles –, l’ensemble donne l’impression d’écouter un album à part entière où moments de lourdeur intense (« Endless Nameless », pouah !) et morceaux entêtants (« Scentless Apprentice », « In Bloom » ou encore cette reprise accrocheuse de « Even In His Youth ») se succèdent dans une cascade de délices pour qui aime se faire mal, rendant cette grosse heure facile à passer. Plus qu’un mariage des genres, c’est une harmonie rare qui se découvre ici, voyant cette compilation comme un lointain cousin d’Acid Bath. Même atmosphère vénéneuse et sale, même beauté virale, même chaleur étouffante, même vie hurlée à s’en faire mal : Thou, par un hasard heureux qu’apporte cette compilation, accentue ici son étrange charme, jusqu’à un final grandiose où l’écorchée « My Girl » finit d’épater, un genou à terre d’admiration et de fatigue heureuse.
Il n’y a rien de plus à dire, quand on passe autant de temps la gueule ouverte, abasourdi par ce qui semble être au départ une simple réunion de reprises faites au cours des années :
Blessings Of The Highest Order est une réussite comme on en voit peu, dotée d’une ambiance particulière et d’une identité forte que je n’ai jamais rencontrées dans une autre compilation de ce genre. Certes, on sent le groupe parfois plus timide, notamment lors de « Something In The Way » où l’interprétation se fait plus respectueuse, brisant un peu la magie d’écouter ici non pas des reprises de Nirvana mais bien l’album grunge de Thou. « Territorial Pissings », aussi entraînante puisse-t-elle être, dénote également au sein de cette salle de torture où le grunge se prend des coups de fouet noise et plombé par le sludge. Cela n’empêche pas l’essai d’être un hold-up aussi impressionnant qu’extra-terrestre, de la part d’une formation qui en compte pourtant déjà quelques-uns à son actif. Mais, après tout, qui d’autre que les Louisianais aurait pu faire pareil tour de passe-passe ?
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