Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion de vous rendre au Vietnam (
C'était pas ma guerre Colonel …) et d'y savourer un sinh tô (
un milk shake pour faire simple) à l'avocat … Non? J'avoue que cette boisson me fait systématiquement le même effet: intellectuellement je discerne bien à ma droite ce goût typique de l'avocat – qu'on associe en général à celui de la mayo', ou à celui des crevettes avec lesquelles il partage la tête d'affiche au sein de certaines salades estivales – et à ma gauche celui du milk shake – lait concentré, glace pilée, sucre. Au milieu? Bah rien. En bouche deux univers bien distincts coexistent, mais mon cerveau se refuse à les marier et à émettre un jugement quant au résultat. Bon et audacieux? Bof et contre-nature? Ça fait 10 ans que je renouvelle l'expérience et je n'ai toujours pas réussi à prendre position… Eh bien l'abord de "Guitarscreamachine" est à bien des égards similaire, mes terminaisons auriculaires n'étant a priori pas plus aptes à fusionner le chaud et le froid que ne le sont mes papilles gustatives.
Mais revenons donc à une présentation plus académique des forces en présence: Lex Talionis est un groupe de Toul-lou-seuh qui compte une grosse douzaine d'années au compteur. "Guitarscreamachine" est leur 3e album, et celui-ci propose une expérience – à ma connaissance, ignorant tout des 2 précédentes réalisations du groupe – totalement inédite. Le pivot central de la musique est indéniablement la guitare, mais une guitare au son synthétique sorti tout droit des boyaux d'un microprocesseur mutin. En effet que l'on considère cette gratte légèrement placée en retrait – qui apparaît de temps à autre pour distiller des mélodies relativement simples, en mode pointillés, permettant à l'auditeur de rester accroché aux branches –, ou bien cette autre plus frontale qui fait pleuvoir les notes comme les spermatozoïdes lors d'un bukkake, toute cette avalanche guitaristique est passée au travers de filtres pixellisant divers et variés (
on me parle de guitare midi dans l'oreillette). Autour des reines du bal évoluent une basse qui se fait rare mais qui comparativement sonne assez organique (
au tout début de « Apocalypse », ou encore à 1:31 sur « Him ») et un synthé – ou du moins une source des sonorités s'en approchant – qui densifie une musique n'ayant pourtant pas besoin de ce mortier sonore additif pour faire dans le solide et l'épais. Côté rythmique c'est un pilonnage sans pitié, un déluge non stop qui vous déferle dessus avec un débit et une constance ramenant le flot verbal de votre vieille tata Simone au niveau d'une relaxante musique d'ambiance. En renfort de ce matraquage en règle, ce qui me semble être des samples de guitare ultra saccadés viennent passer les bouts de tympans rescapés au hachoir industriel. Et quel espèce de Pavarotti mécanique peut bien gazouiller en surimpression de ce maelstrom sonore vous demandez-vous? Eh bien on a le droit en alternance à un « chœur » monotonal (
pour « usant d'un ton unique », et non pas pour un mélange gaffesque de « monotone » et « automnal » produit par l'illettré fan de SMS de service) qui égrène des monosyllabes en cadence avec la rythmique, et à un spectre « heavy » qui hurle sa rage en background sous les couches de distorsion que constituent les mur de sa cellule capitonnée au sein de la Matrice.
Bon alors après cette longue description des protagonistes, venons-en aux impressions. Au premier abord (
on appellera ça le « stade Keyser » - ‘xcusez la private joke), c'est assez simple: on se prend une avalanche d'infos sur le soin de la tronche, ça va trop vite, c'est trop dense, trop rigidement martial, il y a trop de couches, ça part dans tous les sens et ça sonne beaucoup trop synthétique. De plus certains plans frisent le ridicule (
depuis le temps, ce sacré « ridicule » doit être carrément crépu), que ce soit la diction en mode télégraphique des « chœurs » désincarnés, les sonorités kitsch à mi-chemin de la console Atari 1ere génération et des bruitages de flipper, ou encore les séances d'imitation caricaturale de mitraillette entreprises par la BAR. Et puis petit à petit émergent de ce bouillon éruptif des trames, des mélodies, de l'auditivement palpable. Mais ça reste encore too much, et ce torrent d'infos fatigue d'autant plus que l'album ne connaît quasiment pas de temps mort. En fin de course, bien qu'intrigué et de plus en plus impressionné, on reste sur une impression d'écœurement – un peu comme quand on s'envoie tout seul, au goulot, une bouteille de Bayley's – cette débauche métallique atteignant des dimensions over-the-topesques comparé auxquelles même
Biomechanical semble jouer du grunge. Mais bientôt on se met à y voir plus clair, à trouver ça osé, impressionnant de maîtrise et de culot. Certes ces incessants soli retombent régulièrement dans l'onanique caractérisé, mais en parallèle, il devient évident que l'impression initiale de chaos uniforme se retrouve isolée dans des espaces de plus en plus restreints, de plus en plus encadrée par la cohérence de vrais morceaux accessibles à la compréhension humaine. On se met alors à jouir d'un geyser de tapping à 1:19 sur « Heartless Tomorrow », d'une remontée des abysses main dans la main de la lead et du synthé à 2:50 sur « Despair », de l'hymne guerrière Star Warisante qui émerge à 1:16 sur « Weak Man » ou de cette cyber-mélodie hypnotisante qui ouvre « The Last Dawn ». De plus, progressivement, on se met à utiliser le qualificatif « épique » pour décrire certains passages (
la fin de « The Last Dawn », la Battle Galagtica de « Weak Man », le final de « Him »). Et puis il y a « The Fall ». Maman quel morceau! Cette mélodie insidieusement lancinante, cette dynamique, cette sensation d'une roulette de dentiste qui vous vrille les molaires (
mais là, vous aimez ça!): tout cela est parfaitement dosé. On a l'impression d'entendre la bande son d'un documentaire sur l'activité délirante d'une fourmilière chaotique parcourue de fréquentes décharges électriques, filmé par un épileptique pris de spasmes et diffusé en accéléré, le tout procurant un sentiment de puissance, de grandeur et de décadence. Tentez-donc vous-même l'expérience.
Vous l'aurez compris, gros morceau que ce « Guitarscreamachine ». Guère accessible lors des premières écoutes, pas non plus exempt de défauts (
un peu too much – trop dense, trop démonstratif, trop martial, trop synthétique …), l'album est néanmoins un recueil impressionnant d'inventivité, de technicité et de sensations à la fois inédites et grandioses. Dommage que M
Reverdy n'ait pas continué dans cette direction plutôt que de commettre un
Illuvatar franchement moins enthousiasmant. En tout cas si avec les années je me rends bien compte que ce n'est jamais vraiment avec grand plaisir que je retente l'expérience du sinh tô à l'avocat, au fil des écoutes c'est le phénomène inverse qui se produit avec « Guitarscreamachine ». A laisser infuser longuement avant de juger donc …
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