Nader Sadek - In The Flesh
Chronique
Nader Sadek In The Flesh
Nader Sadek est un homme fort sympathique, graphiste et concepteur artistique de talent pour Mayhem depuis deux ans, il travaille également avec Steve Tucker au sein du TME studio. Mais Nader a aussi des envies de musique, et de metal extrême en particulier, qu'il ne peut assouvir pleinement sans faire ressortir ses racines égyptiennes. Car oui, malgré son patronyme typique des Bouches-du-Rhône et son expatriation aux États Unis, Nader Sadek est Égyptien, et il veut faire ressortir son origine dans son projet musical personnel, qu'il a sobrement et modestement intitulé... Nader Sadek. Pas de bol, Karl Sanders l'a menacé de poursuites judiciaires ou pire (et quand on voit les têtes de ses guitares, on se dit que le pire peut être affreusement douloureux) s'il venait à évoquer les pyramides, les pharaons, le grand fleuve dont on ne connaît pas la source ou les sacs à main de 6 mètres de long qui le peuplent. On ne plaisante pas avec le copyright aux States. Alors il a eu une idée, parler du premier produit exporté de l'Égypte, le pétrole, et de l'impasse vers laquelle sa quête effrénée entraîne l'humanité. Une chance qu'il ne fût pas Palestinien, un concept album sur les cailloux, ça en aurait moins jeté... Sauf sur les Israéliens, bien entendu.
In The Flesh est donc le premier album de Nader Sadek qui, en bon all-star band, regroupe quelques musiciens emblématiques du metal extrême : Steve Tucker – qui, pour les jeunes qui n'auraient pas connu cette époque fabuleuse, est l'homme qui a insufflé une nouvelle jeunesse à Morbid Angel après le départ de David Vincent le temps de trois albums allant chronologiquement du génial à l'excellent – au chant, Rune Eriksen de Ava Inferi, anciennement connu sous le nom de Blasphemer au sein de Mayhem, à la guitare et notre compatriote Flo Mounier de Cryptopsy à la batterie. Si vous bavez déjà sur votre clavier, sachez qu'en plus Attila Csihar de Mayhem et Travis Ryan de Cattle Decapitation viennent faire de discrètes piges au chant, qu'on remarque à peine aux premières écoutes, mais surtout que tous les solos sont l'œuvre de Destructhor de Morbid Angel, (feu ? ) Myrkskog et Zyklon, Tony Norman de Monstrosity et enfin Mike Lerner de Behold The Arctopus. Ça fait du monde hein ?
On pourrait croire que Nader Sadek a complètement muselé les aspirations créatives de tous ces invités pour que ce ne soit pas le joyeux bordel, ou tout du moins qu'il a préalablement balisé le terrain. Et bien même pas, il n'a d'ailleurs participé à la composition que de deux véritables titres : « Petrophilia » et « Nigredo In Necromance », tous les deux co-écrits par Rune Eriksen qui pour sa part a composé à lui seul « Sulffer ». Et si j'évoque des véritables titres, c'est parce que « Awakening », « Exhaust Capacitor »et « Rusted Skin » ne sont que de courtes plages d'ambiance. Les trois titres restant, à savoir « Of This Flesh », « Soulless » et « Mechanic Idolatry » sont intégralement composés par Steve Tucker. Malgré cette pluralité de compositeurs, In The Flesh est un album d'une grande cohérence, et une baffe assénée à tous ceux qui pensaient que le véritable death metal s'était perdu au cours des dernières années.
Si vous n'avez pas la furieuse impression d'écouter le grand Morbid Angel pendant tout le début de « Of This Flesh », c'est que vous n'avez jamais jeté une oreille aux meilleurs albums de cette légende du death floridien. Clairement, la mainmise de Steve Tucker sur les trois titres centraux se fait ressentir, et ses vocaux toujours aussi incroyables de puissance, de profondeur et de maîtrise n'ont rien perdu du sublime d'antan. On peut d'ailleurs en dire autant des excellentes paroles qu'il a écrites et qu'il sublime par son sens du placement et son intelligibilité sans équivalent dans l'histoire du death metal. Mais si ses compositions sont les plus brutales et les plus efficaces de In The Flesh, elles ne contrastent en rien avec celles de Nader Sadek et Rune Eriksen, qui sont faites du même death metal aux rythmiques variées et au feeling très sombre. Au delà des riffs de guitare qui évoquent l'ange morbide et du jeu de batterie à la Cryptopsy, les titres sont suffisamment bien pensés pour ne pas sonner « à la manière de », on songe même plus à la fureur de Centurian période Liber Zar Zax pour « Soulless » ou à la noirceur de Immolation sur « Mechanics Idolatry » qu'à l'ancien groupe de Steve Tucker. Passant progressivement de la lourdeur - qui n'est pas ici synonyme d'absence de mélodie ou de rythmique syncopée, je me sens obligé de le préciser vu que presque tous les groupes d'aujourd'hui ne savent pas ralentir le rythme sans tomber dans ces travers immondes – au blast le plus furieux qui soit sans sauter les vitesses, ce premier album de Nader Sadek scotche par son intensité, sa justesse, la beauté de ses arrangements et l'intelligence de ses compositeurs.
Mais ce qui surprend plus encore, c'est l'alchimie qui existe entre les musiciens. Je vous l'avoue, n'ayant jamais aimé Mayhem et ce encore moins à l'époque de Blasphemer, et n'appréciant pas plus Cryptopsy que je n'estime particulièrement le jeu de Flo Mounier, je m'attendais même à être franchement déçu par une pareille réunion. Pourtant mon scepticisme a été balayé par l'évidence : j'ai rarement entendu une somme d'individualités, de musiciens à la personnalité aussi forte, accorder leur jeu dans une telle harmonie. Entre les multiples détails que Blasphemer imprime au delà de la mélodie principale (accords dissonants, arpèges vicieux, delay et autres joyeusetés), le jeu évolutif de Flo Mounier qui se fait subtil même dans la brutalité, et le relief qu'insuffle Tucker, il y a une si grande logique que l'on ne peut s'imaginer In The Flesh autrement. Dès lors tous les titres s'enchaînent sans même que l'on y prête attention, mais révèlent tout de même quelques moments de grâce, comme l'excellente accélération sur « Soulless » qui précède un superbe solo du revenant Tony Norman (dans tous les sens du terme, puisqu'il avait littéralement disparu en 2005 avant de revenir comme si de rien n'était). Tous les invités remplissent d'ailleurs parfaitement leur rôle, particulièrement Mike Lerner dont l'inventivité est enfin mise en évidence dans un groupe écoutable – oui, même dans une chronique dithyrambique j'arrive à être un connard.
Il serait toutefois faux de dire que l'album est exceptionnel de bout en bout, car le break vers 2:30 sur « Petrophilia » est clairement le moment le plus faible de tout l'album, avec son riff posé et catchy un peu trop facile, qui tranche avec la puissance de son formidable refrain qui vous donnera envie de hurler à tue-tête « Now, that your world is gone, your religions fall, and your God has caused , every war we've seen ». Oui bon, une minute un peu en deçà, c'est déjà un défaut ! Non, son plus gros, et j'oserais même dire son seul véritable défaut est malheureusement de taille, ou devrais-je dire de durée : 29 minutes et 56 secondes c'est déjà très court, mais alors quand on doit encore leur retrancher 3 minutes et 10 secondes de plages d'ambiances diverses, ça devient vraiment handicapant. Dommage parce que musicalement In The Flesh est quasiment irréprochable, et il aurait sans problème écopé de 9 voire 9,5/10 avec un bon quart d'heure de plus.
In The Flesh est en soi un tour de force, celui de réunir des musiciens talentueux mais d'horizons divers, et d'en tirer la quintessence sous une même direction artistique. À ce titre on peut le dire, le nom de Nader Sadek donné à ce groupe n'est pas usurpé, car l'homme, même en n'étant pas instrumentiste, a réussi à construire un univers musical cohérent, à s'entourer des hommes les plus adéquats pour mettre sa vision en musique, avant qu'il ne la mette lui même en image, et avec talent comme vous pouvez le constater avec le surprenant mais excellent « Nigredo In Necromance », et très bientôt avec « Sulffer ». On ne s'étonnera d'ailleurs pas que la production dont il s'est chargé avec Steve Tucker, soit tout à la fois puissante, sèche et profonde, parfaite pour soutenir sa pernicieuse engeance sonore. In The Flesh est semblable à la gravité : un fait établi que l'on n'imaginerait pas autrement, une force d'attraction naturelle à laquelle on n'essaye même pas de résister. Cet album coule de source. Une source polluée par la noirceur des hydrocarbures, pernicieuse et contaminante, mais que l'on ne peut empêcher de couler. Fans de death metal sombre, jetez-vous dessus. Nostalgiques de Morbid Angel, amoureux de Steve Tucker, réjouissez-vous du retour au sommet de ce génie vocal resté trop longtemps muet. Amateurs de metal extrême ambiancé, vous savez ce qu'il vous reste à faire. Quant à moi, je me retire du monde de la chronique le temps de réunir un all-star band de mon grand cru, que j'appellerai modestement Von Yaourt, et de composer un concept album ambitieux sur les ravages de la quête du vin rouge parmi la population bretonne le soir venu. On parle de sujets graves en France mon bon monsieur, certainement pas des petits problèmes du tiers-monde.
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