[ A propos de cette chronique ] C'est tambour battant que PESTE NOIRE scande son renouveau avec un album éponyme revigorant la fierté d'agiter cet étendard à la tête de mort et de foutre des coups de paraboots bleu blanc rouge au sein de la fourmillière Black Metal internationale depuis près de 12 ans. Depuis DOR DAEDELOTH, le chemin de croix de Famine a été semé d'embûches, au milieu des falsificateurs d'identité, de la horde de zombie bootleggers timbrés, des détracteurs invétérés -parfois proches de la maladie mentale- et des galères diverses, à l'image de celle dans laquelle s'est embarquée la tête pensante de ce groupe français pour la sortie maintes fois retardée de cette nouvelle cuvée que je n'ai pas manqué de suivre malgré les maux d'estomac que m'avaient donnés la précédente.
Bref, après la centralisation en 2011 de tout ce qui se rapporte à PESTE NOIRE sur cet organe de propagande unique qu'est La Mesnie Herlequin, deux éditions pour le successeur de
L'ordure à l'état pur furent proposées en pré-commande : l'une minimaliste, exposant une pochette cartonnée en noir et blanc au design proche du
Warsaw de JOY DIVISION avec un double clin d’œil humoristique, à la fois aux « Parasites Sociaux » et à l'État français, l'autre avec un somptueux packaging comme rarement j'en ai vu pour une sortie Black Metal, exposant fièrement la nouvelle position stratégique de PESTE NOIRE : l'Auvergne, avec ce gonfanon revisité pour l'occasion par Metastazis, responsable une fois encore de toutes les illustrations qui rappellent tantôt l'art médiéval, tantôt certaines images de propagande du XX° siècle, à l'image d'un Famine déguisé plusieurs fois l'occasion, tantôt dominant avec ses ongles crochus le globe du Black Metal livré à son ambition dévorante, tantôt représenté en uniforme plus typé XIX° siècle, tantôt en moine, en compagnie de l'excellent batteur Ardraos (officiant dans SUNHÖPFER son projet solo, dans CHRISTICIDE, dans AORLHAC et dans d'autres bons groupes...) lui aussi costumé pour l'occasion. Un ensemble d'illustrations chevaleresques comme humoristiques qui donne une vraie cohérence à l'atmosphère qui ressort tout le long de ce véritable panier à quenelles qui était attendu le pied ferme par les aficionados du groupe tout comme -et c'est une des forces du KPN- par ses farouches opposants.
C'est une fière et belle ambiance qui constitue l'épicentre de la nouvelle œuvre du Kommando et contribue à façonner un ensemble bien plus marquant que la précédente offrande. Dès « Le retour de la peste », introduction martiale perclus d'extraits de discours des meneurs de la L.V.F. avec parmi eux celui de Pierre Clémenti dont l'extrait de la diatribe lance l'album et pose ses marques. PESTE NOIRE, fort de sa nouvelle mission, gagne en intransigeance et en rigueur des convictions ce qu'il perd en « grotesque »... et se fait donc bien plus pertinent dans ses riffs, qui déversent cette patte bien connue à l'aide d'un son délicieusement organique, mettant en valeur les atouts comme les défauts du maelström d'influences guitaristiques du sieur Famine, supportés bravement par la batterie tentaculaire d'Ardraos dont la patte est immédiatement reconnaissable, de par ses breaks dynamiques qui rythment avec maestria ses blasts comme ses patterns plus classiques.
Le fameux batteur allume d'ailleurs dès « Démonarque » un blast surpuissant qui laisse bientôt la place à la voix complètement maladive de Famine, cet instrument vulgaire et irrégulier qui peut être aussi crispant sur certains passages que complètement transcendant sur d'autres, comme par exemple le final ultra poignant de « La bêche et l'épée contre l'usurier », un des morceaux de PESTE NOIRE les plus aboutis de ces dernières années à mon sens. Le genre de morceau sur lequel on s'enflamme dès la première écoute et qui marque durablement un auditeur. «
R'garde ma France, c'qu'elle est devnue / L'est toute rance, depuis qu't'es r'v'nu / Un hosto-zoo, une psychiatrie / C'est tout c'qui reste de ma patrie... MA... PATRIE »... ce genre de vindicte complètement habitée montre une fois encore que Famine est resté ce parolier brillant, sachant exprimer sa rancœur et ses revendications autant dans un registre plus soutenu qu'au travers de punchlines plus relâchées. Et aux longueurs plombantes et grinçantes de la précédente offrande se substituent ces passages savoureux qui font se dresser instantanément les poils du corps de l'auditeur et illuminent
Peste Noire de leur aura. En effet, ce disque brille bien souvent par ses assauts polyvalents, à l'image du tourbillon « Niquez vos villes » qui propose un panel de riffs aussi variés qu'efficaces, comme le groove totalement dément que Famine et Ardraos mettent sur le monstre qui succède à son introduction solennelle et qui fait clairement partie des réussites de cet offrande. «
À moi la Haute-Loire ! » hurle à pleins poumons le chantre du « BM ttbm » qui insulte à tours de bras "lo Anemi Francor" lors d'un rap bas-du-front évoquant avec un second degré évident Seth Gueko, vomissant les affres de la modernité du « Samsung dernier cri » pour ensuite hurler avec une rage brûlante, annoncée par les instruments à vent venus à son secours, l'urgence de la révolte face aux «
catastrophes qui s'préparent » pour finir, après la cavalerie menée par le « mystérieux » chevalier ukrainien R., sur un solo aussi efficace que maîtrisé.
Et on y croit, à cet album burné qui sait se faire fédérateur grâce à ses nombreux chants catalysés par l'alcool et entonnés à plusieurs reprises par la voix vigoureuse souvent fausse mais touchante de La Sale Famine de Valfunde et de ses compères. Sur « Démonarque », par exemple, accompagné par l'accordéon d'Ardraos, notre bougre se targue d'une rengaine accrocheuse («
Ah, qui voudra recouvrer le sens et le mérite / Qu'il aille dans les zones occupées de France et qu'il se fritte ! ») que la voix soyeuse de Sainte Audrey-Yolande de la Molteverge finit par rejoindre lors d'un duo final de toute beauté. Cette voix cristalline et aérienne hante notamment « La bêche et l'épée contre l'usurier » où elle sonne un tocsin monarchiste espérant le retour des « prince hardis » et « La blonde » notamment, où son intervention très sensuelle est un des points forts du morceau. En définitive, la voix déglinguée de Famine tantôt se suffit à elle-même, dans ses excès, dans ses forces et ses faiblesses, tantôt fait le choix de conduire ses hymnes en chœurs. Il faut dire que les soutiens ne manquent pas !
A cet organe erratique immédiatement reconnaissable se substituent les tessitures elles aussi uniques des invités plus ou moins connus qui hantent ce nouvel album de PESTE NOIRE, se métamorphosant ainsi en véritable « milice » pour l'occasion. Introduit à la manière d'un héraut par Famine sur « Démonarque », Ravenlord se targue d'une intervention qui se rapproche de manière très pertinente de la musique torturée qu'il a l'habitude de vomir et que l'on retrouve sur le début de « Moins trente degrés Celsius ». Mais c'est dans un registre plus inattendu et original qu'il répond aux hurlements de Melkor, son acolyte de WOODS OF INFINITY, sur « Niquez vos villes », magnifiant par la même le feeling dantesque inhérent à ce morceau complètement extraterrestre qui est à compter parmi les moments les plus intenses de ce nouvel opus lorsque la voix gutturale de Roman Saenko de HATE FOREST / DRUDKH / BLOOD OF KINGU et plus récemment RATTENFÄNGER (ainsi qu'un autre groupe que je n'ai pas envie de citer...), lancée comme un featuring hip-hop par le DJ Famine («
Mate qui chante sur mon skeud ! »), assène le dernier coup de boutoir de ce brûlot barrésien. Le colosse slave éructe également avec toute la puissance caverneuse qu'on lui connaît un poème de Taras Chevtchenko sur « Ode », paroxysme de la conviction et de l'émotion de cet album aux multiples facettes mais à la cohérence évidente.
Au milieu de ces belles harangues traîne « La blonde », tube schizophrène en puissance. Khräss de ABJEKT ou encore NÉKRHÄRKH pousse la chansonnette avec Famine sur cet hommage Oï/rock à la bière, boisson salvatrice comme destructrice, à l'image des deux phases du morceau. Le genre de petit délire entraînant dont on répétera inconsciemment les paroles faciles et accrocheuses telles que «
La blonde ! Elle t'chiera pas des chiards dans l'dos ! La blonde ! Elle te d'mand'ra pas en mariage ! ». Si la première partie est diablement fraiche, efficace et distrayante, la seconde, davantage Black Metal, est plus sombre et aussi plus anecdotique... mais contrairement aux précédentes fantaisies comme « Cochon carotte et les sœurs crottes », trop indigeste et trop longue, « La blonde » sait s'arrêter quand il faut et s'avère être une réussite, un petit morceau à l'ambition limitée mais qui a le mérite de constituer une pause dans ce torrent d'émotions radicales qui parcourt l'échine de l'auditeur durant toute la durée de ce
Peste Noire qui n'est pourtant pas indemne de défauts.
Si Dunkel de SALE FREUX et Lord Arawn de SACRIFICIA MORTUORUM se joignent à notre agitateur sur « Le clebs noir de Pontgibaud », ce morceau reste pourtant le plus faible de l'album, tant il me semble craquelé par les longueurs et les errements pénibles, notamment du clavier final qui est très agaçant. Et ce même s'il fait implicitement référence à cette petite bourgade puy-dômoise au Nord-Est de Clermont-Ferrand ! Cette nouvelle « patrie charnelle » semble fortement inspirante pour le meneur de PESTE NOIRE qui affirme une fois encore son intérêt pour le folklore médiéval au travers de passages purement atmosphériques convaincants où s'illustre avec grâce la vielle à roue, comme sur le long passage de « Démonarque » où, en compagnie de la flûte traversière d'Autumnos, la manivelle de l'Atrabiliaire et la guitare acoustique de Famine s'unissent pour chanter les louanges du « roi anarque » ou sur « Ode » et sa conclusion marquée au fer rouge par ce sublime héritage que le compositeur ressuscite avec une grande réussite. L'utilisation des trompettes et du clairon de Lazareth (« La bêche et l'épée contre l'usurier ») ainsi que du carnyx et du lituus de Veurmin (« Niquez vos villes ») rappellent également, durant leurs instants de gloire que l'Histoire, comme une réponse au monde moderne écrasant, n'est jamais loin de PESTE NOIRE, conférant ainsi au groupe une rare authenticité dans son rapport au patrimoine païen européen.
Pourtant, quelques longueurs pointent le bout de leur nez, avec en premier lieu certains riffs plus bateaux qui souffrent clairement de la comparaison avec d'autres, à l'image du premier break trop basique par rapport à ce qui le précède dans « La bêche et l'épée contre l'usurier » (2:42) ou de l'introduction traînante à laquelle succède une trame un peu fade sur « Le clebs noir de Pontgibaud » qui reste à mon goût une division en dessous des autres morceaux. J'ai encore du mal avec la voix de Famine qui a toujours cette tendance à être trop envahissante sur certains passages, versant parfois dans l'excès et la caricature dans ce registre cynique et farceur que beaucoup continueront de vénérer en me laissant sur le bord de la route. « Moins trente degrés Celsius » comporte également quelques longueurs initiales vite annihilées par une conclusion fringante emmenée par le galop d'Ardraos et les derniers hurlements d'un Famine qui saccage complètement son organe dans un « dernier cri » sans doute noyé dans les miasmes de l'alcool.
Malgré des faiblesses bien plus anecdotiques que sur
L'ordure à l'état pur, les belles pulsations partisanes quitteront rarement le cœur de l'auditeur lors de l'écoute de ce nouvel opus qui porte en son sein un Black Metal atypique et varié, complètement enraciné et identitaire, un véritable manifeste qui insiste avec grâce et fierté sur des valeurs que peu partageront... oui, PESTE NOIRE porte bien haut ses couilles dans un Black Metal très très bien membré et impose
Peste Noire non pas comme la compilation de ce qu'a pu faire le groupe par le passé mais comme un album entier, plutôt équilibré et carrément authentique qui rebutera les « moches de gauche » et qui renforcera l'ardeur des convaincus dans les moments de doute.
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