Retour aux joies de la chronique pour votre serviteur, quelques semaines après avoir eu le bonheur d’enfanter autre chose qu’un bouquin dont personne n’usera pour caler une table (le numérique, c’est l’avenir !). Et quoi de plus indiqué comme album de reprise que celui avec lequel j’ai bercé ma puce tout l’été en chantant, fort mal, les paroles de « Breath On A Window » ? Je vous vois venir. A la lecture de ces lignes, vous vous dites : ça y est, le tennisman enchaine les bourdes au filet comme un Misha Sverev en pleine bourre. Passe encore qu’il délaisse sa vieille came death pour céder aux sirènes du stoner graisseux (ça va, j’ai écouté le CARCASS et oui, il assure). Mais de là à fredonner du ALICE IN CHAINS à sa petite fille ? Je vais vous dire une chose. Si mon petit bout de chou n’a rien trouvé de mieux parmi 50 doudous possibles que mon antique t-shirt MEGADETH de 1994 (celui où Vic berce un nourrisson, ça tombe bien), ce n’est sans doute pas par hasard. J’en prends le pari. Si Thrashocore émet encore quelque part à l’horizon 2033, une certaine Miss Johansson viendra vous compter la suite des aventures de Jerry Cantrell et sa bande de croque-morts.
Enfin ça, c’est sous réserve qu’ils tiennent jusque là. Déjà que le sieur Jerry a les épaules qui grincent, pas dit qu’il puisse tenir autre chose qu’un harmonica quand le grunge sera devenu l’équivalent du dinosaure de l’artwork. Une opération à l’épaule qui nous a valu un report de la sortie et plus d’un an passé en studio, ce qui a sans doute nuit à la spontanéité de la bête. En ce qui concerne le temps de latence entre l’album miracle
« Black Gives Way To Blue » et l’arrivée de ce (seulement) cinquième full length, pas de quoi crier au scandale. Pour tout dire, je les ai même trouvés plutôt rapides pour accoucher du successeur d’un des meilleurs skeuds des années 2000. Maintenant, pour revenir aux digressions de l’intro, ceux qui auront tiqué sur le terme « berceuse » auront tôt fait de cerner le problème : avec « The Devil Put Dinosaurs Here », ALICE IN CHAINS est loin de livrer la réalisation la plus nerveuse de sa discographie.
Pour faire plus court qu’une tracklist qui aurait gagné à être resserrée (une heure sept minutes le bousin, tout de même), si d’agréables réminiscences de « Jar Of Flies » mettent un peu de vie dans le désert (la pédale wah-wah sur « Lab Monkey »), cette nouvelle offrande est plutôt paisible. Avec les seuls « Hollow », « Pretty Done », « Stone » et « Phantom Limb » comme morceaux purement heavy, le diable qui a botté le cul des T-Rex a troqué la veste en cuir pour un short de plage, comme si les Beach Boys couchaient sur bande un bon vieux retour d’acide. Est-ce vraiment un problème ? Pas vraiment. Le défaut dans le bronzage se trouve dans la durée déraisonnable du disque et surtout dans la comparaison avec l’effort précédent, tellement plus intense. Rendons nous à l’évidence, c’en est terminé des pics émotionnels de
« Black Gives Way To Blue », qui font encore monter les larmes quatre ans après que le groupe soit sorti de la tombe. Ici, c’est plutôt l’été en pente douce, soit du ALICE IN CHAINS en mode pépère, qui capitalise sans trop forcer son talent sur ces principaux traits de caractère ; les refrains à tiroir, le mal être pointant sa sale trogne à l’horizon (les arpèges du title track, lugubres à souhait) et cette rage contenue, rampante, toujours prête à surgir au détour d’un final délicieusement plombé (la bien pesante « Pretty Done », meilleur titre et de loin). Il y a du bon dans ces ritournelles pop rock acidulées (« Low Ceiling », « Voices », « Choke ») qui, il faut le reconnaître, n’altèrent en aucun cas l’image de marque du quatuor. L’équilibre entre parties dures et séquences plus souples, en revanche, est à blâmer. Ceux qui trouvent dommageable la brutale chute de tension passé le cinquième titre n’ont pas loupé leur cible, car il faut patienter jusqu’au dixième morceau pour trouver trace d’un orage typique du mois d’août (la déferlante « Phantom Limb », rare éclair dans ce songe d'une nuit d'été). La foudre ne frappant guère que deux fois au même endroit, il faudra se contenter des sympathiques « Choke » et « Hung On A Hook » pour conclure. Rien de transcendant ni de déshonorant, soit la tonalité générale de ce qui reste un bon album de complément, dans la droite lignée stylistique de l’ère William DuVall. Déjà parce qu’une rondelle d’ALICE IN CHAINS, ça n’arrive pas tous les quatre matins. Ensuite, ce n’est pas comme si on n’avait pas l’habitude d’essuyer une douche froide passé un incontournable (toujours autant de mal à digérer l’éponyme de 1995, dur de passer derrière
« Dirt »). « The Devil Put Dinosaurs Here » est donc de ces albums qui passent mieux expurgés de deux ou trois bouche trous (« Lab Monkey », « Scalpel » et même le morceau titre finalement, longuet, dont le refrain principal nous laisse crever la gueule ouverte au pied d’un cactus) pour se concentrer sur le positif ; bien que moins essentiel que
« Black Gives Way To Blue », TDPDH ne mérite pas qu’on le dénigre pour autant, car il contient suffisamment de bonnes choses pour qu’on y trouve son compte. Certes, ceux qui espéraient que DuVall s’affirme au contact du trio originel en seront pour leur frais mais pour le reste, même si l’inspiration s’est un brin tarie depuis leur retour des flammes de l'enfer, « The Devil Put Dinosaurs Here » ne fera pas tache dans la discographie des Américains. Car si l’on peut parler de déception relative, le décalage entre paroles et musique (Christophe Lambert likes this), lui, est toujours aussi délectable !
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