Lethe - When Dreams Become Nightmares
Chronique
Lethe When Dreams Become Nightmares
Après quelques années d'errance, Manes semble enfin sortir la tête de l'eau. Avec la collaboration de Debemur Morti Productions qui laisse espérer un nouvel album pour 2014, le combo Norvégien effectue un doublé en sortant simultanément la compilation "Teeth, Toes And Other Trinkets" (chroniquée dans ces pages) ainsi que ce projet pour le moins étonnant. Humoristiquement qualifié par Manes sur son Facebook de "Manes with tits" ("Manes avec des seins" au cas où votre anglais pornographique serait incomplet), Lethe est né fin 2012 de la rencontre entre Tor-Helge Skei (Manes) et Anna Murphy (Eluveitie, Nucleus Torn), deux personnes officiant dans des univers relativement différents à première vue mais dont l'association avait déjà fait ses preuve sur l'EP "Come look at the Darkness With Me" quelques mois plus tôt. Avec l'aide des camarades de Skei, le duo accouche de ce premier album, un album qui porte décidément bien son nom.
Puisque chacun y va de ses références pour qualifier la musique de Lethe, je ne peux résister au plaisir de m'adonner à ce petit jeu. Pour moi, elle se situe entre le trip-hop torturé de Portishead, la folie des débuts de Starofash et les expérimentations d'un Manes, avec peut-être une petite touche gothique rappelant les anciens The Gathering. Le style pratiqué reste dans le prolongement de l'EP, à savoir résolument sombre et atmosphérique, mélangeant rock et électronique avec la précision qui a fait la renommée de Manes, en moins aventureux ici. Ce mélange des genres crée une sorte d'entité bioméchanique dont la beauté semble émaner de la souffrance même de son existence, comme une expérience ratée condamnée à survivre. Cette souffrance, le duo la cultive et nous la fait partager tout au long de ces dix pièces, nous traînant sur des chemins tortueux aux atmosphères tantôt angoissantes, tantôt plus mélancolico-dépressives. Le travail de composition donne le vertige, empile les couches d'instruments pour un résultat d'une incroyable richesse, parfaitement équilibré entre guitares électriques, chant et sonorités synthétiques. Anna Murphy réalise une performance impressionnante et s'impose naturellement comme le visage humain du groupe. Secondée par les interventions de Asgeir Hatlen dont l'impact n'est pas à minimiser, sa voix demeure le principal vecteur d'émotions : à la fois puissante et fragile, elle transcende chaque ligne de chant, de la plus brute à la plus douce, autant d'invitations qu'il est impossible de refuser.
Techniquement irréprochable, "When Dreams Become Nightmares" l'est presque autant sur le plan artistique. A l'exception de "Ad Librum" que je trouve un cran en dessous du reste, Lethe excelle dans tout ce qu'il touche. Chaque morceau, qu'il soit incisif ou aérien, porte en lui cette grâce et cette sensibilité rare qui dressent le poil, vous maintenant dans une ambiance délicieusement malsaine qui ne vous lâchera pas avant la dernière note du supplice de la conclusion. Vous en ressortirez avec une cicatrice de plus dans votre esprit, sadiquement imprimé par autant de compositions fourmillant de refrains imparables, d'arrangements débordants de feeling et de mélodies assassines. Des cris d'un "In Motion" aux lamentations de "You", du possédé "Love Pass Filter" au délicieux saut dans le vide qu'est "Come look at the Darkness With Me", la créature polymorphe créée par le duo suisso-norvégien étonne par sa maturité et la maîtrise de son son, un premier jet à l'identité bien trempée à la fois émouvant et terriblement addictif. Il n'y plus qu'à espérer que ce couple improbable ne soit pas qu'un coup d'un soir.
| Dead 5 Janvier 2014 - 2581 lectures |
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