Je le rappelle car peu l'ont fait : écoutez
L'odeur du Sang. Il reste un des plus beaux exemples de ce qu'on attend de l'underground. Pas uniquement la même pitance qu'on nous sert à chaque fois avec un artwork brouillon et un tirage limité, mais une œuvre radicale, certes inscrite dans une certaine tradition, mais s'en démarquant par une vision qui donne un petit goût d'inédit à ce qu'elle contient. Un disque aussi tapageur que personnel, montrant que Satan ne s'inscrit pas dans le confidentiel faute de mieux. Qu'il le fait par choix.
Et donc, les Grenoblois, peu de temps après, ont décidé de lui donner un successeur. Cela semble osé, car si
L'odeur du Sang venait couronner quelques années de torgnoles mises sur scène où je me disais que « le jour où ils sortiront un disque, ça fera mal »,
Un Deuil Indien, lui, a la charge de poser les Français comme autre chose qu'une entité méconnue ayant, une fois, tapé particulièrement juste. Raison pour laquelle ce nouveau longue-durée (toujours une façon de parler avec eux, ce dernier se situant en dessous des dix-sept minutes), cette fois réalisé en collaboration avec Throatruiner, m'a laissé à plus d'un titre désarçonné au départ.
C'est que Satan fait ici une somme de choix qui font douter la personne attendant de
Un Deuil Indien les mêmes bleus que
L'odeur du Sang. Toujours punk et toujours black metal (voire davantage, tant sa démarche s'enfonce dans des délires poussés à en devenir misanthropes, cf. cette pochette ou encore ces paroles surréalistes traçant des lignes entre Lautréamont et Jean Cocteau), il brouille les pistes, délaissant un poil les riffs assassins dont il nous a comblés autrefois pour une exécution soutenue fricotant avec la noise : il en faut, du temps et de l'envie, pour se faire l'oreille à ce mixage raw et étrange de Steve Austin, appliquant le rendu de son groupe Today Is The Day aux compositions des Français. Batterie tambourinant dans un coin, basse sur-mixée et guitare mise en retrait, ce deuxième album donne l'impression d'être face à une bouillie dont il faut tamiser le contenu pour l'apprécier à sa juste valeur. Un parti pris qui, malgré des dizaines d'écoute, me pose encore question, tant il offre en originalité ce qu'il perd en lisibilité.
Par contre, ce qui ne laisse aucun doute est que Satan a une nouvelle fois frappé fort, avec une intelligence faisant qu'il est aisé de passer outre un habillage un brin repoussant. Sans perdre en intensité (ouch, cet enchaînement « Regarde-La Dans Les Yeux » / « Crainquebille » !), la bande est allée approfondir les atmosphères de folie noire entre squats punk et pamphlets désacralisant toute chose, jusqu'à la logique, à l'image de ce chant plus varié que par le passé, aliéné, à la hauteur des paroles de destruction et d'irréel qu'il transmet de sa gorge maltraitée, où tout déraille comme quand on a abusé du vin. Toujours capable de sortir sans crier gare quelques petites tueries, Satan donne sur
Un Deuil Indien de quoi marquer le crâne derrière un apparent désir de jouer serré : que ce soit avec « Ça Coupe Et Ça Saigne », « Olympia Pleure » ou encore « Totale Éclipse », il reste à la hauteur de son nom, aussi grotesque que vicieux, blasphématoire que séduisant (cette mélancolie mordue par le froid surgissant ici où là).
En fait, les Français peuvent se voir ici, plus qu'avec
L'odeur du Sang, comme les petits frères survoltés et poètes de
Sordide. Un split entre eux est d'ailleurs prévu plus tard dans l'année : autant dire que j'ai hâte de l'entendre, tant
Un Deuil Indien possède, à sa manière, cette transe noise et punk avec laquelle jouent également les Rouennais. Plus expéditifs, les Grenoblois obligent à retourner continuellement vers eux, s’avérant si accrocheurs qu'on tombe facilement dans leur panneau, celui du disque au premier abord fait pour se défouler et, au final, entêtant.
On le voit, malgré quelques changements notables (mixage ; voix passant de l'aigu au grave), Satan est, au cœur, tel qu'on l'avait laissé avec
L'odeur du Sang : batailleur, viscéral, clochard, dépravé... Punk. Si quelques éléments laissent penser qu'il fait ici parfois les choses à moitié – étant donné les flots d'idées, je me demande s'il ne devrait pas se risquer, à l'avenir, à dépasser la barre des trois minutes pour laisser ses ambiances se développer pleinement, à la manière d'un
Alkerdeel –,
Un Deuil Indien montre que la formation n'était pas qu'une bonne surprise passagère, mais bien un groupe avec lequel on peut espérer faire un bout de chemin, quitte à se perdre un peu. Léon Bloy, dans son roman
Le Désespéré, disait des
Chants de Maldoror qu'ils étaient noirs, insensés, dévorants, semblables à de la lave liquide. Satan mérite les mêmes compliments, et j'espère encore longtemps en subir les torrents !
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