Forcément, quand un groupe comme Satan décide d’arrêter ses activités – suite au départ de son bassiste et le déménagement de son guitariste –, l’heure vient de faire un petit bilan personnel de son lien avec lui. Car les Français m’ont marqué plus d’une fois, que ce soit au travers de concerts mémorables (je retiens particulièrement celui donné au regretté Yell Fest ainsi que celui fait à l’école des arts décoratifs de Strasbourg, tous deux m’ayant montré que « Black / Punk » n’était pas qu’un genre mais aussi une émotion pouvant se vivre en direct), de discussions lors de ces moments (des mecs aussi intéressants dans leur musique qu’en dehors), ainsi que des œuvres où chacune a su créer un lien particulier avec elle.
C’est une nouvelle fois le cas avec
Toutes Ces Horreurs, troisième longue-durée des Français qui succède à l’étonnant
Un Deuil Indien. Une œuvre testamentaire donc, volontairement ou accidentellement, qui semble pourtant ouvrir une nouvelle porte dans le style de la bande. Il est clair que Satan a pu questionner énormément, la furie de
L’odeur du Sang ayant laissé la place à d’autres envies et sentiments contrastés, lors d’un split avec Sordide plus expérimental et décadent, un second album plus noise et misanthropique. Le deuil dont parlait alors Léo Vittoz, hurleur en chef, paraissait être aussi celui de cette véhémence aussi punk que black metal qui marquait jusque-là la formation.
L’odeur du Sang était le résultat d’années passées sur les planches et dédiées à l’underground, faisant le pont entre radicalité grindcore des débuts et radicalité black metal de la suite. Mais ce qui lui a succédé laisse croire que l’œuvre de Satan commence après.
En effet,
Toutes Ces Horreurs ne renoue pas avec la violence abrasive de son grand-frère mais poursuit la démarche entamée avec
Un Deuil Indien. Toujours porté par une exécution rapide (seul dénominateur commun à l’ensemble de sa discographie), Satan donne malgré tout des impressions plus nuancées et développées sur ces nouvelles trente-trois minutes, à commencer par un « Confitures Pour Cochons » qui plonge à pied joint dans ce surréalisme français marqué par Jean Cocteau influençant en filigrane ses compositions. En soi plus proche du projet en solitaire de Léo « Riton La Mort » (
Bière Noire), ce titre reste étonnamment cohérent avec les autres titres de l’album, comme une introduction qui donne des indices sur les intentions de l’œuvre.
Au premier abord,
Toutes Ces Horreurs paraît pourtant être une continuité, presque un décalque, de
Un Deuil Indien. Pareillement rectiligne et amer, couleur grise d’une actualité en perdition où le poète hésite entre s’enfuir dans l’abstrait et arracher les têtes des coupables, il approfondit cette plongée dans un black metal de plus en plus présent et « pur », délaissant la révolte punk au profit d’une aigreur affichée. Pourtant, des éléments, timides au départ puis finissant par prendre une place de choix dans l’identité particulière de ce nouvel album, apparaissent et marquent progressivement : « Zone d’Inconfort » et ses voix glauques, ses boucles nauséeuses ; « Le Sang Des Bêtes » et ses riffs hachés, comme pour faire payer à l’Homme les tortures qu’il systématise aux autres espèces ; la fuite en avant « Peinture Au Plomb », avide d’air, presque dansante, trop vive pour la camisole... De quoi halluciner de ce monde froid, urbain malgré des rêves d’évasion dans la tête, où la révolte s’habille d’un cynisme prouvant son impuissance à changer les choses.
Tout cela fait de
Toutes Ces Horreurs l’aboutissement de ce que paraissent avoir voulu créer les Français ces dernières années,
Un Deuil Indien en devenant une sorte de croquis préparatoire (mais conservant pour lui une atmosphère triste le rendant toujours intéressant). Certes, l’album contient son lot de défauts, à commencer par un final arrivant comme un cheveux sur la soupe (la piste ambient « Lève-Toi Et Rampe », incongrue par rapport à l’unicité de ce qui la précède), mais c’est ici que cette raideur continue renvoyant aux débuts de la seconde vague du black metal, cette ambiance à la fois française et atypique, se présentent sous leur plus beau manteau (« Le Sang Du Poète » et « Faux-Amis » par exemple). Plus constant, l’ensemble prend avec lui pour ne pas nous lâcher, bien qu’il demande quelques rencontres préliminaires avant de pleinement y entrer. Une dernière œuvre qui, si elle donne à imaginer sa suite (notamment lors du morceau-titre où les Français jouent les prolongations avec réussite), convainc que cette énigme qu’était Satan se termine sur un point final où les réponses suffisent largement.
Il me semble – mais c’est à vérifier – que Roland Barthes disait que l’acte d’écrire revenait à « faire trace ». Qu’il s’agissait de transmettre sur le papier des sentiments qui étaient déjà morts lorsqu’on les transcrivait et que cet acte revenait à chercher à les ressusciter. Je pense que cela sera une démarche proche qui me fera continuer à écouter Satan, bien que j’aie différents points de vue concernant chacun de ses albums. Car il a beau avoir été un groupe tour à tour impressionnant, jouissif, énigmatique, un peu décevant par moment, ce qu’il a créé reste fort en plaisir musical brut et en réflexions, par les atmosphères particulières qu’il a pu me transmettre.
Toutes Ces Horreurs, au même titre que les autres œuvres des Français, continuera donc de faire trace chez moi, et je compte bien revenir vers elle pour faire revivre un peu, longtemps après la fin, ce qu’elle m’a fait ressentir.
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