Merkabah - Moloch
Chronique
Merkabah Moloch
J'ai toujours porté la prise de risque en haute-estime dès lors qu'elle est musicale. J'ai toujours apprécié les genres à rallonge, les disques impossibles à classer dans une catégorie en particulier, qui rendent marteaux les acharnés de l’étiquetage. Ceux-là mêmes qui veulent apporter quelque chose de frais, de novateur à la musique extrême. Dans ce cas de figure, aucune création ne connaît la demie-mesure : soit le groupe se vautre lamentablement en ne sonnant que comme un patchwork d'influences mal digérées et régurgitées (les exemples sont légion), soit il parvient à sortir un disque exceptionnel, faisant la balance entre expérimentations, détours stylistiques et univers personnel porté à bout de bras. Ce troisième essai de Merkabah, formation polonaise officiant depuis 2010, se glisse dans cette catégorie.
S'il fallait trouver un équivalent à la musique de Merkabah, ce serait le combo italien Zu, qui mélange depuis 15 ans les sonorités jazz à des parties plus violentes, entre Math Rock et Punk. Une influence non-revendiquée par Merkabah, mais qui se sent tout au long des cinquante minutes de "Moloch", sorti en Mars dernier sur Instant Classic (ayant notamment à son actif un EP de Belzebong et du Merzbow) et produit par le site 8merch (qui s'apparente à une plate-forme de financement participatif). "Moloch" est loin d'être un disque simple à aborder, à l'image de cet artwork complètement hallucinant, réalisé par Kuba Sokólski (graphiste et concepteur d'affiches de concert pour Ufomammut, Mouth of the Architect ou encore Crowbar). Un trait minutieux couplé à un sens du détail frisant l'obsession, pour un résultat dément et tentaculaire. A l'image de la musique du combo, en résumé.
Chaque partie de ce "Moloch" a été soignée. En commençant par le son, que l'on doit au travail du studio Satanic Audio (responsable du dernier Thaw, notamment). Le groove des morceaux est transcendé par une production aux petits oignons, ou la basse possède un son chaud directement emprunté au jazz, ou la batterie résonne dans le lointain, et ou les guitares possèdent un grain volontairement rétro fort appréciable. Et ce son de saxophone, nom de dieu ! Entre Coltrane et Bechet, ses envolées quasi-célestes ne manqueront pas de séduire l'amateur de Jazz qui sommeille en vous (mention spéciale au titre "Hilasterion cont" qui rappelle l'oeuvre des Maîtres). Purement instrumentale, la musique de Merkabah se suffit à elle-même : pas besoin de voix quand la seule force des instruments suffit à faire voyager l'auditeur entre l'espace et le temps - faculté désignée, en hébreu, par le nom du groupe.
Ambitieux sur la durée, "Moloch" parvient pourtant à ne jamais lasser l'auditeur, car chaque composition emprunte des directions inattendues. "Hilasterion", par exemple. Entre cette montée en puissance de début de titre ponctuée par le saxophone et les larsens, ce plan de saxophone démentiel et ses parties pilonnées par de grands coups de cymbales et roulements à rallonges, le titre dévoile en douze minutes toute la personnalité de Merkabah. Qui n'a, décidément, que faire des étiquettes. Entre Free-Jazz (du propre aveu des musiciens, une bonne partie de Merkabah vient de l'improvisation) et Noise Rock ("The King" et son riff quasi-bruitiste), "Moloch" s'autorise aussi bien des parties véloces (le blast de démarrage de "The grapes (...) are filling and growing heavy") que des passages plus feutrés ("Lille Vies Anger" et ses rimshots cadencés). On ne peut d'ailleurs que saluer la dextérité du batteur, qui jongle entre les styles de frappe avec une aisance déconcertante. "Moloch" est complètement fou, entre l'ambiance enfumée et les vapeurs d'alcool des bars de Jazz et une certaine atmosphère "occulte" qui, l'une dans l'autre, s'accouplent parfaitement bien. Le résultat est une sensation d'ivresse, une sorte de coltard confortable dans lequel l'auditeur s'embourbe et se laisse porter au gré des changements de rythmes et d'atmosphères. Un disque de cette trempe reste pour moi de l'ordre de l'inédit.
Aussi prenant qu'entêtant, "Moloch" est une oeuvre passionnante qui réclame de l'attention avant de délivrer tous ses secrets. Chaque nouvelle écoute apportant son lot de surprise, l'auditeur exigeant y trouvera sûrement son compte, pour peu que ce rejeton bâtard entre Rock, parties doomesques et Jazz lui parle. Un disque hautement subjectif qui aura pour mérite de ne laisser personne indifférent.
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