« Keep You » est un disque bizarre. Pianos Become The Teeth, connu pour son
« The lack Long After » déjà chroniqué ici, entame avec force sa reconversion en 2014 avec ce nouveau disque sorti sur Epitaph. On comprend aisément le but de la manœuvre : se différencier de ses petits copains de La Dispute, Touché Amoré, Defeater et consorts. Il est évident que le quintet de Baltimore a du mal à sortir parmi les premiers noms du genre, ses petits collègues étant un poil devant en terme de popularité. En ayant donc probablement ras-la-casquette d'être comparé aux autres, Kyle Durfey et ses copains ont décidés de changer intégralement leur recette sur ce dernier-né.
Et le premier point très choquant de ce nouvel album est la présence intégrale de chant clair. Plus un cri sur ce « Keep You », ce qui pousse bien évidemment la formation hors des carcans screamo/post-hardcore auxquels elle était indubitablement connectée. Pianos Become The Teeth n'est donc plus le même et se rapproche désormais d'un Emo-Rock à la Weezer ou de quelques formations type Texas is The Reason. On se doute que la démarche est louable et que le collectif doit sauter de joie, voyant en cette nouvelle créativité un enrichissement de leur démarche. Certes mais si le pari est honnête et plutôt réussi, il y a tout de même quelques défauts à cette nouvelle livraison.
À commencer par une entrée en matière des plus étrange... Le problème n'est pas de voir la formation s'orienter vers un post-rock plus posé. Je pense sincèrement que les gens qui écoutent Pianos Become The Teeth ont de toute façon déjà un background Emo/Post-Rock et ne devraient pas être décontenancés par ce changement de style. Seulement, force est de constater que « Ripple Water Shine » et « April », les deux titres débutant l'écoute ne sont franchement pas les plus adaptés. Sympathiques mais faisant un peu office d'introduction et n'offrant presque pas de poussées émotionnelles, ils ont refroidis directement mes ardeurs aux premières écoutes. Si vous n'êtes pas du genre patient, autant dire que ces deux morceaux auront largement le potentiel pour vous faire passer à autre chose. Cependant, ils gagneront en saveur au fur et à mesure des écoutes, et je me suis même surpris à danser dessus dans mon salon.
Heureusement « Lesions », le troisième morceau démarre vraiment le moteur et nous apporte nos premiers frissons. Quel plaisir de retrouver dans l’instrumentale des instants avec ces guitares cleans, rappelant à notre bon souvenir ce dont était capable Pianos Become The Teeth en terme de constructions mélodiques. La bonne nouvelle est finalement simple : quand la composition est bonne, le chant clair ne gâche absolument rien. J'irais même jusqu'à dire qu'il rajoute un petit plus de sensibilité. On a eu peur, mais ce titre vient nous rassurer.
Le club des cinq opte cette fois logiquement pour une production des plus organiques. Des guitares effeuillées avec délicatesse jouent aux questions-réponses avec une batterie dont on entendrait presque les imperfections du timbre de la caisse-claire, résonnant dans le garage. Et à partir de « Lesions », c'est l'autoroute du bonheur, du genre balade à vélo sur les bords de Loire. « Old Jaw » enfonce le clou déjà bien martelé au préalable et confirme la bonne santé de la formation. Forcément, notre petit cœur tout mou, tout doux fait des bonds chétifs dans notre poitrine : ça y est, on est vraiment dans l’œil dans la tempête émotionnelle !
« Keep You » est sans conteste le meilleur disque des Américains, la magnificence de certains passages et de certains textes nous propulse si loin que je suis incapable de bouder mon plaisir. Citons en guise d'exemple :
« Wear me out, like a sister haunting absence, like a sister who's finally had it, like a room left open just for being kept, like some lonely facet, like the promise of a place and knowing you're neither here nor there. » qui prouve aisément que les types savent encore écrire des textes de qualité, riches en assonances et allitérations, introspectifs et touchants.
Croyez-moi et passez outre vos réticences aux premiers abords, ce « Keep You » est magnifique en dépit des apparences. Réalisant la synthèse d'un style nouveau et conservant tout de même une patte musicale antérieure, cet opus délivre une nouvelle construction et une nouvelle vision de la musique des américains. Malgré quelques creux palpables qui empêchent le groupe d'atteindre la note suprême, Pianos Become The Teeth confirme avec ce post-rock/emo revival apaisé sa bonne volonté et son talent. "« Keep You » n'est pas assez bon pour être culte", disais-je, inconscient que j'étais aux premières écoutes. Si, le nombre incalculable de fois où je l'ai mis prouve qu'il a bel et bien le niveau pour être au sommet de la chaîne Emo.
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