Corpo-Mente - Corpo-Mente
Chronique
Corpo-Mente Corpo-Mente
Il était une fois un conte noir narré par Laure Le Prunenec (Rïcïnn , Öxxö Xööx), mis en musique par Gautier Serre (Igorrr, Öxxö Xööx aux côtés de Laurent , ex-Whourkr) ˗ qui est aussi à la production ˗ et illustré par Førtifem. Une histoire non pas tirée d'une anthologie d'Ambrose Bierce, mais qui renvoie aux œuvres de Tim Burton de par sa beauté tant mélancolique que poétique. Un premier album éponyme, sorti chez les Finlandais de Blood Music, qui aura été l'objet d'une longue introspection et d'un travail minutieux, avec pour résultat un émerveillement autant visuel qu'auditif. Une immersion totale dans un univers à la fois féerique et sombre dont les textes très personnels, clamés dans un langage artificiel appelé Rïcïnn, transpercent l'âme.
L'esprit de corps
Après avoir travaillé ensemble par le passé sur le projet doom/gothique Öxxö Xööx (en soutien de Laurent Lunoir, à la tête du projet) ou encore Hallelujah, opus d'Igorrr paru en 2012, les deux artistes ont décidé en toute logique de fusionner leur deux mondes pour ne faire plus qu'un sous le nom de Corpo-Mente. Une divine création où s'entremêlent des éléments communs que vous retrouvez chez Rïcïnn mais aussi Whourkr, une attirance mutuelle pour tout ce qui touche notamment au Baroque et aux sonorités électroniques low-key. D'où une musique des plus imagées, à la sensibilité exacerbée, qui découle tout au long de ces 40 minutes de pur enchantement. Un aspect fabuleux vous frappant de plein fouet dès la douce intro de « Scylla », morceau sur lequel débute votre périple, où vous vous laissez entraîner ˗ et perdre ˗ par cette inquiétante jeune fille, dans les ténèbres d'une forêt. Ces petites touches tant enfantines qu'irréelles, font corps avec l'artwork ˗ renvoyant aux travaux d'Edward Gorey ˗ et de nombreux titres, comme le très beau « Ort », pourraient très bien sortir d'une bande originale de film d'animation.
Corpo-Mente en appelle à votre imagination, remuant en vous des souvenirs d'enfance avec cette nostalgie et mélancolie omniprésentes portées par les violons (la sublime « Dorma »), les chœurs majestueux ˗ notamment sur « Arsalein » ˗ ainsi que la voix pure et poignante de Laure Le Prunenec. Un spectre vocal incroyable et une prestation touchant la perfection ne faisant qu'élargir la palette émotionnelle, vous collant des frissons au fil de l'écoute. L'alternance chant d'opéra/chant «basique » ˗ effectuée avec une aisance déconcertante ˗ se fait de façon très naturelle, sans brusquerie, offrant ainsi énormément de variation. Laure semble porter cet album à elle-seule tant sa voix vous trouble du plus profond de votre être. Que ce soit par les susurrement délicats, les lignes déclamées avec fébrilité (« Dulcin »), un chant baroque tant puissant qu'électrisant ainsi que des tonalités plus rock et sur le fil qui font leur apparition ici et là (« Saelli » est un bon exemple), elle brille par sa maîtrise et sait toucher juste.
Et le chef d'orchestre Gautier Serre a su mettre cette virtuosité en relief, le magnifier grâce à une musique douce mais ensorcelante, brillant d'une lumière singulière par ce mélange modernité/classique ainsi que la confrontation entre univers fabuleux et réel. Car si dès le morceau d'ouverture vous semblez plonger dans un conte pour enfants aux relents dark, renvoyant aux frères Grimm entre autres, une trame se dessine petit à petit. Un fil rouge plus terre à terre où le duo vous invite à sa suite, survolant de somptueux paysages et observant les différentes marques dues au changement de saison, l'automne laissant place à l'hiver. Une évidence qui prend forme tout au long de ces dix titres, où Mère Nature semble jouer les premiers rôles soutenue par moults passages folk gracieux et épurés. Vous êtes portés et bercés par ces sonorités traînantes et éthérées, enfermés dans un petit cocon douillet que vous ne quitterez pour rien au monde. Une élégance et une fragilité incroyable se dégagent de cette musique acoustique en particulier sur « Equus » où piano, violon (Benjamin Violet) et accordéon ˗ tenu par Fabien Serre ˗ s'entrecroisent.
Une sensibilité à fleur de peau et une vulnérabilité sous-jacente qui montent crescendo, portées aux nues par les éléments baroques, avant de s'épanouir pleinement au gré des minutes et de littéralement exploser sur les très rock « Dulcin » et « Ort ». Une tension palpable dès les premières notes, représentant ce difficile passage à l'hiver, qui vient bouleverser l'univers de Corpo-Mente et que le groupe essaie de contrôler. Cependant malgré les efforts déployés à l'aide de sonorités tant chaudes qu'enjôleuses, la grisaille et le froid s’immiscent pernicieusement. Des changements qui semblent revêtir un halo mystérieux, conférant à l'ensemble un aspect inquiétant et insaisissable. Des émotions retranscrites subtilement au fil de l'opus, en particulier sur la première partie, par ce mélange plus moderne entre trip hop et musique électronique low-key. De légères incursions qui de fil en aiguille créent un sentiment de malaise par le grésillement des guitares et les effets très mécaniques instaurant un climat brumeux et menaçant (« Arsalein »). Néanmoins ce contrebalancement est parfaitement dosé, en parfaite symbiose avec le côté plus rayonnant de l’œuvre.
Corpo-Mente vous offre un dépaysement total avec une musique avant-gardiste où se côtoient trip hop, baroque, folk et rock. Une fusion des genres comme l'aime Gautier Serre et dont certains passages renvoient à Whourkr ˗ notamment Concrete. Un ensemble qui aurait pu être indigeste de par son univers musical tant barré que brutal couplé au chant de Laure, faisant écho avec ceux de Diamanda Galas et Lisa Gerrard pour la force ou encore la décharge émotionnelle. Mais pas de propos trop abstraits et ésotériques ni d'agressivité ici : les expérimentations sonores restent parfaitement lisibles. Des ambiances extrêmement racées empreintes de candeur qui sont faites pour émouvoir un plus grand nombre, sans pour autant sombrer dans la facilité et le fade. Une première réalisation qui a été longuement mûrie ˗ mais aussi parfaitement réussie ˗ livrant ici ses pleins arômes et dotée d'un puissant pouvoir addictif.
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