Dissoute en 2007, reformée en 2011, la bande de Sverd aura pris son temps pour mettre au monde ce cinquième album. Rien d'étonnant ceci dit, le groupe semble calé depuis ses débuts sur une échelle de temps galactique quand il s'agit de composer. Après tout, comparé à l'éternité, que représentent ces dix ans qui nous séparent du très bon
"Sideshow Symphonies" ? Une fraction de seconde au bout de laquelle on retrouve les Norvégiens dans l'état où on les avait laissés, avec un line-up simplement amputé du guitariste Tore Moren, bien décidés à nous faire parcourir des années lumières pendant ces trois quarts d'heures. Nous, simples mortels, n'en attendions pas moins.
Etrange et surprenant visuel que celui d'"Arcturian", habile mélange de références au cultissime cirque
"La Masquerade Infernale" et à leur période intersidérale entamée avec
"The Sham Mirrors". De quoi susciter quelques interrogations chez les vieux amateurs du combo comme moi. "The Arcturian Sign", premier extrait diffusé avant la sortie, n'aura pas arrangé les choses : outre les choix artistiques qui n'attendaient qu'à être confirmés, la question était d'abord de savoir s'il s'agissait bien de la version définitive ou d'un simple pré-mixage. Mes modes de consommation de la musique me permettant rarement d'apprécier à sa juste valeur la qualité d'une production, c'est un point que j'aborde rarement dans mes chroniques. Mais impossible ici de ne pas l'évoquer tant le résultat saute aux oreilles. Celle du précédent album n'était déjà pas sensationnelle, trop plate, trop sourde ; pour son petit frère c'est le mixage qui cloche, laissant notamment en arrière plan les guitares rythmiques dans une bouillie sonore pleine de reverb tandis que le chant, l'électronique et les guitares lead survolent tout le reste. Réelle volonté ou erreur d'appréciation, le son gâche malgré tout le plaisir d'écoute et aurait mérité une production plus claire et incisive à l'image de celle de
"The Sham Mirrors". Il va donc falloir faire avec.
Et c'est bien dommage car "Arcturian" a de grandes choses à offrir. Il est le digne successeur d'une discographie hétérogène basée sur l'exploration musicale et apporte également son lot de nouveautés. On reconnait évidemment la patte de composition de Sverd : ce dernier s'amuse à revisiter ses classiques en proposant des sonorités familières qui vous rappelleront probablement chaque pièce de leur carrière. Toujours aussi difficile alors d’apposer une étiquette sur le front de nos cinq trublions qui naviguent entre metal progressif, black symphonique et musique expérimentale. Sans pour autant trahir l'essence d'Arcturus, ce nouvel album propose toutefois une vision plus accessible de leur musique, délaissant un brin de délire pour un style plus direct. En effet, s'il a toujours fallu un temps d'adaptation pour digérer un de leurs albums, "Arcturian" accroche dès la première écoute par des titres d'une efficacité à toute épreuve ("The Arcturian Sign", "Demon", "Pale", "Game Over", ...), rappelant parfois Manes ou The Kovenant. Moins convaincant dans la folie que son compatriote Garm (voire décevant), Vortex s'illustre enfin à merveille dans ce nouvel exercice. Comme avec Borknagar ou Dimmu Borgir, la puissance de son chant clair insuffle un groove démoniaque aux compositions tandis que ses rares hurlements boostent les parties plus violentes ("Angst" tout particulièrement). On sent d'ailleurs un groupe de nouveau solide et uni dont chaque membre a trouvé ses marques, du poulpe Hellhammer dont le jeu n'a rien perdu de sa subtilité, aux leads déments de Knut, sans oublier le capitaine Sverd et ses claviers qui demeurent le socle de leur style.
Une des autres nouveautés de cette cuvée 2015 réside dans le paradoxe créé par l'intégration de sonorités naturelles et le renforcement de l'électronique. Piano, violons et guitares acoustiques se heurtent à un mur d'effets en tous genres, distillant respectivement émotions et sensation de vide, une dualité d'une impressionnante maîtrise qui vient appuyer cette étrange atmosphère entre voyage spatial et errances nocturnes. Moins radicalement froide et détachée qu'en 2005, leur musique laisserait même de nouveau entrer un peu du folklore de ses débuts, histoire de garder un pied sur Terre. Face à la déconcertante accessibilité de cet album, on pourrait d'ailleurs penser que le groupe cède à la facilité ; il suffit alors de prendre le temps d'écouter attentivement chacune de ces dix pièces pour se rendre compte du travail d’orfèvre opéré pour obtenir un tel résultat, sans conteste la production la plus riche de leur discographie.
"Arcturian" m'a agréablement surpris par sa qualité et surtout par le virage électronique opéré par ses géniteurs. Ce virage justement, à peine perceptible en tout début d'introduction, ne se révèle véritablement qu'à partir de "Warp" où l'album décolle pour moi. S'en suit un absolu sans faute avec les excellents "Game Over", "Demon", "Pale" et le planant "The Journey". Au delà du style et de la manière de composer, l'ensemble laisse néanmoins une sensation amère d'auto-plagiat, comme si les Norvégiens ne parvenait plus à créer. On croit souvent entendre des mélodies tirées de leurs anciennes compositions et les tableaux dépeints à travers ces dix morceaux semblent avoir été piochés également dans leur passé. Unique, Arcturus l'est toujours mais en fin de compte "Arcturian" l'est peut-être un peu moins qu'on aurait pu l'espérer. La production mise à part, ce sera la seule chose que j'aurais à reprocher à ce come-back qui n'en demeure pas moins un immense plaisir : nos cinq fanfarons nous offre ici un road trip intergalactique haut en couleurs qu'il serait idiot de bouder. Vivement la suite !
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