On ne présente plus Rotten Sound, fiers défenseurs d'un Grindcore musclé, au son reconnaissable entre mille autres. Les Finlandais ont mis un point d'honneur a systématiquement repousser les limites du style, en versant tantôt dans une crasse qui colle à la peau (les inimitables
"Exit" et "Murderworks"), tantôt dans le souffre et l'étouffement par des compositions opaques (l'EP
"Consume to Contaminate"). Et toujours avec une brutalité hors-normes. A titre personnel, j'attendais le groupe au tournant depuis
"Species At War", court EP peut-être un peu trop "synthétique" (sans parler de son artwork douteux) mais qui avait le mérite de plier en deux toute concurrence éventuelle en huit minutes, montre en main. "Abuse to Suffer" signe le retour en fanfare du quatuor. Si l'album n'est peut-être pas leur plus vicieux, il est néanmoins le plus costaud de leur progéniture.
Premier signe du cataclysme à venir : le son. Rotten Sound a su faire évoluer sa production au fil des albums, passant du grésillant, de l'approximation poisseuse à un travail marqué par une propreté extrême, au risque de paraître parfois un peu trop "calibrée
" ("Species At War", comme je l'ai déjà évoqué). "Abuse to Suffer" est une véritable réussite sur ce point : la formation a troqué le son de batterie "creux" contre des sonorités purement et simplement monolithiques. La grosse caisse et la caisse claire brillent par une tonalité balourde, obèse, tirant incessamment vers les basses, pour un rendu "boueux" qui happe l'auditeur et vient compléter ce grain de guitare unique, inimitable, qui a fait la marque de fabrique des Finlandais. Ces guitares qui se feraient presque étouffer par la violence des frappes de Sami Latva sur les parties blastées ("The Clerk", pour ne citer qu'elle). La production surprenante n'est pas le seul changement notable dans la recette du combo. Ce dernier n'hésite plus à incorporer à un Grindcore sans pitié un plus grand nombre de passage mid-tempo, de parties D-beats délicieusement croûteuses, ou des incursions vers des riffs un peu plus "tordus" qu'à l'accoutumée. Chauffez cette mixture déjà bien compacte au feu bouillonnant des amplis, lancez-vous le contenu en plein visage, et ramassez vos dents.
"Abuse to Suffer" est puissant. Tout simplement. J'apprécie cette ambiance de catastrophe imminente qui plane sur l'ouverture de certaines compositions, ce riffing en épée de Damoclès qui prépare au pire et précède le cataclysme ("Inhumane Treatment") . On en viendrait presque à se prendre la tête entre les mains, fermer les yeux, serrer les dents, attendant avec appréhension le châtiment qui suivra les colossales montées en puissance que Rotten Sound distille : "Brainwashed" et ses roulements sur les fûts, soulignant les cordes qui montent de ton au fil des secondes, en est l'exemple le plus marquant. Le timbre de la voix a également mué, bien moins "gueulard" qu'à l'accoutumée. Il se fait plus gras, plus grave, plus menaçant qu'incisif : complètement inscrit dans l'atmosphère opaque d'"Abuse to Suffer", finalement. Le disque nous prend dans l'incendie, nous étouffe par sa présence imposante, n'hésitant pas à nous infliger quelques brûlures en traître, par des mélodies plus "malsaines" (le riff volontiers tordu de "Yellow Pain"), des incursions dans des terres quasi-bruitistes ("The Clerk" et son introduction tout en larsens et en samples) ou simplement ces parties démentes où Keijo Niinimaa s'égosille dans le vide avec une conviction impressionnante ("Retaliation").
Rotten Sound change, sait éviter la redite (prouesse au vu du genre musical dans lequel ils évoluent), tout en sachant garder cette colossale force de frappe que l'on attendait. N'oubliant pas ses précédents méfaits, plus directs, "Abuse to Suffer" réserve des titres dopés aux amphétamines, par leur vélocité, leur violence (l'épileptique "Thrashmonger" et ses saccades démentielles), qui raviront ceux qui n'attendaient rien de plus qu'un lynchage traditionnel. Les Finlandais ont proposé beaucoup mieux : un disque de Grindcore qui soit le juste milieu entre rage débridée et violence contrôlée. "Extortion and Blackmail", titre de clôture, est une bonne synthèse de l'album : succession de blast-beats et de cadences à s'en briser les vertèbres, la bête vous montre les crocs : il termine sur un riff traînant, quasi malsain, saute à la gorge et vous inocule son venin, avant de s'effacer sur une nappe Noise du plus bel effet.
On n'écoute pas "Abuse to Suffer", on le subit. On est étourdi par tant de violence, tant de prestance, tant de présence, repus de ce salade/tomate/oignon musical. Rotten Sound confirme sa position de figure majeure de la scène, tout en signant ce qui s'impose comme LE disque de Grindcore de ce début d'année. Faire mieux sera difficile. Très difficile.
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